Salvatore Ricciardo – qui participe à une collaboration d’intérêt national financée par le Ministère italien de l’éducation, de l’université et de la recherche (MIUR) – et les historiens des sciences, Franco Giudice de l’Université de Bergame et Michele Camerota, de l’Université de Cagliari, ont terminé un article scientifique sur la découverte qui a été publié dans le magazine de l’institution londonienne : Notes and Records of the Royal Society of London. Quelques jours avant cette publication, Putsch a interviewé Salvatore Ricciardo en exclusivité.
En écrivant cette lettre, quel message Galilée veut-il livrer et à qui s’adresse-t-il ?
L’importance de ce document, qui était connu grâce à des copies non autographiées, est du au fait que, dans ce texte, Galilée s’est exprimé pour la première fois sur les rapports entre science et religion. Cela, suite à la vague de critiques que certains secteurs de l’Église catholique et de l’establishment académique commençaient à avancer contre l’idée du mouvement de la Terre affirmée par Copernic soixante ans auparavant dans le traité « De revolutionibus orbium coelestium » (1543).
Quel est le contenu de la lettre du scientifique pisan ?
Dans sa lettre, Galilée a défendu l’autonomie de la recherche scientifique en séparant clairement les questions relatives à la connaissance de la nature de compétence des scientifiques – qui procèdent à des “expériences sensibles” et à des “démonstrations nécessaires” – et au contenu des Écritures Saintes. La fonction de la Bible, expliquera Galilée, n’est pas d’enseigner le mouvement des cieux – c’est-à-dire des vérités concernant l’astronomie – mais d’apprendre aux hommes la voie qui mène au ciel, c’est à dire le chemin des âmes vers le salut, le salut des âmes.
Que représente la lettre que vous avez découverte?
La découverte de l’original écrit par la main de Galilée est en soi importante car, comme indiqué avant, jusqu’à présent le contenu n’était connu que par le biais de copies réalisés par des tiers. De plus, la découverte de ce document jette une lumière différente sur les événements qui ont conduit en 1616 à l’inscription du traité De revolutionibus dans l’Index librorum prohibitorum : l’index des livres interdits par l’Église catholique. En autre, toujours en 1616, le théologien Roberto Bellarmino, qui s’était déjà occupé du procès au frère dominicain Giordano Bruno a averti Galilée en lui ordonnant d’abandonner l’opinion sur le mouvement de la Terre et en lui interdisant de la défendre en public, verbalement ou par écrit. C’était précisément la lettre à Castelli qui constituait l’un des «éléments de preuve» présentée contre Galilée. Une copie de ce document a en fait été envoyée à Rome le 7 février 1615 par l’un des adversaires de Galilée, le moine dominicain florentin, Niccolò Lorini, pour le soumettre à examen de l’Inquisition.
Cette copie, aujourd’hui conservée dans les Archives Secrètes du Vatican, est cruciale dans cette histoire, car contrairement aux autres exemplaires en circulation, elle contient des expressions plus puissantes du point de vue théologique. À l’époque, Galilée a précisé que quelqu’un avait modifié l’original en altérant ses paroles pour qu’il soit mal vu.
Quelles nouvelles informations ce document fournit-il sur Galilée et son époque?
Comme je l’ai dit, cela jette une lumière nouvelle sur les événements du prétendu « premier procès » contre Galilée. En fait, avant de faire cette découverte, étaient déjà connus douze exemplaires de la lettre de Benedetto Castelli. Onze parmi eux sont essentiellement identiques, alors que la copie envoyée par Lorini à Rome présente des variations significatives, par exemple on peut y lire que la Bible « contient de fausses propositions quant au sens nu des mots» (c’est-à-dire le sens littéral des mots), tandis que le reste des copies indiquent que les Écritures contiennent parfois des déclarations « qui semblent éloignées de la vérité quant au sens nu des mots ». Dire « éloigné de la vérité » et « faux » sont évidemment des choses différentes. Bien que la différence puisse aujourd’hui sembler insignifiante, elle était tout à extrêmement importante à cette époque-là, notamment aux yeux des inquisiteurs. Galilée a clairement indiqué que ses ennemis avaient modifié ses propos.
Pourquoi le document trouvé à Londres est-il si déterminant ?
L’original conservé à la Royal Society est d’une importance cruciale. Le document présente en effet de nombreuses intégrations et annulations. Si nous supprimons toutes ces corrections, le texte restant est exactement celui de la lettre envoyée par Lorini à Rome. Cela nous amène à la conclusion qu’en réalité, Galilée avait initialement l’intention d’utiliser ces expressions plus « dures ». Plus tard,compte tenu de la tournure que prenaient les événements, il corrigea le texte afin de prendre moins de risques. En ce sens, comme tout être humain guidé par l’instinct de conservation de soi, Galilée a essayé de se défendre comme il pouvait. De plus, il ne faut pas oublier que, seulement treize ans plus tôt, le 17 février 1600, Giordano Bruno avait été brûlé vif (suite au procès organisé contre lui par la Sainte Inquisition, nldr) sur la place romaine de Campo dei Fiori.
Comment est-il possible qu’un document aussi important soit resté caché dans une archive pendant des siècles?
La lettre se trouve ans à la Royal Society depuis environ 250 ans. Cependant, elle a échappé à l’attention des historiens. Les raisons peuvent être multiples. L’indication d’une date incorrecte de la lettre, dans les catalogues des archives de la Royal Society, a pu jouer un rôle. Plus simplement, le fait que peu de gens auraient soupçonné qu’un document antérieur d’environ 47 ans à compter de la fondation de la société scientifique anglaise (1660) se trouvait là. Je me suis occupé de Benedetto Castelli, en publiant récemment une édition de ses écrits sur la plomberie et la philosophie naturelle. C’est mon intérêt pour Castelli qui m’a amené à découvrir ce document, dont je connaissais évidemment l’histoire. Cela parce que Castelli est le destinataire des premières réflexions de Galilée sur la relation entre la science et la foi.
De nos jours, parler de racines ou de traditions est considéré comme un tabou par crainte de tomber dans la récupération politique. Croyez-vous que des chercheurs comme vous peuvent travailler pour recréer une atmosphère de paix autour de ces questions ?
Je pense qu’il est essentiel de connaître ses racines, non seulement pour comprendre le présent, mais aussi pour orienter l’avenir. Mais nous risquons de tomber dans la rhétorique, ce que je n’aime pas du tout.
Après cette découverte, sur quoi allez-vous travailler à présent ?
Tout d’abord, je poursuivrai les projets que j’avais avant de faire cette découverte et j’essaierai de faire ce que j’estime être une partie essentielle de mon travail : enseigner. En ce qui concerne la lettre, les travaux de recherche ne concernent pas que moi, que j’ai matériellement découverts et portés à la connaissance des spécialistes de l’histoire des sciences. Cela est le fruit d’une collaboration avec deux des principaux spécialistes de Galilée, Franco Giudice et Michele Camerota. Ensemble, nous prévoyons de préparer une édition critique de la lettre à Castelli dans laquelle le lecteur pourra comparer le texte de l’original avec toutes les copies connues à ce jour. Avant tout, nous traiterons de la reconstruction du chemin tracé par la lettre, en essayant de comprendre comment elle est parvenue des mains de Galilée à l’Angleterre, où elle a été conservée pendant toutes ces années dans les archives de la Royal Society.
Crédit de la photo à la une : Portrait de Galilée conservé au Metropolitan Museum de New York. [Titre officiel de l’oeuvre : « Galileo Galilei, printer’s sample for the World’s Inventors souvenir album (A25) for Allen & Ginter Cigarettes » – Droits d’auteur : CC0 1.0 universel (CC0 1.0) Transfert dans le Domaine Public. Lien de l’image]