Lionel Belarbi : « La psychiatrie et la santé mentale en France sont coûteuses et manquent cruellement de financement »

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Depuis onze ans, il fréquente, en tant que patient, le milieu des structures sanitaires destinées aux pathologies psychiatriques. Fort de cette connaissance, Lionel Belarbi a écrit « La Psycothèque ou la communauté des fous » pour alerter sur le manque de moyens et la prise en charge psychiatrique en France. Un récit réaliste avec un ton bienveillant, qui brosse un portrait de ce milieu inconnu au plus grand nombre. L’auteur a accepté d’en parler sur Putsch.

propos recueillis par

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Pourquoi avez-vous décidé de parler de la thématique de la psychiatrie ? Pourriez-vous nous raconter brièvement votre histoire ?Cela fait onze années que je fréquente le milieu de la psychiatrie en tant que patient. J’ai alterné pendant tout ce temps entre vie « normale » et hospitalisation. Beaucoup d’hospitalisations en secteur fermé, où le règlement est très strict et l’ambiance parfois malsaine. Violence entre camarades, manque d’hygiène dans les parties communes, cris et hurlements des patients en souffrance. C’est à la suite d’une longue hospitalisation de type « libre » (bien que je n’avais pas une grande liberté) que j’ai décidé de tuer l’ennui en écrivant mon premier livre, La Psychothèque ou La Communauté des fous. Pendant ces six mois d’hospitalisation, je n’avais pas grand-chose à faire à part dormir, manger, et les cent pas dans les couloirs-dortoirs de ce pôle de santé mentale Les Noisetiers (c’est un nom fictif, mais le bâtiment existe et l’histoire que je raconte est authentique).

 

« Pendant ces six mois d’hospitalisation, je n’avais pas grand-chose à faire à part dormir, manger, et les cent pas dans les couloirs-dortoirs »

 

Quel est l’état des hôpitaux psychiatriques en France aujourd’hui?

Mauvais ! Trop de patients pour peu de soignants, tout le monde craque et s’énerve. Sur six établissements psychiatriques que j’ai fréquentés, seulement deux avaient toutes les qualités requises pour soigner le patient dans de bonnes conditions, voire excellentes. Le problème de ces bons hôpitaux où il n’y a pas de blouse blanche – tout le monde est au même niveau : les patients, les psychiatres, les soignants, les agents spécifiques moins qualifiés, tout intervenant quel qu’il soit, chacun est une personne à part entière et jamais un moins-que-rien ; le respect et la bienveillance sont prioritaires –, c’est qu’ils coûtent très cher à l’assurance-maladie et on en compte peu… Les quatre autres hôpitaux psychiatriques que j’ai connus n’étaient pas aux normes. Sous-effectifs, maltraitance de certains soignants envers les patients en raison d’une nervosité et tension intenses causées par un manque de personnel ainsi qu’une formation tronquée pour les soignants. En effet, à partir de 1992, la suppression du diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique n’a pas aidé à une amélioration des soins. Souvent, le patient se fait infantiliser, rabaisser, et obtient très rarement une écoute attentionnée de la part des professionnels de la santé mentale. Exemple, les « psy-minutes », comme je les appelle, ne prennent en consultation que 5 minutes leurs patients, parfois moins, et sur-prescrivent des médicaments aux personnes en souffrance plutôt que de les aider à aller mieux avec la parole. Les activités proposées sont souvent insuffisantes pour libérer l’esprit des patients… bref, être hospitalisé en psychiatrie n’est pas vraiment efficace. Demandez aux dépressifs qui sont mélangés avec des patients violents si leur séjour est utile ! En général ils sortent de l’hôpital traumatisés et non stabilisés. Mon avis sur votre question est très sommaire, et j’en suis désolé, mais pour énumérer tous les points négatifs d’une prise en charge en psychiatrie, ou même évoquer la souffrance des soignants, qui sont loin d’être tous des monstres, il faudrait un livre de plusieurs tomes, et sans doute un débat national consacré au seul sujet de la psychiatrie en France. Donc j’arrête là.

 

« J’ai rédigé avec le cœur, la souffrance, et cela a été ressenti par les lecteurs… »

 Pensez-vous que les autorités fassent assez pour les personnes qui souffrent de pathologies psychiatriques ?Non ! Il faut encore beaucoup d’argent, la psychiatrie et la santé mentale sont très couteuses. Et la spécialité manque cruellement de financement pour que le travail soit bien fait, c’est-à-dire que le patient soit bien soigné. Le personnel soignant est à bout de souffle et trop peu nombreux, je l’ai dit. J’ai déjà vu, de nuit, dans certains hôpitaux, des équipes de trois soignantes (même pas d’homme costaud en cas de situation critique) pour trente patients dont certains violents. En cas de besoin de renfort, elles devaient attendre le seul agent de sécurité plus de 10 minutes car il n’est pas sur place. Les formations du personnel de psychiatrie sont bâclées ; il doit apprendre sur le tas. Inadmissible ! Le diplôme d’infirmier en secteur psychiatrique doit être rétabli d’urgence.

 

« Il faudrait un livre de plusieurs tomes, et sans doute un débat national consacré au seul sujet de la psychiatrie en France »

 

Dans votre livre, vous utilisez souvent le mot « fou ». Est-ce que ce terme choque vos lecteurs ou votre entourage ?J’ai eu peur au début que cela soit pris de façon péjorative, je l’admets. Mais je n’ai pas écrit pour dénigrer les patients ou soignants, j’ai rédigé avec le cœur, la souffrance, et cela a été ressenti par les lecteurs, qui ne m’ont jamais fait la remarque. Bien au contraire, ils ont apprécié mon style d’humour parfois corrosif, mais toujours authentique et honnête.Quel était le but premier de votre livre?Tuer l’ennui de l’hospitalisation. On n’a pas beaucoup d’activités mis à part manger, tourner en rond et dormir… Et ça, c’est hyper angoissant, j’en parle dans mon livre. Je l’ai écrit aussi pour mes camarades patients et les bons soignants, qui représentent la majorité de mes lecteurs en fait. Bien sûr, j’ai aussi écrit pour ma santé mentale. C’est une passion qui me sert d’exutoire et d’apaisement. L’écriture est très thérapeutique.

« Bien sûr, j’ai aussi écrit pour ma santé mentale. C’est une passion qui me sert d’exutoire et d’apaisement. L’écriture est très thérapeutique »

Pensez-vous que la France devrait « copier » des exemples étrangers dans le suivi des personnes souffrant de pathologies psychiatriques ?Je ne crois pas, on a déjà un modèle en France de psychiatrie institutionnelle qui est la clinique de La Borde. Pourquoi aller chercher ailleurs ? Dans cet établissement, il n’y a pas de classe sociale, de hiérarchie entre les êtres, qu’ils soient professionnels ou patients. Pour soigner les pensionnaires, il y a toute une batterie d’outils, comme les activités, les ateliers, les réunions soignants/soignés. Mais aussi des psychiatres qui prennent tout le temps qu’il faut pour écouter et discuter avec les résidents pour ensuite adapter un traitement efficace et non l’inverse…

 

« Le personnel soignant est à bout de souffle et trop peu nombreux… »

 

Êtes-vous en train de travailler sur de nouveaux livres ?

Je travaille sur un récit philosophique et poétique qui ne traite pas de la psychiatrie, j’ai terminé une nouvelle érotique éditée chez Évidence, et, à ce jour, j’ai en projet la suite de « La Psychothèque ou La Communauté des fous » qui s’intitulera « La Psychothèque ou La Liberté des fous ». J’y parlerai de la psychiatrie institutionnelle et de la clinique de La Borde, un établissement psychiatrique situé à Cour-Cheverny dans le département du Loir-et-Cher, fondé en 1953 par le docteur Jean Oury. Je suis désormais hospitalisé à La Borde, et très bien soigné.

 

Couverture de « La Psychotheque »

 

« La Psychotheque ou la communauté des fous »

De Lionel Belarbi.

Publibook Des Ecrivains

200 pages – 19,95 Euros

 

(Crédit photo à la une © Lionel Belarbi)

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