Enseigner le cannabis dans les universités canadiennes : un pas en avant pour la santé publique ?
Alors que la légalisation du cannabis, à usage récréatif, est entrée en vigueur le 17 octobre dernier, le Canada est devenu le 1er pays du G7 à autoriser la marijuana, au niveau fédéral, et le 2ème au monde, après l’Uruguay. Cette nouvelle industrie, qui pourrait d’ailleurs devenir plus importante que celle du vin ou de la bière, serait en mesure de générer un potentiel de croissance et d’emplois. Conscients de cette réalité, des établissements d’enseignement supérieur canadiens proposent, de plus en plus, des programmes de formation spécialisée dans la culture de cette plante, dans le but de former les futurs professionnels du « pot ».
Putsch s’est entretenu avec Anja Geitmann, doyenne de la Faculté des Sciences de l’Agriculture et de l’Environnement de l’Université McGill, à Montréal, qui s’apprête à lancer la 1ère formation universitaire du genre au Québec.
A Vancouver, c’est l’Université Polytechnique Kwantlen (KPU) qui propose des cours sur la production industrielle et la vente de cannabis. Le collège communautaire du Nouveau Brunswick, quant à lui, permet d’étudier les techniques de culture du cannabis. À Toronto, en Ontario, le collège Niagara a accueilli sa première promotion à la rentrée dernière, sur la production de marijuana commerciale.
Dans la province du Québec, c’est donc l’Université McGill, à Montréal, qui compte ouvrir, à l’automne 2019 ou l’hiver 2020 au plus tard, un programme universitaire, de deuxième cycle : « Nous sommes la première université (ndlr québécoise) du groupe U15 à annoncer un programme académique », précise Anja Geitmann. Le Cégep de Gatineau, en Outaouais, a lui aussi ouvert un programme en automne dernier, mais comme le précise la doyenne, la particularité de l’Université de McGill réside dans les prérequis : il est obligatoire de posséder un diplôme de premier cycle (l’équivalent d’une licence, en France) pour intégrer le programme. « Nos gradués auront la formation nécessaire pour entrer dans l’industrie en tant que chef d’équipe, maître cultivateur… », se félicite la doyenne, précisant ainsi qu’il s’agit d’une formation académique de niveau supérieur, ciblant une « clientèle différente » de celle des Cégep, qui offrent des programmes pré-universitaires.
Des cours de production et de vente de cannabis
Le département de McGill dispensera des cours entourant tous les aspects du cannabis médical dans le but de former des professionnels du pot hautement qualifiés, prêts à intégrer le marché du travail de cette industrie. Les métiers visés ? Gestionnaire de l’assurance qualité, spécialiste en durabilité ou en irrigation, chef de l’équipe de propagation…etc.
D’une durée d’un an (3 semestres), cette formation proposera des cours liés « à la production, la culture, la recherche, aux lois, aux réglementations, à la santé et à la sécurité », nous détaille la fiche diplôme, avec un intérêt porté à la gestion d’entreprise et à la chimie médicinale des cannabinoïdes. Anja Geitmann souligne même que le département a déjà établi des contacts avec plusieurs partenaires industriels dans le but de permettre l’organisation de conférences par des représentants de cette industrie ainsi que de favoriser l’accès aux stages pour les étudiants participants au programme.
Précisant que cette industrie cible aussi bien le marché récréatif que médicinal, Anja Geitman estime qu’il s’agit là d’un « potentiel énorme » pour l’utilisation du cannabis dans un contexte pharmaceutique. « Plus la recherche avance sur les effets des 400 cannabinoïdes produits par la plante, plus le cannabis et ses composantes chimiques vont pouvoir être utilisés à des fins médicinales », explique la doyenne, tout en soulignant l’importance de former une main d’œuvre hautement qualifiée.
Une professionnalisation nécessaire pour faire avancer la recherche
Dans un éditorial du 15 octobre dernier, Diane Kelsall, la rédactrice en chef du Canadian Medical Journal Association, déplore des conséquences néfastes liées à la légalisation du cannabis et craint une hausse de la consommation ainsi que des effets sur la sécurité routière.
Anja Geitmann concède que la légalisation ne se déroulera pas sans heurt. À l’image de l’alcool, la consommation de cannabis est incompatible avec la conduite ou même certains métiers. Selon elle, il est nécessaire d’obtenir davantage de données scientifiques pour comprendre totalement l’effet de la consommation de cannabis sur l’humain. Cependant, l’universitaire s’oppose à l’idée selon laquelle la légalisation augmenterait la consommation : « Il n’y a qu’à regarder dans d’autres pays où le cannabis a été légalisé ou décriminalisé. En général, les statistiques montrent que l’utilisation à des fins récréatives n’est pas plus élevée que dans les pays ou l’utilisation reste criminelle, au contraire ».
Également, elle explique que la présence de points de vente légaux, comme les succursales de la SQDC (Société québécoise du cannabis) restreint les risques liés au marché noir puisqu’il n’y a plus de vendeur attitré. « La tentation d’essayer un autre produit illégal, proposé par son dealer, est éliminée », affirme-t-elle.
Optimiste, la doyenne de la Faculté estime même que l’usage du cannabis, à des fins médicinales, devrait augmenter en corrélation avec le niveau de connaissance lié aux effets de la plante. Ce nouvel usage thérapeutique, basé sur un produit végétal, pourrait même remplacer certains médicaments utilisés aujourd’hui et jugés plus dangereux pour la santé.
Former des professionnels du cannabis pour mieux encadrer et faire avancer la recherche ? C’est l’un des objectifs du programme dispensé à McGill. D’autres formations, comme celle de l’Université de Guelph (en Ontario) ou le Cégep de Sherbrooke (au Québec), pourraient voir le jour prochainement. Un nouvel enseignement qui pourrait devenir indispensable dans une industrie grandissante comme celle du cannabis.
1 – U15 = Regroupement des universités de recherche du Canada (dont les Universités de Toronto, Alberta, Calgary, Ottawa…)