Jérôme Blanchet-Gravel : « À 16 ans, Greta Thunberg est l’élue qui voit le C02 à l’œil nu »

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Jérôme Blanchet-Gravel fait partie de ces voix discordantes venues du Québec. Très engagé sur les questions de multiculturalisme, et d’écologie, Putsch le reçoit dans un grand entretien sur ces sujets brûlants d’actualité. Un propos saignant qui considère que « l’écologisme s’inscrit dans une dynamique apocalypse et réactionnaire ».

propos recueillis par

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En quoi l’écologisme est-il une religion politique?
Il y a deux courants écologistes, qui toutefois tendent à s’entremêler dans le discours public. L’écologisme modéré repose essentiellement sur le développement durable, une approche qui propose de développer des technologies vertes sans en venir à la décroissance économique. C’est le courant écologiste qu’il faut défendre et encourager. Cet écologisme est compatible avec la modernité qu’il ne veut pas déconstruire au nom d’un retour fantasmé à la terre et aux sociétés traditionnelles.
En revanche, l’écologisme radical est une religion politique. Non seulement ce courant a des traits autoritaires, mais il a un fond proprement religieux, à commencer par sa lecture manichéenne opposant les forces du Bien à celles du Mal. Les écologistes radicaux ont repris des religions monothéistes l’idée d’une apocalypse à venir qu’il faudrait conjurer en nous soumettant à leur culte régressif fait d’incantations et de repentance.

 

« En revanche, l’écologisme radical est une religion politique. Non seulement ce courant a des traits autoritaires, mais il a un fond proprement religieux, à commencer par sa lecture manichéenne opposant les forces du Bien à celles du Mal »

 

L’écologisme radical réhabilite aussi des croyances animistes, l’idée d’une énergie spirituelle circulant entre tous les éléments naturels. Autrement dit, l’écologisme radical propose de resacraliser la nature, de la remettre au-dessus de l’Homme. A priori, ces idées ésotériques ne sont pas si néfastes, mais la manière dont certains les instrumentalisent est dangereuse. Des penseurs écologistes ont fait de ces croyances religieuses un projet politique, dont la mise en branle ne pourrait que déboucher sur un totalitarisme vert. C’est bien cette « matrice religieuse » de l’écologisme que j’ai analysée dans mon Retour du bon sauvage (Boréal, 2015).

 

En quoi l’écologisme diffère-t-elle de l’écologie?
L’écologie est l’étude des milieux naturels et des éléments qui les composent – les écosystèmes – alors que l’écologisme est une conception du monde appartenant à la grande famille des idéologies (libéralisme, socialisme, conservatisme, nationalisme, multiculturalisme, écologisme, etc.). Cette différence est fondamentale, même si presque personne ne la fait. Il est toutefois évident que l’écologisme se sert de l’écologie (les divers rapports scientifiques) pour assoir sa légitimité et nourrir sa vision apocalyptique.

 

« Il est toutefois évident que l’écologisme se sert de l’écologie (les divers rapports scientifiques) pour assoir sa légitimité et nourrir sa vision apocalyptique »

 

Quel est le lien que vous faites entre écologisme et multiculturalisme? Par le fait même, pouvez-vous nous expliquer ce que vous appelez xénophilie?
Je suis dans les tout premiers auteurs à avoir montré les liens unissant écologisme et multiculturalisme. J’aborde cette question dans Le Retour du bon sauvage, mais aussi dans La Face cachée du multiculturalisme (Cerf, 2018).

 

Il faut bien comprendre que l’écologisme radical repose sur un violent rejet de l’Occident, lequel est vu comme la civilisation par excellence de la destruction de la nature. Les écologistes radicaux n’ont pas tort sur tout, car c’est bien en Occident qu’est apparue la notion de progrès à partir du XVIIIe siècle. Il est évident que la crise écologique a été provoquée par la modèle scientifique d’exploitation de la nature. Les théoriciens de l’écologisme radical accusent aussi la tradition judéo-chrétienne d’avoir préparé cet élan destructeur en mettant fin au culte païen de la Déesse Mère. Dieu a fait l’Homme à son image, qui s’est fait Dieu en retour. Mais faut-il vraiment rejeter la science et la technologie pour autant? Sans elles, le monde serait encore plongé dans la misère et la superstition.

 

« Il faut bien comprendre que l’écologisme radical repose sur un violent rejet de l’Occident, lequel est vu comme la civilisation par excellence de la destruction de la nature »

 

Les écologistes radicaux persistent tout de même à croire que l’Occident devrait être remplacé par quelque chose d’autre, une civilisation nouvelle délivrée de son propre héritage. Ainsi, les cultures étrangères ont commencé à être perçues comme des instruments destinés à sauver l’Occident de lui-même. Si la culture occidentale a mené à la crise écologique, il faudrait donc y mettre fin, malgré ses innombrables bienfaits (les droits de l’homme, la démocratie, la médecine moderne, la technologie et j’en passe). Le marxisme avait fait des immigrés le nouveau prolétariat, l’écologisme en fait le nouvel éco-peuple. Au Canada, cette vision se traduit par l’éloge romantique des Amérindiens, qui seraient naturellement prédisposés à conserver la nature, même s’ils conduisent depuis longtemps des camions et voitures. C’est le mythe du bon sauvage.
Ce que j’appelle xénophilie est donc ce rejet de nous-mêmes, corollaire à ce désir de l’Autre comme figure mythifiée. Nous baignons dans l’orientalisme : les cultures étrangères sont présentées comme des réservoirs de vitalité chaleureuse…et écologique. Les immigrés seraient supposément des sauveurs climatiques. Cette vision ne passe évidemment pas le test de la réalité : les immigrés viennent d’abord en Occident pour améliorer leur sort économique, et non pour cultiver des carottes dans leur appartement.

 

Le mouvement Extinction Rebellion participe-t-il à votre idée de l’écologisme?
Le nom de cette organisation illustre à merveille sa vision apocalyptique. Comme la plupart des mouvances radicales de l’écologisme, Extinction Rebellion prône la décroissance économique en étant convaincu de détenir la vérité absolue. Toutefois, je ne suis pas certain que cette organisation entretienne un projet du genre spirituel, qu’on retrouve chez des auteurs écologistes comme David Suzuki. Ce mouvement semble surtout reposer sur un catastrophisme révolutionnaire.

 

« Comme la plupart des mouvances radicales de l’écologisme, Extinction Rebellion prône la décroissance économique en étant convaincu de détenir la vérité absolue »

 

Greta Thunberg est-elle la prêtresse de cet écologisme? Quel regard portez-vous sur cette jeune fille devenue en quelques semaines une icône?
Greta Thunberg est sans aucun doute une figure sainte: elle incarne une sorte de virginité morale, de pureté idéologique. Comme le jeune Jésus dans la Bible (Luc 2.41-52), elle prend plaisir à enseigner aux adultes, dont le cœur s’est laissé corrompre par l’Occident décadent. À 12 ans, Jésus enseignait dans le Temple de Jérusalem devant les docteurs stupéfaits. À 16 ans, Greta est l’élue qui voit le C02 à l’œil nu. Dans la mythologie écolo, les «climatosceptiques» ont remplacé les Pharisiens.

 

« À 16 ans, Greta est l’élue qui voit le C02 à l’œil nu. Dans la mythologie écolo, les «climatosceptiques» ont remplacé les Pharisiens »

 

Greta Thunberg a parfaitement le droit à ses opinions. Toutefois, sa plus grande erreur est de prôner une décroissance économique sans laquelle on ne parviendra jamais à sauver la planète. C’est la plus grande bévue des radicaux: les pays moins riches ne feront de l’environnement une priorité que lorsqu’ils auront atteint des niveaux de développement suffisants pour s’en préoccuper. Vous demanderez à un Mexicain qui gagne 5$ par jour de se départir de son véhicule des années 1960 parce trop polluant. L’éducation vient aussi avec une certaine qualité de vie. Par exemple, dans la ville de Mexico, des gens font encore brûler leurs ordures. Le recyclage ne sera jamais la priorité d’un individu qui pense d’abord à nourrir sa famille. Pour sauver la planète, il faut d’abord sortir des millions de personnes de la pauvreté, un projet totalement irréalisable sans croissance économique.

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