Éric Genetet : « Ce livre raconte comment se sortir des griffes d’un monstre »

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Inspirée d’une histoire vraie, voici le roman d’un amour fou, à la vie, à la mort. Une histoire d’emprise entre deux êtres aveuglés par la passion. Tout commence par un flirt : après des aventures malheureuses, Marina et Torsten sont persuadés qu’ils ont enfin trouvé l’âme sœur. Ils s’aiment, font l’amour rageusement, s’installent ensemble. Seul le chat de Marina voit d’un mauvais œil l’arrivée de cet homme qui lui vole sa maîtresse.

propos recueillis par

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Leurs voix se croisent. Auteur de « Tomber » (HO), Éric Genetet se glisse dans la peau de chacun, dans sa logique, égrenant des petits cailloux annonciateurs du piège dans lequel s’enferment les amants. Un regard qui se durcit, une fenêtre ouverte, des reproches… Marina est une battante, elle veut y croire, envers et contre tout, jusqu’à tout accepter, se soumettre, se perdre. Torsten jouit de la voir souffrir. Cet éternel persécuté est convaincu d’avoir raison et se sent trahi lorsqu’elle danse avec un autre. Il s’emporte, elle serre les dents. Éric Genetet ne juge pas : il va loin dans l’exploration des pulsions dévastatrices, décortiquant les rouages d’une addiction, d’une spirale infernale où chacun porte sa part de responsabilité. Au fil des pages, on s’attache à Marina qui subit la violence verbale et physique d’un pervers narcissique, mot que n’emploie pas l’auteur. Un roman qui en dit plus que tous les essais sur ces drames qui se jouent dans le huis-clos des chambres d’amour. Un thriller envoûtant qui se dévore et ferait un excellent film !

 

D’où vous est venue l’idée de ce roman ?

Ce roman est d’abord une aventure humaine. Il y a six ans, une femme que je ne connaissais pas m’a raconté son histoire. Elle était encore très en colère contre un homme qui avait partagé sa vie. Elle a lancé l’idée d’en faire un livre. Pendant une année, nous nous sommes vus régulièrement et je me suis lancé dans l’écriture de ce texte, je me suis approprié son histoire. Ce qui m’a intéressé, c’est la manipulation dans le couple, la relation à deux comme prison édifiante, les relations toxiques, les raisons de ces mauvais choix. Au départ, c’est l’histoire de cette femme, mais comme j’en parlais autour de moi, je me suis vite aperçu que d’autres histoires lui ressemblaient, que ce n’était pas son histoire, mais celles de dizaines de femmes autour de nous.

 

Pourquoi avez-vous choisi le thème de l’emprise au sein d’un couple ?

J’ai voulu comprendre d’où ça venait. C’est quoi, c’est qui, un manipulateur ? Ce type dont tout le monde parle. Est-il un peu chacun d’entre nous ? Et puis, pourquoi et comment l’agressé « autorise » l’agresseur à se comporter comme ça ? Pourquoi, une femme laisse entrer un homme pareil dans son cœur. Pourquoi après une longue période de séduction, le bonheur peut se transformer en enfer ? Ce mystère-là.

 

« Quelqu’un qui vous agresse a un problème avec lui-même, pas avec vous »

 

Ce sujet a-t-il des résonances dans votre vie ?

Au départ pas du tout, et puis, en écrivant, j’ai fini par « utiliser » des morceaux de ma vie, des morceaux d’une histoire récente qui m’a marqué au fer rouge, je pensais même que ce serait la dernière. Il se trouve que j’ai commencé le livre peu après la fin de cette histoire. Quand j’ai rencontré la femme avec qui je vis maintenant, la relation que je n’osais plus imaginer, au début, j’avais encore de vieux réflexes, je me sentais obligé de tout justifier, j’avais peur qu’elle prenne mes attitudes pour des agressions, mais c’est quelqu’un qui ne me rend pas responsable de tout ce qui lui arrive et nous avons construit une très belle relation. Paradoxalement, cela m’a aidé à créer le personnage masculin de ce roman. Dans mes relations passées, je pensais que mon ressenti était l’essentiel, qu’il fallait que la vérité éclate coûte que coûte, mais essayer d’avoir raison, c’est souvent souffrir et faire souffrir. Quelqu’un qui vous agresse a un problème avec lui-même, pas avec vous. Et il est impossible de le ou la changer. Je crois que sans m’en rendre compte, j’ai parfois été l’agresseur. Souvent même. J’ai créé le personnage de Torsten à partir de ça, mais je suis allé beaucoup plus loin grâce aux dizaines de témoignages que j’ai recueillis pendant l’écriture. En fait, avant d’écrire ce livre, je n’avais pas imaginé qu’un homme puisse se comporter comme le personnage de Torsten.

 

Couverture « Un bonheur sans pitié » (© Ed. Héloïse D’Ormesson)

 

Comment avez-vous construit le scénario d’ « Un bonheur sans pitié » ? Comment travaillez-vous ?

C’est un long chemin, cinq ans, une vingtaine de versions. Ce texte m’a donné du fil à retordre, j’ai failli l’abandonner cent fois, mais je me suis accroché. Je me suis d’abord mis dans la peau de Marina, j’ai aimé cette expérience même si parfois j’avais le sentiment d’un enfermement. Puis, j’ai choisi la forme d’une rencontre entre deux femmes qui se racontent, mais ce n’était toujours pas satisfaisant. J’ai tout repris avec un seul narrateur, là encore, cela ne fonctionnait pas comme je le souhaitais et enfin, j’ai tout réécrit avec plusieurs voix, ce qui m’a permis de me placer aussi du côté de l’agresseur, un choix qui m’a été soufflé par la femme qui partage ma vie et qui a donné sa forme définitive au roman.

 

« Chacun est persuadé d’avoir raison, que l’autre est le monstre, que l’autre lui a fait du mal, que c’est le salaud ou la salope. C’est plus compliqué que cela »

 

Pourquoi donner la parole aux deux amants, Marina et Torsten ? Comment avez-vous réussi à vous glisser dans leur peau ?

Je suis toujours frappé par les différentes versions d’une histoire qui se termine, quand ceux qui se sont aimés se séparent dans une grande douleur. On a le sentiment que les gens n’ont pas vécu la même histoire. Chacun est persuadé d’avoir raison, que l’autre est le monstre, que l’autre lui a fait du mal, que c’est le salaud ou la salope. C’est plus compliqué que cela. Dans un couple qui se quitte, les responsabilités de l’échec sont partagées, je crois.

Pourriez-vous nous expliquer comment se noue cette spirale infernale dans laquelle Marina accepte de se soumettre à Torsten, jusqu’à se perdre ? Blessures de l’enfance, aveuglement, passion…

C’est l’histoire d’une femme qui rencontre un homme. En quelques jours il devient le prince charmant, elle l’a toujours imaginé comme ça, et si ce n’est pas tout à fait lui, elle se l’invente pour croire au merveilleux, à un moment de sa vie où ça l’arrange pour des raisons plus ou moins conscientes, en lien avec son enfance et sa représentation du couple, de la famille. C’est une histoire d’amour qui commence comme toutes les histoires d’amour : Torsten répond aux manques de Marina, il lui promet « sa » lune, il agit exactement comme elle le souhaite, il est celui qu’elle attendait. En une soirée, il se transforme en monstre. Ce livre raconte comment se sortir des griffes d’un monstre.

Pourquoi n’arrive-t-elle pas à se libérer de cette prison ?

La sidération est telle qu’elle ne peut pas y croire. Pendant des années, elle va espérer revoir le vrai visage de Torsten, celui de cet homme si magnifique qu’il a été pendant les six premiers mois, mais elle ne sait pas qu’il n’a pas deux visages, en fait, il n’en a qu’un, et un masque. Quand il enlève son masque, il sait qu’à cet instant, il peut tout lui prendre. Comment cette femme si brillante peut-elle rester avec cet homme et se perdre à ce point ? Jusqu’où elle va-t-elle pour le sauver ? Comment peut-elle devenir sa meilleure avocate par moment ? Finalement en agissant ainsi, ne devient-elle pas un monstre à son tour ?

Quel bénéfice, forcément négatif, trouve Torsten à torturer moralement Marina ?

Il ne peut pas se comporter autrement, c’est son système. Il a raison, toujours raison. Aucune remise en question, aucun remords. C’est un homme immature en fait. Il est resté dans l’enfance. Pour lui, la puissance infantile doit triompher.

 

« Je crois surtout que l’on n’apprend pas assez aux jeunes gens ce qu’est la relation à deux, le respect, l’altérité, l’écoute »

 

Diriez-vous qu’il est un pervers narcissique ?

Certains feront le lien, mais, à aucun moment dans ce livre, je n’ai utilisé ce terme. C’est très tendance, trop tendance, et il n’y a pas un PN derrière chaque histoire qui finit mal. Ce n’est pas à moi de dire si ce type est un pervers narcissique, un sociopathe, juste un type infréquentable, un gros connard borné ou un esprit pas très raffiné. J’ai simplement voulu comprendre ce qui se joue entre deux êtres humains qui passent du bonheur qu’ils imaginent éternel, à l’enfer au quotidien. C’est assez mystérieux. Les femmes que j’ai rencontrées pour l’écriture de ce roman m’ont souvent dit que tout s’était passé en un clin d’œil, le temps de fumer une cigarette et l’homme avec qui elles vivaient n’était plus le même.

Pensez-vous qu’on ne dénonce pas assez la violence verbale dans les huis clos familiaux ? Et comment lutter contre ce fléau ?

Je crois surtout que l’on n’apprend pas assez aux jeunes gens ce qu’est la relation à deux, le respect, l’altérité, l’écoute. Je ne sais pas s’il y a plus de violences verbales aujourd’hui dans cette société des réseaux sociaux, du narcissisme, de la vitesse et de l’apparence, mais j’aime beaucoup cette phrase de Milan Kundera : « Il faut une grande maturité pour comprendre que l’opinion que nous défendons n’est que notre hypothèse préférée, nécessairement imparfaite, probablement transitoire, que seuls les très bornés peuvent faire passer pour une certitude ou une vérité. »

 

 


« Un bonheur sans pitié » d’Eric Genetet
Editions Héloïse d’Ormesson
160 pages – 16 euros

 

 


(Photo à la une : Éric Genetet, ©Philippe MATSAS-Leextra-Éditions Héloïse d’Ormesson)

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