Démocratie et État de droit en danger : que peut faire l’Union Européenne ?

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Tribune de Manon Laporte, Première Vice-Présidente de l’Alliance Centriste – membre actif de la Majorité Présidentielle et Conseillère régionale d’Ile-de-France.

À l’approche des prochaines élections européennes, les pourfendeurs de l’Europe se font de plus en plus entendre. En France, comme dans tous les États membres, des voix s’élèvent pour appeler au rassemblement des eurosceptiques, afin de constituer un groupe uni au Parlement européen. Un récent sondage prévoit que 132 sièges pourraient être obtenus par l’extrême droite européenne, et 65 supplémentaires par d’autres mouvements eurosceptiques, ce qui conduirait mathématiquement à un ensemble hostile à la construction européenne de 197 députés sur 705 ! Ainsi, le Parlement, où sont co-adoptées (avec le Conseil, représentant les Etats membres) les lois européennes qui construisent l’Union de demain, court un grand danger : celui de tomber en partie, et de la manière la plus légale qui soit – la voie des urnes – aux mains de ceux qui précisément ne lui veulent aucun avenir !

 

« Le Parlement, où sont co-adoptées les lois européennes qui construisent l’Union de demain, court un grand danger : celui de tomber en partie, et de la manière la plus légale qui soit – la voie des urnes – aux mains de ceux qui précisément ne lui veulent aucun avenir ! »

 

Ceci n’est qu’un signal de plus du risque encouru par nos démocraties et l’État de droit au sein de l’Union européenne. Il est loin le temps des coups d’État militaires et des prises de pouvoir par la force. Aujourd’hui, les principaux ennemis de la démocratie et des droits fondamentaux progressent de façon masquée, à travers les institutions qu’ils souhaitent subvertir. De cette façon, face à des mesures qui vont à l’encontre des valeurs européennes mais qui sont légitimées parce qu’elles ont l’apparence de la légalité et émanent de représentants élus, l’opinion publique s’alarme beaucoup moins.

L’Union européenne s’est construite autour de valeurs telles que la démocratie, l’État de droit, le respect des droits fondamentaux, l’égalité, etc. Ces valeurs sont indispensables pour prétendre l’intégrer, mais une fois un État devenu membre, quels sont les moyens à sa disposition pour rappeler ce dernier à l’ordre en cas de manquement à ces valeurs ?

Pour l’heure, ils sont essentiellement symboliques : sous certaines conditions définies à l’article 7 du Traité de l’Union Européenne, les Etats membres peuvent constater un risque de violation (à la majorité des 4/5) ou une violation (à l’unanimité) des valeurs de l’Union, afin de dissuader l’État contrevenant de poursuivre dans la mauvaise voie, voire suspendre certains de ses droits. Mais ce dispositif est inefficace. Nous en voulons pour preuve les procédures en cours contre la Pologne et la Hongrie, qui n’avancent pas depuis 2017, la Hongrie n’ayant même pas encore été entendue par le Conseil.

Sur le plan judiciaire, quelques progrès ont été réalisés, la Cour de justice de l’Union européenne menant actuellement une jurisprudence ambitieuse afin de sortir certains principes relevant de l’État de droit du seul cadre des droits fondamentaux, pour en faire des principes objectifs et structurels de l’Union afin de leur donner un champ d’application plus large. Elle a également le pouvoir d’imposer des astreintes financières au pays qui n’exécuteraient pas une de ses mesures provisoires – ces mesures étant prises en cours de procédure, afin d’éviter de tomber devant le fait accompli, dont les États contrevenants pourraient tirer parti.

Enfin, l’Union européenne dispose d’armes budgétaires, qu’elle s’efforce actuellement de renforcer. Le 17 janvier 2019, le Parlement européen a adopté deux mesures-phares pour contraindre ses États membres à agir en faveur de ses valeurs et non contre elles : la première consiste à suspendre le versement des fonds européens aux Etats en cas de « défaillance généralisée de l’Etat de droit » ; la seconde consiste à soutenir financièrement les ONG et les membres de la société civile qui alertent sur les violations de ces valeurs et se battent pour les faire respecter dans leurs pays. Ces mesures doivent encore être validées par le Conseil.

Cette prise de conscience de l’ampleur du problème, ainsi que ces débuts de réponse sont de bons signes, mais encore bien insuffisants, et témoignent surtout de la faiblesse politique de l’Europe, à laquelle il est urgent de remédier au moins sur ce sujet de nos valeurs communes.

 

« Cette prise de conscience de l’ampleur du problème, ainsi que ces débuts de réponse sont de bons signes, mais encore bien insuffisants, et témoignent surtout de la faiblesse politique de l’Europe, à laquelle il est urgent de remédier au moins sur ce sujet de nos valeurs communes »

 

Nous sommes tous responsables de l’avenir de nos États et de notre Europe : un recul de la démocratie sous couvert de la défendre, comme l’instillent les populismes de tous bords, ne peut qu’aller de pair avec un recul des libertés. Notre vieille Europe a une Histoire suffisamment longue et torturée pour nous démontrer que résoudre nos problèmes par le repli sur soi et le nationalisme ne peut conduire qu’à plus de conflits encore.

 

« Notre vieille Europe a une Histoire suffisamment longue et torturée pour nous démontrer que résoudre nos problèmes par le repli sur soi et le nationalisme ne peut conduire qu’à plus de conflits encore »

 

Les Européens directement et sensiblement touchés par ces reculs sont conscients de la situation et sont dotés d’une formidable capacité de réaction, en témoignent les marches pour la démocratie en Pologne. Mais ce mal est présent partout en Europe : en Italie, aux Pays-Bas et en Autriche, qui ont fait le choix de placer des représentants extrémistes au pouvoir, en Hongrie autoproclamée « État illibéral » qui mène une politique de restriction des libertés, de destruction systématique de toute forme d’opposition ou de contre-pouvoir et de diabolisation des migrants, en Pologne où l’indépendance du pouvoir judiciaire appartient déjà presque au passé, en Roumanie, où le gouvernement fait son possible pour entraver la lutte anti-corruption.

Les dangers autour de la démocratie et de l’État de droit ne sont pas toujours « chez les autres », loin de nous et facilement condamnables. Nous devons éviter d’être donneurs de leçon et nous devons rester vigilants, car l’avenir de l’Union et le renforcement de l’identité européenne, dans la paix et la prospérité, sera véritablement l’enjeu des prochaines élections. À nous donc de relancer le débat politique, sans jamais jouer le jeu des extrêmes à travers les prises à parti et les solutions à l’emporte-pièce, car seul un débat sain, dans un climat de tolérance mutuelle et de retenue, pourra se révéler réellement constructif.

 

Tribune de :

Manon LAPORTE
Première Vice-Présidente de l’Alliance Centriste
Avocate fiscaliste, docteure en droit
Conseillère régionale d’Ile-de-France

Co-signée par :

Sébastien PLATON
Professeur de Droit Public à l’Université de Bordeaux, spécialisé en droit constitutionnel européen

Sacha MARKOVIC
Professeur de l’histoire des Balkans à la Sorbonne

Philippe FOLLIOT
Président de l’Alliance Centriste
Député du Tarn – Président de la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’O.T.A.N.

Olivier DAMAISIN
Délégué Général de l’Alliance Centriste
Député de Lot-et-Garonne

Christophe BLANCHET
Député du Calvados – Membre de la Commission Défense Nationale et Forces Armées

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