Nicolas Gaudemet : « Les médias et les réseaux sociaux exacerbent nos pulsions et nos désirs primaires en permanence »

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Ancien patron du pôle culture de la Fnac, dernièrement directeur de cabinet du secrétaire d’État au numérique, l’écrivain polytechnicien Nicolas Gaudemet n’a pas fini de nous étonner. Le voici qui décline son iconoclaste La Fin des idoles — prix Jules Renard 2019 du premier roman — dans un format addictif et innovant : une série audio.

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Tandis que le livre audio vit une seconde jeunesse grâce aux plateformes de streaming et que fleurissent les podcasts littéraires, un vent d’innovation dépoussière les feuilletons radiophoniques d’antan. C’est ainsi que La Fin des idoles de Nicolas Gaudemet, dont nous écrivions avec prémonition lors de sa sortie qu’il s’apparentait à une série « haletante dont on ne sort pas indemne », devient le premier roman adapté en série audio sur une plateforme de streaming : l’application de lecture Youboox aux deux millions d’inscrits. En sept épisodes d’une dizaine de minutes, joués par douze comédiens, avec des musiques originales immersives et des bruitages plus vrais que nature, l’auteur décline à nouveau sa brillante satire de notre société médiatique.

Comment est né ce projet?
Amateur de séries audiovisuelles, curieux des nouveaux usages, j’ai écouté de nombreux podcasts, notamment de fictions, proposés sur les nouvelles plateformes de streaming. Or aucune de ces fictions n’était adaptée de roman. Je me suis alors demandé : « Et pourquoi pas ? » Ce serait une façon de revisiter les adaptations radiophoniques de France Culture dans un format modernisé.
J’ai donc proposé à plusieurs plateformes de streaming d’adapter La Fin des idoles en série audio : Youboox, le producteur, leader français de la lecture en ligne avec 2 millions d’inscrits, a accroché tout de suite.

Quelle est la différence avec un livre audio classique ?
Un livre audio est lu. Rien n’est adapté au média sonore : tout est conservé, notamment la narration. C’est pourquoi je n’ai jamais été conquis par ce format. C’est long, je n’arrive pas à me concentrer, cela m’endort ! D’ailleurs, lorsque j’ai visité une dizaine de lycées pour le roman, en lice pour le prix l’Échappée littéraire des lycéens, j’ai interrogé les élèves sur leurs pratiques de lecture. Certains écoutaient des livres audio. Mais lorsque je leur ai demandé si c’était pendant les trajets pour aller au lycée, ils ont répondu : « On écoute le soir, pour s’endormir ! »
Dans la série audio La Fin des idoles, les épisodes sont très courts, il n’y a plus de narration. C’est une continuité dialoguée, rythmée par des musiques originales très actuelles et des bruitages immersifs. L’épisode 6 par exemple se déroule en marge d’une manifestation. La série entière est ponctuée de reproductions d’émissions d’infotainment, de téléréalité, et même de France Culture. Une gageure pour le studio !

Quel en était l’idée de départ ? Que vouliez-vous dénoncer à propos de ce culte des idoles?
Dans le roman comme dans la série audio, une jeune femme indignée par le pouvoir qu’ont pris les écrans sur nos vies tente de renverser la société médiatique.
Car derrière ces écrans, les médias et les réseaux sociaux exacerbent nos pulsions et nos désirs primaires en permanence. Le goût de la violence, un désir éperdu de reconnaissance : lisez les torrents haineux sur Twitter, regardez le succès de TikTok auprès des adolescents ! Avec sa cohorte d’effets secondaires : égocentrisme, frustrations, fake news, addiction aux écrans, incapacité à se concentrer… L’héroïne pense qu’un autre monde est possible. Et de fait, dans La Fin des idoles, un autre monde advient.

Comment avez-vous écrit l’adaptation ?
J’ai écouté de nombreux podcasts et fictions audio originales. J’ai constaté qu’au-delà de quatre ou cinq personnages principaux par épisodes, et qu’après d’une dizaine de minutes, l’auditeur risquait d’être perdu. Le coût par minute de production, bien plus élevé que celui d’un livre lu, impliquait également un nombre limité d’épisodes.
Par ailleurs, je voulais éviter la présence d’un narrateur qui nuirait au rythme. Mon modèle, c’était les séries audiovisuelles.
D’où le format de sept épisodes d’une dizaine de minutes, sans narrateur.
J’ai donc considérablement simplifié l’intrigue et divisé par quatre le nombre de personnages. J’en ai profité pour revoir également l’arc dramatique de l’héroïne que je voulais moins noire, moins torturée que dans le roman.

Quel chemin ensuite jusqu’à la série ?
Avec Youboox nous avons rencontré quelques producteurs audio, issus de la musique, du livre audio ou de la production audiovisuelle.
Une fois le studio de production choisi (le studio Hardigan), j’ai travaillé avec le réalisateur et compositeur Yann Denis pour assurer la direction artistique. Yann a casté cinquante comédiens, nous en avons retenu douze pour jouer toutes les voix.
Les scènes principales ont été enregistrées le 28 février, quinze jours avant le confinement ! C’était moins une, tout aurait été reporté ou annulé. J’étais présent pour diriger les comédiens et garantir que le ton corresponde à l’esprit de la série.
Ensuite Yann a composé des musiques originales, inspirées de l’univers des médias, puis enregistré les bruitages et les voix secondaires avec des comédiens dotés d’un home studio permettant d’enregistrer leurs répliques à distance en dépit du confinement. Puis il a réalisé le montage, me proposant de nombreux allers-retours pour trouver le ton juste.

Est-ce une première? 
Oui, c’est la première adaptation d’un roman en série audio par une plateforme de streaming ! Le format se distingue radicalement du livre audio. On peut le rapprocher du podcast, sauf que c’est évidemment payant, ou des séries audiovisuelles. C’est également proche des dramatiques de France Culture, avec une réalisation modernisée.

Pensez-vous que cela va relancer votre roman?
En effet, plusieurs blogueurs ont écrit que la série, qu’ils ont beaucoup aimée, leur donnait envie de découvrir le roman. D’ailleurs, une réédition de ce dernier devrait sortir pour Noël, comme idée cadeau, avec une nouvelle couverture et une préface exclusive.

À quand une série télé?
Bonne question ! C’est vrai que l’intrigue pleine de rebondissements se prêterait à une adaptation audiovisuelle. Mais la crise a freiné de nombreuses productions.

Avez-vous d’autres projets? 
J’écris un deuxième roman très différent, à la première personne. Il se déroule sur une frégate dans le Pacifique, dans les années 90, entre la Polynésie, Honolulu, Tokyo et Vladivostok. Je devais d’ailleurs m’embarquer cet été à l’invitation de la Marine nationale, mais tout a été annulé à cause de la crise sanitaire.
Ce deuxième roman évoque aussi mon auteur favori, Mishima, sur lequel j’ai déjà publié un court récit dans le collection Duetto, un écrivain en raconte en autre. J’écris également des chroniques littéraires pour Atlantico et Ouest-France.fr.

Quel est votre métier actuel en dehors d’écrire?
Fort de mon expérience à la tête du pôle culture de la Fnac puis du cabinet du Secrétaire d’État au Numérique, j’accompagne en ce moment des maisons d’édition — et plus largement des industries créatives et des institutions culturelles — dans leur stratégie d’innovation.
Un de mes sujets à la rentrée sera le rôle des données, de l’intelligence artificielle : peuvent-elles aider à mieux piloter les sorties de livres, les réassorts, les retours, les investissements publicitaires ? À améliorer les recommandations sur les plateformes de contenus numériques ?

« La fin des idoles » de Nicolas Gaudemet, premier roman adapté en série audio sur plateforme de streaming.

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