Un lycéen braque son professeur avec une arme : quand les réponses administratives céderont-elles la place aux actions de terrain ?
Tribune de Bruno Pomart Ancien policier du Raid, Bruno Pomart est le Maire sans étiquette de la commune de Belfou dans l’Aude. Il est également le président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation (www.raid-aventure.org ).
La vidéo a scandalisé toute la France ce week-end : dans un lycée professionnel de Créteil – sous l’autorité de l’ancien rectorat du Ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer –, elle montre un jeune en train de braquer son professeur avec une arme pour la contraindre à le noter « présent ». Celle-ci, quoique choquée et angoissée car elle ignorait que l’arme était factice, a réagi en faisant semblant de rien, elle a agi « le plus intelligemment possible » selon ses termes, pour ne pas envenimer la situation. Et c’était la meilleure chose à faire : ne pas montrer qu’elle avait peur pour ne pas perdre totalement le contrôle face à l’agressivité de cet élève et aux rires de ses camarades ! Cela demande un courage et une maîtrise de soi incroyable ! Mais cela soulève également la question de la dangerosité d’être professeur aujourd’hui !
Suite à cette affaire, les témoignages de professeurs victimes de violences de la part de leurs élèves se sont multipliés sur les réseaux sociaux (#pasdevague), dénonçant à la fois ces violences et le comportement dégradé de nombreux élèves, pas uniquement dans les collèges et lycées classés sensibles, mais aussi le manque de soutien de leur hiérarchie qui préfère minimiser les faits plutôt que d’aligner les conseils de discipline, qui dévalueraient leurs établissements. Ainsi, non seulement ces professeurs sont reniés dans leur autorité, installant un climat d’impunité chez les élèves, mais en plus, les professeurs doivent assumer seuls, moralement et financièrement, les conséquences psychologiques de ces agressions !
Le gouvernement a répondu à ces appels au secours en annonçant une série de mesures telles que la possibilité d’interdire le portable dans les lycées, comme c’est déjà le cas au collège, créer des structures spécialisées pour les « cas difficiles » afin de responsabiliser les familles, et mettre en place un comité stratégique avec le Ministère de l’Intérieur pour « coordonner l’ensemble des acteurs en matière de sécurité à l’intérieur comme à l’extérieur des établissements ».
« Quand je vois la gravité des faits et, en regard, la légèreté des réponses politiques – aucune mesure concrète à part l’interdiction des portables ! –, je ne peux que m’indigner de l’injustice faite aux professeurs »
Quand je vois la gravité des faits et, en regard, la légèreté des réponses politiques – aucune mesure concrète à part l’interdiction des portables ! –, je ne peux que m’indigner de l’injustice faite aux professeurs. Ceux-ci sont les garants de l’éducation intellectuelle de nos enfants. Or depuis plusieurs années, leur formation ne cesse de régresser et les jeunes enseignants, tout juste sortis des concours, sont envoyés quasi systématiquement dans les établissements les plus difficiles. De plus, qu’un professeur sorte à peine des études, ou qu’il ait opéré une reconversion après une autre carrière souvent plus rémunératrice, il débute avec le même salaire minimal, très en-dessous de la moyenne de nos voisins européens. Enfin, les réformes successives des programmes les obligent à en faire apprendre toujours plus à leurs élèves, avec toujours moins d’heures, tout en se voyant imposer des heures de soutien et des réunions pédagogiques qui n’ont pas fourni la preuve de leur utilité jusqu’à présent. Comment s’étonner alors de la crise des vocations dont souffre le corps enseignant ? Et comment y répondre ?
En mettant en place un comité stratégique ? Soyons réalistes : même si la volonté de Christophe Castaner de lutter contre les violences à l’école et aux abords de celle-ci est bonne en théorie, ce n’est pas d’une étude supplémentaire dont les collèges et lycées de France ont besoin. J’ai moi-même participé en 2011, sous la tutelle de Brice Hortefeux, à la rédaction d’un livre blanc sur la sécurité en milieu scolaire, des heures et des heures de travail intense et de rendez-vous pour un livre qui est resté lettre morte…
« Même si la volonté de Christophe Castaner de lutter contre les violences à l’école et aux abords de celle-ci est bonne en théorie, ce n’est pas d’une étude supplémentaire dont les collèges et lycées de France ont besoin »
Les Français connaissent par cœur les réponses administratives et les réactions convenues des politiques : tous les gouvernements ont eu les mêmes, mais lesquelles ont été mises en pratique ? Lesquelles ont débouché sur des améliorations réelles ? Alors que tous les éléments de terrain sont en présence depuis longtemps, le partenariat entre l’Éducation Nationale et le Ministère de l’Intérieur semble encore une gageure pour la majorité du corps enseignant.
Ainsi, en 1995, quand je suis arrivé à Corbeil-Essonnes en tant que membre associatif, pour travailler en proximité sur le quartier des Tarterets, et collaborer avec les collèges locaux, les principaux m’ont claqué la porte au nez, estimant qu’un ancien du RAID n’avait rien à faire « chez eux ». Quant à l’Inspecteur de la Jeunesse et de Sports de l’Essonne, il m’a clairement dit que la police servait à faire de la répression, non de l’éducation. Si le positionnement des membres de l’Éducation Nationale n’a pas bougé depuis – comme je le crains – aucune mesure gouvernementale ne pourra faire de ce partenariat un succès.
« Ainsi, en 1995, quand je suis arrivé à Corbeil-Essonnes en tant que membre associatif, pour travailler en proximité sur le quartier des Tarterets, et collaborer avec les collèges locaux, les principaux m’ont claqué la porte au nez, estimant qu’un ancien du RAID n’avait rien à faire « chez eux » »
Il faut changer notre façon d’appréhender l’éducation. Jean-Michel Blanquer a raison sur un point : l’Éducation Nationale ne peut y arriver seule. Tous les acteurs de terrain doivent être mobilisés – écoles, associations, élus locaux, préfets, parents, etc. –, et les mentalités doivent évoluer pour ne plus les placer en concurrence mais en collaboration. De la même manière, tous se doivent d’adopter un comportement exemplaire : comment voulez-vous rétablir l’ordre et le respect de l’autorité, que ce soit envers l’école ou la police, quand un élu de la République lui-même manque de respect à des policiers et à un procureur ? De telles images, largement diffusée, ainsi que des années de laxisme dans les milieux scolaires ont conduit à cette crise dont les premières victimes sont les professeurs et ceux des élèves qui aimeraient travailler et apprendre en cours.
Tout d’abord, outre redonner les moyens humains et financiers que les établissements voient fondre d’année en année, il me paraît donc urgent de revenir sur l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, en fixant un âge sur la responsabilité pénale des mineurs, en rétablissant des peines planchers, et en prononçant des peines exemplaires pour les faits les plus graves. Les adolescents mineurs doivent cesser de croire que leurs actes n’auront pas de conséquences et resteront impunis, car c’est exactement ce qui mine l’autorité des professeurs, tout comme des surveillants, des éducateurs et des policiers, déjà tous en sous-effectifs.
Ensuite, au lieu d’une commission administrative peu utile, pourquoi ne pas utiliser les dispositifs et les fonctions existants ? Si l’Éducation Nationale ne peut assumer seule la sécurité dans ses établissements, les préfets le peuvent, cela fait même partie intégrante de leur mission. Et auprès d’eux, les préfets à l’égalité des chances, et surtout leurs délégués au plus près du terrain, pourraient tout à fait, si on les laissait jouer pleinement leur rôle, améliorer la discipline en milieu scolaire et extrascolaire, ainsi que la médiation entre professeurs, élèves, parents, administration, et acteurs extérieurs. En effet, « ces fonctionnaires ont pour mission d’animer et de coordonner, avec les élus locaux, le milieu associatif et l’ensemble des acteurs de l’intégration, les dispositifs de l’État dans les domaines de l’emploi, de l’éducation, du logement, de la rénovation urbaine, de la citoyenneté. L’objectif est de rendre plus effectif le pacte républicain, promouvoir la cohésion sociale, lutter contre les discriminations et favoriser l’intégration des populations immigrées, en tenant compte des spécificités de chaque territoire ». Ils ont donc une réelle légitimité et une réelle capacité d’action, tout comme les associations. Le rôle éducatif des associations, en particulier sportives et culturelles, mais aussi toutes celles qui favorisent le resserrement du tissu social, n’est plus à prouver. Elles aident en outre à rapporter de la sécurité dans les écoles, en travaillant sur celle des alentours, où les rixes entre bandes sont fréquentes. Mais pour éviter les déperditions de subventions à destination de fausses associations ou de fausses actions, et pour récompenser celles qui œuvrent vraiment pour le mieux vivre ensemble et la citoyenneté, je propose la création d’un label Association à Valeur Républicaine.
« Face à la montée des violences, l’école n’est donc pas seule : il faudrait simplement que son administration ouvre ses portes sur ce que peut lui apporter l’extérieur, et que ses dirigeants cessent de vouloir tout régler en interne à grand renfort de réformes théoriques »
Face à la montée des violences, l’école n’est donc pas seule : il faudrait simplement que son administration ouvre ses portes sur ce que peut lui apporter l’extérieur, et que ses dirigeants cessent de vouloir tout régler en interne à grand renfort de réformes théoriques. Une grande partie de la réponse à ce problème est déjà en place, ce qui lui manque, c’est la coordination, le « jeu collectif », des partenariats non politiques mais humains. C’est maintenant qu’il faut agir. Cette vidéo glaçante a eu le mérite de réveiller les consciences, les laisserons-nous se rendormir après un ou deux discours, jusqu’à la suivante encore plus choquante et désastreuse ? Je ne l’espère pas.