Quand avez-vous décidé d’écrire ce livre ? Quel a été le « déclic » ?
En 2008, alors que je terminais l’écriture de mon premier roman, j’ai été recruté pour travailler dans un cabinet politique en tant que plume puis directeur de cabinet et de communication. Jusqu’en 2017, j’ai exercé ce métier, et publié deux romans. Le déclic pour « Tuer Jupiter » est arrivé quand j’ai décidé d’arrêter la politique définitivement après dix années passées dans cette grande lessiveuse, ce combat incroyable pour conquérir toutes les parcelles de pouvoir de la République, partout, tout le temps.
Pourquoi choisir de « Tuer Jupiter » ? Comment l’idée a-t-elle été reçue par l’éditeur ?
De tous les auteurs qui m’ont influencé, James Ellroy est mon maître. Son roman Le Grand Nulle Part, est mon livre éternel. La lecture de ce livre m’a marqué comme probablement aucun livre ne me marquera plus jamais. Mais une autre de ses œuvres maîtresses est American Tabloïd : un roman de 1000 pages consacré à l’administration Kennedy et qui s’achève avec l’assassinat à Dallas le 23 novembre 1963. La référence à JFK dont a usé Emmanuel Macron, notamment à l’occasion de ses premiers vœux aux Français, ce substrat Ellroy qui m’habite et peut-être aussi All the way, très bon téléfilm sur Lyndon B. Johnson que j’ai visionné à cette période ont été les germes de ce projet.
Ensuite, j’ai eu envie de représenter mon époque telle que je la vis, telle que je la perçois, telle qu’elle se fabrique. Ce qui caractérise notre temps, est, je pense, la rencontre inédite entre la puissance de calcul de nos systèmes informatiques et les capacités de diffusion de l’information, en particulier avec la fibre optique. Le système de communication qui en découle sape toutes les structures pyramidales de pouvoir, des entreprises jusqu’aux régimes politiques. C’est pour cette raison que j’ai placé en exergue de « Tuer Jupiter » la plus célèbre formule de Marshall McLuhan, théoricien de la communication : « The Medium is the message ». Dans la société du spectacle 2.0 telle que nous la vivons, les réseaux sociaux s’imposent aux côtés de la radio ou de la télévision. Ce ne sont plus des médium « chauds » comme ces derniers, mais des médias bouillants, de vrais soleils. Nous vivons une époque où Donald Trump fait de la politique étrangère sur Twitter ! Et c’est là le propos principal de mon livre. Pour rendre compte de cet état des choses, la politique, rien de plus et rien de moins que le vivre avec les autres, m’est apparu comme un cadre extrêmement prometteur. Si j’ai pris la décision d’ »assassiner » Emmanuel Macron c’est pour mettre en scène la plus incroyable Fake News que j’avais à ma disposition.
Quant à mon éditeur, Pierre Fourniaud, le fondateur de La Manufacture de livres, je lui ai présenté le projet en buvant un Perrier à la terrasse d’un café. Il m’a dit oui en moins de trois secondes. Il me suit depuis mes débuts et a publié mes deux premiers romans. Il a même pris l’initiative de rééditer mon premier roman La Politique du tumulte, qui est en quelque sorte le roman noir de la guerre Chirac-Balladur. Je lui en suis très reconnaissant et je suis très fier de travailler avec lui. Je pense qu’il a confiance en moi, comme j’ai confiance en lui.
« J’ai l’intuition que Laurent Wauquiez va nous faire du Trump jusqu’en 2022. S’il s’y prend bien, il a une chance d’être au second tour… »
Avez-vous eu des contacts avec l’Élysée ou La République en Marche ?
Non, aucun. Je ne sais pas si mon éditeur a envoyé le livre à la Présidence de la République. Mais nous avons un Ministre de l’intérieur. Et je n’ai aucun doute sur le fait que ses collaborateurs ou ceux du Président de la République, qui sont des personnages secondaires du livre, ont eu le livre entre les mains assez tôt. La République est organisée, les cabinets du Ministre de l’Intérieur et de l’Elysée sont compétents.
Quant à La République en marche… C’est une forme de fiction à sa manière. S’il faut une maison-mère pour se partager les investitures, collecter les fonds, je pense qu’Emmanuel Macron n’a pas besoin de clergé. C’est un homme qui a mis en place un système très horizontal avec quelques hommes de confiance à ses côtés. Notre président a un rapport très direct avec son peuple. Mon personnage d’Emmanuel Macron en parle d’ailleurs dans mon roman à propos de Narendra Modi, le premier ministre indien qui ne parle pas aux journalistes, ne fait pas de conférence de presse, mais parle directement à ses followers. Aujourd’hui plusieurs leaders politiques qui ont compris notre société du spectacle 2.0 fonctionnent de la même façon et dominent la scène politique française : Mélenchon, Macron, Le Pen.
J’ai l’intuition que Laurent Wauquiez va nous faire du Trump jusqu’en 2022. S’il s’y prend bien, il a une chance d’être au second tour. Mais pour l’instant, il en est aux prémices, même s’il exaspère déjà les caciques du parti. Il va multiplier les transgressions pour faire parler de lui, s’approprier ce que les dominants appellent avec mépris le petit peuple. Ces gens qui votent Le Pen en priorité et qu’Emmanuel Macron a sciemment décidé d’ignorer, qu’on catégorise sous un artéfact commode et lyrique, les vaincus de la mondialisation…
Si votre livre n’avait pas été terminé avant l’été, auriez-vous parlé de « l’affaire Benalla » ? Comment ?
J’ai inséré à l’occasion d’une réimpression deux légères références à Alexandre Benalla dans le texte. C’est évident qu’au-delà du thème assez «casse-gueule» (tuer le président de la République…), le grand risque de mon projet littéraire résidait dans le fait que j’écrivais de la fiction sur des personnages réels et ultra contemporains en situant l’action de mon roman à la période de l’automne 2018. En écrivant, j’avais toujours à l’esprit que je parlais d’une réalité qui pouvait changer chaque seconde. J’ai écrit 80% de ce livre sur un voilier : je traversais l’Atlantique Nord et je n’ai pas eu de connexion Internet durant 21 jours. En janvier 2018, j’étais en train d’écrire une scène sur Trump en évoquant la CIA qui travaillait à faire de lui le grand artisan de la réconciliation des deux Corées. Et je me disais devant mon ordinateur entre deux creux de cinq mètres que ce mec pourrait tout aussi bien être en train de déclarer la guerre à l’Iran et que je ne l’apprendrais qu’en posant le pied en Martinique…
Pour revenir à l’affaire Benalla, je ne considère pas que ce soit une affaire d’Etat. Elle questionne surtout la notion du monopole de la violence légitime dans les démocraties de marché. Un CRS a le pouvoir d’être violent. Il y a des violences policières. Le policier est désormais une forme de héros. Quand une société a pour héros le policier, cela en dit long sur l’état de psychose collective dans lequel nous sommes. Artiste ? Professeur? Non, policier…
« J’ai pour ma part choisi l’irrévérence sans hésitation puisque notre
société du spectacle 2.0 génère un rapport fanatique ou violent à la politique »
Vous avez donné des images très réalistes des coulisses du pouvoir. Pourquoi ce choix de décrire dans le moindre détail les caractéristiques physiques de certains leaders mondiaux ?
Les leaders mondiaux sont des animaux à sang chaud comme vous et moi. Je voulais par exemple rendre Vladimir Poutine bien humain. Histoire de désacraliser le mythe du personnage qu’il nous montre, l’ancien agent Platov du KGB.
L’acte d’écrire oscille toujours entre un rapport critique au champ artistique dans lequel le romancier se place et un rapport critique au monde. J’ai pour ma part choisi l’irrévérence sans hésitation puisque notre société du spectacle 2.0 génère un rapport fanatique ou violent à la politique. Rire des maîtres qui nous asservissent, c’est aussi parler des valets que nous sommes.
Ne craignez-vous pas que votre livre soit considéré comme un outil de critique politique ? Ou une source potentielle de Fake News ?
Lorsque j’écris, je n’ai pas de but militant, simplement un rapport esthétique au monde. J’ai écrit des romans noirs, un genre littéraire qui s’est essayé à un rapport idéologique à notre société (avec le néo-polar au tournant des années 80). Ce courant littéraire a produit beaucoup de mauvais livres diffusant une mauvaise vulgate vaguement marxiste. Les romans qui sont restés sont ceux des véritables écrivains, ceux qui avaient ce rapport esthétique au monde, théorisé comme chez Manchette, ou plus viscéral comme chez Fajardie. Donc, non, je n’ai pas écrit un livre militant, je n’ai pas écrit un roman contre ce pouvoir.
J’ai écrit une forme d’algorithme littéraire sur la datasphère avec un matériau qui me permet d’aborder la question du pouvoir en général. Et donc oui, sans nul doute c’est un outil de critique politique. Et pas du tout un livre complotiste, car j’y développe une caricature de complot.
Mais je voulais que ce livre interroge aussi sur ce qu’est un livre, en tant qu’objet, et ce qu’est l’écriture. Que génère un livre avec une couverture où Tuer Jupiter est inscrit sous le portrait d’Emmanuel Macron ? Est-ce qu’un tel objet appellera à la réflexion ? Qu’avons-nous le droit de faire, nous les romanciers, quelles sont nos limites ? Quelle éthique doit être la nôtre ? Peut-on étendre le corps d’un homme vivant, Président de la République en l’occurrence, sur la table d’une thanatopractrice et montrer au monde son cadavre sincère ? Le plagiat n’est-il pas la matrice principale de la création ? Toutes ces questions peuvent se poser avec ce roman. Mais on peut aussi lire ce livre comme un pur thriller politique ou une satire du pouvoir. Un livre prend toujours mille facettes entre les mains de ses lecteurs. Pour ma part, j’ai toujours considéré que la littérature était dissimulation, qu’entre les lignes, on pouvait glisser beaucoup de choses. Car il me semble qu’Hemingway n’a pas vraiment écrit sur la pêche au marlin mais plutôt sur la notion de gloire et que David Peace ne cherchait pas à parler de Liverpool et de football mais plutôt de l’église, la communauté de croyants.
Votre passé professionnel vous a permis de très bien connaître le milieu politique. A votre avis… La fiction pourrait-elle dépasser la réalité ?
Je ne peux pas répondre à votre question. Je pense que la fiction ne se situe pas sur le même plan que la réalité, que le réel est faux et que la vérité est dans les écritures. Le romancier aura toujours un pouvoir de vérité. L’homme ou la femme politique un pouvoir de réalité. A chacun de savoir le pouvoir qu’il souhaite endosser.
> François Médéline – Tuer Jupiter – La manufacture de livres
(crédit photos : François Médéline ©X. Hacquard et V. Loison)