
Bruno Doucey : « Si j’étais Ministre de la Culture, j’interdirais la poésie, pour susciter une curiosité générale et renforcer sa force subversive! »
La poésie, ce n’est un secret pour personne, n’a pas le vent en poupe et, en tant que genre, ne place aucun de ses ouvrages dans le classement des meilleures ventes de livres. Mais elle peut « changer la vie » selon Bruno Doucey, poète, éditeur et fondateur des éditions Bruno Doucey. L’homme est passionné, engagé et « enragé » depuis son départ des Editions Seghers. Il s’est prêté avec enthousiasme au jeu de l’interview. Le propos est riche, poétique, déterminé et sans concession. Bruno Doucey apporte un éclairage passionnant sur la place de la poésie, de ses lecteurs et sur son avenir en tant que genre littéraire.
Bruno Doucey, quelle est la genèse de votre histoire d’amour avec la poésie ?
La poésie a changé ma vie lorsque j’avais une petite dizaine d’années. Jusque là, enfance sans histoire dans le Haut-Jura, marquée par la beauté des paysages et la qualité de vie familiale. Puis tout à coup, sans crier gare, la quiétude fout le camp : deux de mes proches disparaissent (dont un parrain d’une trentaine d’année que je croyais solide comme un roc), le vent de la discorde souffle entre mes parents, le ciel de mon existence s’obscurcit, de lourds nuages noirs s’amoncellent au-dessus de ma tête. Je perds pied. L’œuf de ma petite vie se brise en deux, mes nuits sont livrées aux cauchemars. Je me noie. Parents, médecins et psychologue peinent à me ramener sur la terre ferme… Et puis un filet de lumière traverse les nuages, une main venue de je ne sais où se tend vers moi : c’est mon premier poème. Je ne lâcherai pas cette main, je me fortifierai à son contact. Mieux, je ferai de ce filet de lumière un fil sur lequel me jucher. En équilibriste. En funambule. Depuis, je ne suis jamais redescendu du fil.
« Être poète et éditeur de poètes c’est prendre le fil ténu de l’écriture d’autrui et l’enrouler à son propre fil. Ainsi, de fil en fil, de livre en livre, c’est une corde qui se tresse, un tissage qui prend forme, une natte qui se déploie »
Une double casquette, éditeur et poète, quel est le lien entre les deux ?
Être poète et éditeur de poètes c’est prendre le fil ténu de l’écriture d’autrui et l’enrouler à son propre fil. Ainsi, de fil en fil, de livre en livre, c’est une corde qui se tresse, un tissage qui prend forme, une natte qui se déploie. La corde pour arrimer les continents afin de freiner leur dérive. Le tissage pour tisser des liens entre les êtres, les générations, les langues, les cultures. La natte pour s’asseoir ensemble autour d’un repas –, car la poésie est …