« Les confins du monde » : Gaspard Ulliel au centre de la guerre d’Indochine et du film
« Les confins du monde » parle de la guerre d’Indochine, de la colonisation sanglante du Vietnam par la France mais surtout d’un soldat français qui rêve de venger la mort de son frère pour donner à toute cette horreur, un semblant de sens.
1946-1954 : Guerre d’Indochine, occupation française du Vietnam, du Laos et du Cambodge. 8 ans de conflit et 500 000 morts avant que les accords de Genève ne soient signés et que l’indépendance de ces trois pays ne soit déclarée. Guillaume Nicloux, le réalisateur du film n’aurait pu parler que de ces événements et de ces faits historiques, de cette chronologie mais non… il s’est servi de la grande Histoire pour raconter la petite qui ne l’est pas vraiment, petite. Au contraire.
L’histoire de Robert Tassen (Gaspard Ulliel), jeune militaire français qui souhaite venger la mort de son frère en tuant son meurtrier est grande. Grande et parlante. Personnelle et universelle. Pendant cette guerre, qui n’a pas perdu un frère sous ses yeux dans d’abominables conditions ? Qui est incapable de comprendre la souffrance de ce soldat, sa colère, son besoin viscéral de justice et surtout sa soif de vengeance qui tourne à l’obsession, qui lui permet de tenir encore debout et de trouver un semblant de sens ?
L’histoire d’une vengeance qui semble plus forte que l’amour
Lors d’un énième massacre dans les tréfonds de la jungle vietnamienne, Robert Tassen voit son frère s’agenouiller et se faire trancher la tête. Son frère et puis des dizaines d’autres. Il est le seul survivant de cet assaut. A partir de ce jour, Tassen n’est plus le même. Plus vraiment vivant. Plus vraiment humain. Plus vraiment sain d’esprit. Il est brisé par le chagrin, dévoré par la colère et aveuglé par la vengeance : il rêve de tuer l’assassin de ses propres mains. De l’agenouiller et de lui couper la tête. Il se fiche de tout le reste. De la guerre d’Indochine qui n’est pas la sienne, des enjeux de la colonisation française, il se fiche de gagner, des risques, de la mort et encore plus de la vie.
Mais, sur son chemin, Tassen va croiser Saintonge (Gérard Depardieu), un écrivain qui a perdu son fils lors de la seconde guerre mondiale et qui l’encourage, par expérience, à combattre sa colère et à faire son deuil. Un discours qui sèmera les premiers doutes dans la tête du militaire français. Puis, Tassen va surtout rencontrer Mai (Lang-Khê Tran), une prostituée vietnamienne d’une beauté singulière, d’une douceur et d’une innocence inespérées. Peu à peu, sans le vouloir, le soldat va décongeler son cœur et tomber amoureux. Il va réaliser que son cœur peut battre encore. Et pour autre chose que la vengeance ou la mort. Mais il ne semble pas prêt, pour autant, à accepter ces sentiments. A renoncer à sa vengeance, à renoncer à faire justice soi-même. A renoncer à honorer la mémoire de son frère, à renoncer à trouver un sens.
Gaspard Ulliel, au milieu de la jungle vietnamienne et au centre du film
On ne voit que lui. Son jeu d’acteur et ses positions, ses grands yeux bleus et ses expressions, ses joues creusées et sa diction. Gaspard Ulliel est au centre de ce magnifique long-métrage. Et de l’intrigue. Il porte tout le film, du début à la fin. Dès la première scène, assis sur un banc, sans bouger, les mains ballantes, la tête baissée, abattu et impuissant jusqu’à l’une des dernières scènes, étrangement ressemblante, un long plan-séquence où il est assis sur un rocher, de profil, les yeux dans le vague, à devoir choisir entre deux options et deux destinées : aller au bout de sa vengeance et ne pas sortir vivant de cette jungle ou renoncer et choisir de pardonner, choisir Mai à l’assassin de son frère, l’amour à la colère, la vie à la mort.
Ce plan dure bien deux minutes. Deux minutes intenses et suspendues, hors du temps. « Guillaume a laissé le plan filer jusqu’à la fin de la bobine… C’est effectivement un plan très éloquent, il raconte tellement de choses (…) Guillaume n’avait rien anticipé au moment où il a dit action, il ne savait pas qu’il laisserait tourner la caméra » explique Gaspard Ulliel.
Et pour réussir à nous faire perdre la notion du temps et nous faire oublier Paris, l’acteur s’est complètement imprégné de son personnage et de son vécu, sans trop s’informer sur la guerre d’Indochine afin de garder une approche émotionnelle et non factuelle, sentimentale et non historique. Un personnage pas facile à interpréter car particulièrement ambivalent : sombre et lumineux, transparent et mystérieux, mort-vivant et fougueux, équilibré et fou de colère, libre et emprisonné par son besoin viscéral de justice. Un personnage qui se bat contre la fatalité, la réalité des faits, contre cette jungle qui s’apparente à un ennemi imaginaire, omniprésent, surnaturel et invisible mais surtout, contre ses propres démons et contre lui-même.
A son sujet, l’acteur confie : « C’est la force du film et de ce personnage : Robert Tassen est nébuleux, ses contours restent flous et laissent une liberté complète d’interprétation au spectateur (…) J’ai pensé ce personnage en accordant une valeur toute particulière à la première séquence du film qui le voit surgir d’un charnier, d’entre les morts. Il y a clairement un aspect spectral chez lui, cette histoire peut être vue comme une sorte d’errance rétrospective de son âme avant le dernier grand voyage. Il y a une construction en boucle qui est saisissante et forte de sens quand on regarde le film qui s’ouvre et se ferme sur la même image ». Comme si le début commençait par la fin ou que la fin n’était que le début.
« Les confins du monde » de Guillaume Nicloux avec Gaspard Ulliel, Gérard Depardieu, Lang-khê Tran et Guillaume Gouix.
Sortie en salles : le mercredi 5 décembre 2018.
Crédit photos : Ad Vitam Distribution