« Un couteau dans le cœur » : un ovni visuel qui parle d’amour impossible dans l’univers du porno gay

par
Partagez l'article !

Années 70, porno gay, quintuple meurtres et Vanessa Paradis en productrice de films X, le dernier film de Yann Gonzalez, « Un couteau dans le cœur », sélectionné au Festival de Cannes, a de quoi intriguer. Mais surtout toucher… le cœur ou la plaie.

Aucun dialogue, ni même aucun mot, pendant les 15 premières minutes du film. La première scène est une fellation sur-jouée pour un film porno gay assez cheap. Le décor est planté, le sexe inséré. Directement, théâtralement. Il flirte avec le ridicule, il devient comique mais surtout insouciant et joyeux. Puis, la scène suivante se passe dans un club échangiste gay sadomaso, toujours aucun mot. Juste des soupirs, des sons, des gestes, des néons et des flashs dans tous les sens, les sens en éveil… et puis, tout à coup, un cri. De surprise, de terreur, de souffrance. Karl, jeune acteur porno gay à la gueule d’ange, attaché à un lit, vient de se faire poignarder à plusieurs reprises par un homme masqué. Et malgré le titre du film, la cible n’est pas le cœur : le tueur qui a simulé l’homo amoureux a visé le rectum. Toujours aucun mot, plus aucun bruit, pas même celui de la respiration.

Un silence brisé dès la scène suivante par une blonde peroxydée, Anne (Vanessa Paradis), une productrice de film porno gay au rabais qui, en pleine nuit, dans une cabine téléphonique, hurle dans l’appareil. Elle ne sait pas encore pour Karl, un de ses acteurs phares, non le coup vient d’ailleurs : après 10 ans d’amour passionnel, Lois (Kate Moran), sa monteuse, ne veut plus d’elle. « Je suis complètement seule » dit Anne, les yeux terrifiés. « Ou complètement soûle » corrige alors Lois avant d’ajouter : « Rentre chez toi et décuve. C’est terminé, on travaille juste ensemble désormais ». Lois raccroche, Anne pleure. Cette fois, le couteau est dans le cœur. Comme si le réel assassin n’était pas l’homme masqué mais l’amour. Ou plutôt, l’amour interdit entre deux hommes ou l’amour toxique entre deux femmes. Comme si, ce soir-là, il n’y avait pas qu’un cadavre mais deux, avant d’en avoir bien d’autres.

Un hymne à l’amour imparfait, excessif et transgressif

Tout au long du film, le sexe est omniprésent mais étrangement facultatif, comme un simple support qui sert l’amour, sa puissance mais aussi sa cruauté : l’amour de Guy pour Hicham qui, interdit et jugé, finira dans un incendie, l’amour d’Archibald (Nicolas Maury), amical et complice, pour sa boss Anne mais surtout celui d’Anne pour sa monteuse Lois, démesuré et néfaste. Ce film ose parler d’amour passionnel et destructeur sans aucune censure ni limite. Il montre qu’un amour contrarié ou usé, peut transformer la personne en monstre, en épave alcoolique, en agresseur désespéré, en tueur en série. Le message est clair : l’amour fait des victimes, il rend incroyablement vivant avant de tuer froidement. « Un couteau dans le cœur » pousse un cri d’amour, désespéré et sauvage. Un cri qui loue l’imperfection, l’authenticité, l’excès, l’absolue liberté et l’abandon de soi, bien loin du puritanisme et de la bien-pensance et, malgré la douleur ambiante, ça fait un bien fou !

« Le message est clair : l’amour fait des victimes, il rend incroyablement vivant avant de tuer froidement. « Un couteau dans le cœur » pousse un cri d’amour, désespéré et sauvage »

 

Ce long-métrage parle donc d’amour mais il dresse, surtout, le portrait d’une femme amoureuse, fantasque et borderline : Anne travaille dans le X, elle est lesbienne, alcoolique, brutale mais elle est sincèrement dingue de Lois. « Mon amour est puissant, sans limite, vorace. C’est criminel de refuser un amour comme celui-ci, alors, aime-moi » lui ordonne-t-elle dans une scène. Mais, malgré l’insistance d’Anne, qui se transformera en harcèlement, Lois ne changera pas d’avis. Un harcèlement qui ira jusqu’à l’agression. Et cette fois, Lois écrira une lettre d’adieu : « En quelques secondes, tu as tué cet amour, le souvenir de cet amour. Je me dégoute de t’avoir aimé ». De nouveau, Anne boit… le Whisky et la tasse. De nouveau, Anne a le cœur poignardé.

Vanessa Paradis en productrice de porno gay, lesbienne et alcoolique : surprenante et crédible

Pour incarner le personnage d’Anne, inspiré par une « femme qui a existé dans les années 70 » précise le réalisateur, Yann Gonzalez, dans le communiqué de presse, ce dernier a rapidement pensé à Vanessa Paradis, malgré l’innocence que son visage renvoie : « J’ai eu un coup de cœur professionnel pour elle (…) C’est quelqu’un qui n’a pas de masque ». Un rôle pour lequel, Vanessa s’est alors métamorphosée : cheveux courts platines, fards à paupières bleu électrique, bottes rouge vif à talons hauts, moue provoquante, regard fou, diction pâteuse d’une alcoolique, vocabulaire crue, gestes violents… Le changement est radical et on y croit ! Tout de suite et jusqu’au bout.

Un rôle complexe, à la fois sombre et haut en couleurs, qui n’a pas déstabilisé Vanessa Paradis pour autant et qu’elle a accepté en seulement 3 jours : « Ce que j’ai très vite compris, c’est que je devais jouer quelqu’un qui peut faire peur et qui peut faire du mal aux autres (…) Anne est dure, agressive, alcoolique mais aussi amoureuse, malade d’amour (…) C’est un rôle de folie, comment aurai-je pu passer à côté ? » confie-t-elle dans le communiqué de presse. L’actrice a alors puisé dans son côté obscur pour incarner Anne tout en lui apportant sa fragilité afin de la rendre menaçante, dangereuse mais aussi terriblement humaine et touchante par sa sincérité, son imperfection et sa détresse. Indéniablement, un de ses plus beaux rôles de cinéma.

 

« Si Vanessa Paradis décroche un de ses plus beaux rôles, Yann Gonzalez, lui, signe un des thrillers les plus  audacieux et inventifs du 21ème siècle, pour ne pas dire perché »

 

Romantique, fantastique et horrifique… un thriller inclassable

Si Vanessa Paradis décroche un de ses plus beaux rôles, Yann Gonzalez, lui, signe un des thrillers les plus audacieux et inventifs et du 21ème siècle, pour ne pas dire perché. Il est compliqué de classer ce film dans un genre ! Il est catalogué de « thriller » car il y a du suspens, une tension psychologique et des meurtres mais il est loin de n’être que ça. « Un couteau dans le cœur » est un ovni visuel qui parle d’amour impossible dans l’univers du porno gay, tout en suivant les codes du fantastique et du film d’horreur, au sein d’un décor vintage aux couleurs flashy et aux lumières bleutées, dignes des années 70. Ainsi, des scènes tantôt angoissantes, tantôts romantiques, tantôt sexuelles, tantôt burlesques, tantôt fantasques se succèdent à merveille, sans pourtant se ressembler les unes aux autres. « Un couteau dans le cœur » est un film qu’on ne peut comparer et qui ne peut laisser le cœur à l’arrêt.

Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez – Avec Vanessa Paradis, Kate Moran et Nicolas Maury –  Sortie en salles le 27 juin 2018, interdiction aux moins de 12 ans (1h42).

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à