« Heureux comme Lazzaro » : des ouvriers qui arrivent en retard à ce grand rendez-vous de l’Histoire

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La bonté n’est pas toujours récompensée. Parfois, on ne  l’apprécie même pas. Le Karma n’est pas toujours juste. Parfois, il est complètement en retard. Le monde n’est pas toujours changé par le héros de l’histoire. Parfois, il n’essaye même pas. Et parfois, le bonheur ne dépend   pas de  ça. Mais que de soi. 

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C’est étrange comme l’Homme a souvent besoin d’exploiter la gentillesse, l’ignorance ou la misère. Comme l’Homme a souvent besoin de piétiner l’innocence, la différence et la nature. Et c’est de ça dont parle le film Italien « Heureux comme Lazzaro », réalisé par Alice Rohrwacher.

D’un homme ingénu d’une exceptionnelle bonté, exploité par les autres paysans, eux-mêmes exploités par Alfonsina De Luna, une marquise de l’Italie centrale. Lazzaro (Adriano Tardiolo) est comme en bout de chaîne. Il pense à tout le monde et personne ne pense à lui, personne ne protège ses arrières. Encore moins, sa délicatesse et sa gentillesse. Il aide tout le monde et personne ne le remercie, ne lui rend la pareille. Il est la victime de tout le monde, lui qui n’est le bourreau de personne.

Lazzaro est sous-estimé, maltraité, utilisé, incompris et surtout seul. Il n’a qu’un seul (faux) ami : Tancredi (Luca Chikovani), le fils de la marquise. Il ressemble ainsi à une bête isolée, un saint déchu ou un ange déplumé. Une force de la nature qui ne trouve pas sa place sur terre, qui ne la cherche même pas. Lazzaro se contente d’endosser les tâches les plus dures sur le chantier de la marquise. Il se contente de rendre un travail bien fait, de faire ce qu’on attend de lui, il se contente d’exister. Sans réaliser qu’on profite de lui, sans prendre conscience de ses capacités et sans se demander s’il est heureux. Comme s’il se fichait de son propre bonheur ou que celui-ci se trouvait dans la satisfaction des autres. Sans se révolter, se libérer et sans même s’exprimer. Telle une victime passive qui n’a même pas conscience d’en être une. Ce qui, au passage, scandalise et fruste le spectateur impuissant qui rêverait de bondir de son fauteuil pour le défendre et le secouer.

Un scénario inspiré de faits réels récompensé au Festival de Cannes…

Réalisé par Alice Rohrwacher, ce film a reçu le « prix du scénario » au Festival de Cannes. Un scénario inspiré par une histoire vraie. L’histoire d’une marquise de l’Italie centrale (Nicoletta Braschi, l’épouse de Roberto Benigni, Ndlr) qui a caché à ses ouvriers-paysans l’abolition du métayage (un bail rural dans lequel un propriétaire confie à un métayer la tâche de cultiver ses terres en échange d’une partie de la récolte) dans les années 80. Une grande duperie rendue possible par un contexte bien précis : à cause de l’isolement des propriétés de la marquise, coupées de l’actualité et du monde mais aussi de la candeur des ouvriers, déconnectés de la culture et de la réalité. Des ouvriers qui ne profitent pas, du coup, de l’abolition de ces siècles d’exploitation et de l’établissement de véritables contrats régis par l’État. Des ouvriers qui arrivent en retard à ce grand rendez-vous de l’Histoire.

Sans conteste, le scénario mérite son prix. Très bien pensé et écrit. Ce dernier parle de la pauvreté et de la richesse, de la bonté et de l’égoïsme, de l’innocence et de la perversion, du meilleur et du pire, des traditions et de la modernité, de la campagne et de la ville, du passé et du présent. Et ces paradoxes provoquent de nombreuses questions : c’était mieux quand ? Où ? Comment ? Pourquoi ? Et à qui la faute ? A la marquise qui exploite ou aux paysans qui acceptent ? Aux paysans qui exploitent Lazzaro ou à Lazzaro qui, malgré sa bonté, n’a aucune notion du bien et du mal ?

Un scénario donc bien ficelé mais également bien tourné. En super 16 et non en numérique pour des images encore plus claires et plus réelles, pour des couleurs douces et nostalgiques. L’esthétisme de ce film est d’une grande qualité.

… parfois trop lent, passif et muet

Cependant, le scénario n’échappe pas à de nombreuses lenteurs. Parfois, le geste est trop lent, trop détaillé et répété. Parfois la scène est trop longue ou trop silencieuse. Tout au long du film, qui dure quand même 2 bonnes heures, il y a très peu de dialogues et d’échanges. Très peu de mots mais beaucoup de regards. Très peu de réponses mais beaucoup de questions. Très peu d’affirmations mais beaucoup de sous-entendus. Très peu de clarté et beaucoup de mystère. Très peu d’actions et beaucoup d’invraisemblances. Comme si, sous les yeux des spectateurs médusés, un conte de fée devenait réel et un être humain, un loup sauvage. Comme si l’imaginaire délivrait une vérité. Une vérité joliment poétique mais légèrement opaque.

 


« Heureux comme Lazzaro »

Un film réalisé par Alice Rohrwacher.
Avec Adriano Tardialo, Alba Rohrwacher, Luca Chikovani, Tommaso Ragno et Nicoletta Baschi.
Sortie en salles le 7 novembre 2018 (2h06).

 

(Crédit photo : Tempesta)

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