Yael Miller : « En Israël, il est très compliqué de critiquer librement la politique du gouvernement »

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A l’occasion de la saison France-Israël, Putsch a rencontré Yael Miller, la jeune chanteuse israëlo-suisse qui revient sur sa carrière, son regard acerbe sur l’Israël d’aujourd’hui et sur ses différents projets dont celui qui lui tient particulièrement à coeur : Women’s Village. Rencontre avec Yael Miller.

propos recueillis par

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Vous êtes une chanteuse israélienne, et vous vivez entre Paris et Genève. Cette année est la saison France-Israël, l’occasion de vous demander ce que vous pensez du rapport entre ces deux pays?

Je me suis toujours sentie à l’aise en France, la communauté juive est importante, tout comme à Tel-Aviv où je retrouve une partie de la France car on y parle beaucoup français. En 12 ans à Paris, malgré les attentats ou certaines attaques visant ma communauté, je n’ai jamais eu envie de quitter la France, par peur, dépit comme certains. Je ne juge personne, mais la peur ,c’est ce qui nous divise. Moi je veux parler de thématiques qui nous réconcilient avec ma musique, en Europe, vous avez la chance de pouvoir vous exprimer. En France , le dialogue est possible, j’entends les gens donner leur avis sur les terrasses de café ou dans la rue. Ce n’est pas envisageable, à mon sens, en Israël où il y a beaucoup moins cette bienveillance quoi caractérise la France. Ce n’est pas forcément politiquement correct de dire cela mais en Israël, il est très compliqué de critiquer librement la politique du gouvernement… Les gens sont moins tolérants et vous cataloguent rapidement ce que je déplore. Il m’est arrivé de donner mon avis en Israël sur tel ou tel point de politique et de me faire littéralement fusillée du regard, comme si j’étais une « traitre ». Je me demande quand cela va cesser parce que le danger est réel. Ne pas pouvoir dire ce qu’on pense parce qu’on a peur du jugement de la société ou de notre entourage c’est intolérable. J’en parle notamment dans ma chanson When will it end (littéralement : quand cela va s’arrêter? NDR) que vous pourrez découvrir dans mon album qui sort cette automne. Cette saison France-Israël doit être l’occasion de nous interroger de part et d’autres et de tirer partie de ce qui fonctionne mieux chez l’autre que chez soi.

Que pensez vous de la situation, en Israël, où quelques artistes dénoncent à travers leur art la politique du gouvernement  ?

La situation en Israël me révolte. Je suis contente de voir que des artistes, mais aussi des organisations, œuvrent pour la paix… Le tableau est assez noir et c’est d’autant plus rageant que la population est très jeune. Moi je n’ai pas peur de donner mon avis en tant qu’artiste. Je chante en hébreux et une partie de mon public est juive, mais cela ne doit pas conditionner ma pensée. Certains ne le font pas car ils craignent de perdre une partie de leur public moi je m’y refuse. Je veux faire entendre ma voix en tant qu’artiste et en tant que citoyenne d’Israël et de France. Cependant, la situation sur le terrain est souvent méconnue, mal comprise, ce que j’essaie de faire avec mes proches c’est de leur expliquer les choses de façon pédagogique afin qu’ils se forgent leur propre avis moins des schémas préconçus et imposés par les grands médias. J’espère que la paix finira par émerger mais avec l’arrivée de Donald Trump, je ne crains que cela ne s’enlise encore…

 

« Je n’ai pas peur de donner mon avis en tant qu’artiste. Je chante en hébreux et une partie de mon public est juive, mais cela ne doit pas conditionner ma pensée »

Quand vous avez appris que 2018 serait la saison France-Israël vous avez commencé à monter le projet Women’s Village, un projet à promouvoir des chanteuses?

Au mois de décembre 2017, avec mon agent Laurence Haziza (également directrice du festival « Jazz’N’Klezmer ») nous avons voulu proposer une idée à L’Institut Français. Nous voulions mettre en avant de jeunes chanteuses israéliennes expatriées en France. Mais nous ne voulions pas choisir des chanteuses simplement parce qu’elles étaient des femmes. Nous voulions des artistes avec un univers, des points de vue intelligents qu’elles défendent à travers leur musique.  Nous avons donc commencé à rechercher des chanteuses avec qui monter un forum. En Israël, et plus particulièrement à Tel-Aviv il y a un vrai brassage de cultures, de langues, de musiques. Nous avons donc rencontré plusieurs chanteuses et nous en avons retenu deux  : Victoria Hanna qui mélange des chants sacrés hébreux à une musique moderne et Ester Rada, israélienne, d’origine éthiopienne, qui, à travers ses textes, offre une réflexion profonde sur son héritage transculturel.  L’Institut Français a immédiatement aimé l’idée et Laurence a contacté le Carreau du temple qui organise de nombreuses manifestations. Nous avons donc eu carte blanche pour intégrer le Women’s Village au festival Summertime qui dure jusqu’au 14 juillet à Paris.  Au début, nous pensions que ce projet n’existerait que pour cette saison France-Israël, et puis en travaillant avec de telles personnalités nous avons eu envie Laurence et moi de poursuivre le projet. Nous travaillons déjà à une déclinaison pour l’année prochaine. Nous voudrions que ce forum s’agrandisse qu’il s’ouvre à d’autres nations et qu’il devienne l’occasion de véritables discussions et réflexion sur la place de la femme dans nos sociétés.

Pourquoi est-ce si important pour vous de faire entendre votre voix de femme, on a presque l’impression que c’est vital dans votre musique?

Dans ma carrière, j’ai longtemps souffert d’être une femme. Lorsque j’ai commencé ma carrière, j’avais une vingtaine d’années et je faisais partie d’un groupe. J’étais la seule femme. Cela a été compliqué d’exister et de trouver ma place. Avec le recul, et depuis que je me suis lancée dans une carrière solo j’ai beaucoup réfléchi à cette question de l’image, à la fois celle qu’on essaie de donner et celle que le regard des autres peut vous imposer. Plus jeune, j’avais beaucoup de difficulté à me mettre en valeur sans que cela soit mal interprété. Dans le monde artistique, les rapports peuvent être rapidement faussés le rapport à la séduction est plus impactant et j’étais assez naïve… C’est en rencontrant Laurence, mon agent ainsi que mes deux musiciens que j’ai commencé à comprendre que j’étais tout sauf « une conne écervelée» et que mon point de vue de femme nourrissait mon art. C’est ce qui explique aussi que j’ai monté le Women’s Village aujourd’hui plus jamais nous avons besoin, nous femmes, de ces manifestations pacifiques et artistiques pour qu’on nous traite enfin d’égal à égal.

Votre album sortira à l’automne, pouvez-vous  nous en dire plus ?

Mon album sortira le 19 novembre aux Trois Baudets et j’ai exprimé les choses qui me touchent par exemple dans Relocating, un morceau en collaboration avec la rappeuse suisse/ivoirienne « KT Gorique ». J ‘évoque l’immigration dans tous les sens : les expatriés européens qui vont s’installer dans des pays plus pauvres différents ou à l’inverse je parle aussi des migrants de celles et ceux qui ont connu l’enfer et qui rêvent d’un plus bel horizon celles et ceux que bien souvent dans nos pays développés, on continue de mépriser. J’évoque aussi des thématiques plus légères comme la difficulté à supporter les hivers parisiens moi qui vient du Sud moi qui ait vécu en Israël.  Je parle aussi de choses plus intimes comme ma peur de monter sur scène ou de comment s’exposer devant le public. En fait, mes textes sont comme une expiation. Ma musique me permet de mieux gérer mes émotions et mes propres violences et mes conflits internes. Enfin, je parle évidemment de beaucoup de choses qui me concernent en tant que femme : mes premiers émois amoureux, la petite fille que j’étais quand j’ai connu mes premiers échecs et le parcours et le temps qu’il m’a fallu pour comprendre souvent la manipulation émotionnelle dont j’ai pu être victime.

Vous avez fait partie d’un groupe et maintenant vous vous êtes lancée en solo, pourquoi?

J’ai crée le groupe Orioxy avec une harpiste, un contrebassiste, un bassiste et moi au chant et aux compositions. Nous avons tourné avec ce projet pendent huit ans. J’ai un moment donné senti l’envie de créer quelque chose à mon nom, d’oser m’exposer seule. D’une part parce que j’ai senti que ma musique et mon écriture changeaient et que je prenais une direction différente.. J’avais besoin de me confronter à une nouvelle réalité car il m’était devenu difficile de parler au nom d’un groupe alors que j’écrivais des textes si personnels .

Quelle est votre façon de travailler?

J’écris des idées (paroles, mélodies, harmonie, vision artistique) à l’aide du piano et le logiciel Ableton Live, ensuite je montre à mes musiciens Roland Merlinc à la batterie et Baptiste Germser à la basse et ensemble on arrange les chansons. Ce disque a été enregistré dans le studio parisien de mon bassiste Baptiste Germser, qui est un multi instrumentiste et qui est aussi collectionneur des synthétiseurs analogiques. Il a une très bonne vision de la production en studio et c’est lui qui a rajouté pas mal des pistes des autres instruments live ainsi que ses synthés et pianos aux chansons. Cela a donné aux morceaux une belle et profonde dimension et le tout sonne comme un vrai petit bijou d’accord précieux. Avec Baptiste et mon batteur Roland Merlinc nous avons tout fait de A à Z en terme d’enregistrement . Ensuite nous avons travaillé avec l’ingénieur son et musicien Nicolas Charlier pour le mixage, ce qui a encore poussé plus loin l’album.  J’ai même écrit avec mon mari qui est le rappeur Jonas. Cet album a été une très belle aventure, je l’ai faite en prenant mon indépendance et en m’affirmant… J’ai hâte qu’il sorte et de le présenter lors d’une grande tournée…

Yael Miller – Le site officiel

Yael Miller, « Get Up » (vidéo officielle publiée sur YouTube)

Yael Miller, « I left it All » (vidéo officielle publiée sur YouTube)

 

( Yael Miller – Crédit photos – Lauren Pasche )

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