« Je, tu, elle » : Une magnifique autopsie de la passion
Depuis la nuit des temps, on sait que toute passion est triangulaire. Mieux que personne, René Girard, dans son brillant essai « Mensonge romantique et vérité romanesque » (Grasset) a analysé les affres d’Eros, ce désir du désir de l’autre qui nous pousse à aimer à la folie, dans une spirale infernale où la souffrance s’apparente à un délicieux poison.
« Je, tu, elle»
, explore ce vertige dans une magnifique autopsie de la passion avec tout ce qu’elle contient d’autodestructeur, d’égotiste, de ravageur et de sublime.
On pense alors à « Passion simple » d’Annie Ernaux tant la narratrice vit dans l’attente ravagée par le manque de l’autre, cet autre, ce « tu » aimé, trop aimé qui l’a délaissée. Son roman triptyque s’articule en jeux de miroirs autour de trois parties, trois voix qui se livrent et se répondent. Il y a d’abord le « Je », la narratrice qui s’exprime tantôt à la première, tantôt à la deuxième personne, afin de nous faire partager ce qui la dévore, la ronge, la hante : l’homme qui lui a fait découvrir la jouissance, celui qu’elle désire à la folie, vient de la quitter. S’en suit, la voix de « tu », l’amant, comédien musicien, dominé par cette femme dévorante, qui tend à retrouver sa liberté. Puis « elle », l’actrice, une femme accomplie, maman de deux petites filles, témoin et enjeu du couple. Cette construction intelligente donne au lecteur un regard distancié qui permet de mieux cerner les états d’âme de chacun, de conduire le roman vers une porte de sortie apaisante.
Car, toute la force de cette plongée dans le bain des pulsions réside dans un lâcher-prise, une vérité poignante, celle des corps qui exultent, des corps irradiés par le plaisir, délaissés, assoiffés, révoltés. Oui, dans ce texte brûlant, à vif, juste et puissant, nous ne pouvons qu’être saisis par l’énergie qui s’en irradie, par la force de cet appel à vibrer, à s’embraser. Journaliste au Parisien week-end, Adeline Fleury écrit au plus près des émotions, d’un style charnel, voire durassien où l’humour n’est jamais loin de la tragédie. Un grand roman dense et bouleversant qui mériterait un prix littéraire.
« Je, tu, elle», d’Adeline Fleury
Editions François Bourin
272 pages, 19 Euros