L’Amiral Flohic : « En mai 68, De Gaulle a pensé que c’était seulement un chahut estudiantin » (1/2)

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L’Amiral François Flohic (97 ans) était l’aide de camp du Général De Gaulle et le témoin privilégié de cette fin de règne qui n’avait rien du renoncement. Voici le premier volet de ce témoignage dans lequel il évoque les semaines décisives précédant la  » fugue  » à Baden-Baden.

propos recueillis par

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En ces derniers jours de mai 1968, la situation politique est extrêmement tendue et le général de Gaulle semble ne plus maîtriser la situation au point que certains de ses ministres, dont le premier d’entre eux, souhaitent qu’il tourne la page, qu’il prenne sa retraite. Le chef de l’État est fatigué, las, dérouté… Mais pas à terre.

Amiral, pensez-vous que de Gaulle, à un moment ou à un autre, a pris conscience de la nature de la révolte étudiante ?
Non ! Il a pensé que c’était un chahut estudiantin un peu poussé. Il n’a pas cru que les étudiants pourraient s’attaquer à lui, que ce serait une révolution. Il croyait même que les jeunes étaient à ses côtés après l’action qu’il avait menée contre la présence américaine au Vietnam, laquelle lui avait permis de mettre en place à Paris une conférence de paix entre les Américains et les Vietnamiens. Le Général est entré en lice quand les syndicats ont soutenu les étudiants alors qu’à l’origine ils étaient contre eux, les considérant comme des nantis. 

Peut-on estimer que le 11 mai date du retour du Premier ministre d’un voyage en Afghanistan marque le début d’une crise institutionnelle ?
 Effectivement ! Ce jour-là, Georges Pompidou a des idées bien arrêtées… Il estime être un homme neuf qui peut prendre la relève et, qu’en tant qu’universitaire d’origine, il est plus qualifié que quiconque pour dialoguer et négocier avec les étudiants en révolte.
Arrivé à Matignon il rencontre Louis Joxe, le Premier Ministre par intérim, et lui demande de libérer les trois étudiants arrêtés en flagrant délit quelques jours plus tôt, de rouvrir la Sorbonne et de retirer une partie des forces de l’ordre stationnées au Quartier Latin. Joxe lui répond que ces mesures sont contraires aux délibérations du dernier Conseil des ministres et qu’elles vont déplaire au Général. Pompidou lui rétorque : « c’est moi qui commande maintenant ». Il ouvre ainsi une véritable crise institutionnelle. Cette affirmation péremptoire constitue un véritable coup d’Etat intérieur…

Comment réagit le Général  ?
Alors qu’il est en déplacement officiel en Roumanie, la situation qui ne lui paraissait pas alarmante, se dégrade avec une multiplication des grèves à travers le pays. Il choisit d’écourter son voyage. 
Dans la sphère politique, les spéculations vont bon train. D’aucun militent déjà ouvertement pour la démission du général. Au Palais Bourbon un parlementaire de sa majorité déclare ouvertement : « le vieux c… doit partir ». Le général est parfaitement conscient de l’omniprésence de Pompidou et va s’employer à reprendre l’initiative. Notamment par le biais de son allocution télévisée du vendredi 24 mai dans laquelle il annonce un référendum sur la participation dans l’université et les entreprises, une réforme du Sénat. Il termine cependant son allocution en précisant que si le « non » l’emportait il n’assumerait pas plus longtemps sa fonction présidentielle…. Ce qui pourra, a posteriori, passer pour une subtile manœuvre dont le Chef de l’État a le secret !

 

De Gaulle est-il fatigué ?
C’est une évidence. Ce 25 mai François Missoffe, ministre de la jeunesse et des sports, trouve le chef de l’État accablé au point de téléphoner à son ami Pierre Messmer l’encourageant à le rencontrer :  » Tu dois lui parler afin qu’il ne démissionne pas ! « . La plupart des proches du président craignent le pire. 
Changeant de posture par rapport à ses précédentes volontés de dialogue, Pompidou envisage l’utilisation des forces de l’ordre au Quartier Latin. Néanmoins, les jeunes ne lâchent pas prise. Dans la nuit du 25, ils allument un début d’incendie (particulièrement symbolique) à la Bourse. Le gouvernement doit alors faire face à 2 fronts distincts et souvent divergents : les étudiants et les ouvriers.

 

Une fois de plus le Premier ministre fait cavalier seul…
À ses yeux, des négociations avec les syndicats ouvriers sont essentielles… Pour la France, et peut-être également pour son avenir personnel. C’est sans doute pourquoi il veut en garder la maîtrise. Il a même réussi, avec l’accord du Général, à écarter des discussions le fidèle Michel Debré, pourtant ministre des Finances. C’est avec Jean-Marcel Jeanneney, titulaire du poste des Affaires sociales, Edouard Balladur et Jacques Chirac que Pompidou va négocier pendant plus 24 h avec les syndicats.
A l’inverse de son Premier ministre, le Général ne croit pas aux accords syndicaux. Pour lui, la crise est mondiale et porte sur le fonctionnement même de la société capitaliste et sur la place de l’homme dans cette évolution.
Les négociations vont être beaucoup plus laborieuses que prévu !
 On se souvient qu’il faudra 25 heures d’échanges, d’affrontements, de ruptures et d’aménagements pour aboutir à des accords – jamais signés – visant à un remboursement des jours de grève à hauteur de 50 %, à une légère réduction du ticket modérateur et, surtout, à une augmentation de 25 % du SMIG [salaire minimum interprofessionnel garanti : NDLR] et de 10 % en moyenne des salaires réels. Mais la CGT aura bien des difficultés à faire passer l’accord auprès de ses syndiqués, notamment ceux de Renault qui font de la surenchère et ne veulent pas reprendre le travail.
 Lors du conseil des ministres qui suit le général paraît excédé. François Missoffe aurait alors confié à Alain Peyrefitte, ministre de l’Éducation nationale :  » De Gaulle doit se rappeler ce qu’il disait en mai 1958 à la fin de la Ve République : « Le pouvoir n’est plus à prendre, il est à ramasser… « .

Le Premier ministre paraît confiant et considère « que de nouveaux accords seront pris même si cela doit coûter un peu plus cher ». En fait, c’est le 27 à 6 heures du matin que sont validés les fameux accords de Grenelle. Mais sans aucune signature. Pompidou est satisfait. Matignon s’impatiente…

 Est-il alors envisagé de faire appel à l’armée pour rétablir l’ordre ?
Le Général n’y serait pas opposé. Messmer, ministre des Armées, ne peut envisager le recours aux militaires qu’en cas d’extrême nécessité et le plus tard possible. Différentes unités sont alors stationnées dans la proche banlieue parisienne. Dépendant plus spécifiquement du ministre de l’Intérieur, une unité de gendarmerie blindée forte d’un millier d’hommes est prête à intervenir avec des chars AMX 13 adaptés aux combats de rues. Placée en renfort, la deuxième brigade blindée de Rambouillet, est également en alerte depuis son retour d’exercice au camp de Mailly en Champagne. Pour l’heure, l’armée reste cantonnée dans ses casernes.

 

Le chef de l’Etat est-il réduit au rôle d’observateur ?
Loin s’en faut… Il sent que le pouvoir lui échappe et c’est à ce moment-là qu’il met en place une stratégie qui évoluera au fil des heures. Estimant qu’un Palais vide ne se prend pas, que l’État sera avec lui en tous points du territoire national où il se trouvera, il décide de quitter l’Élysée. L’agression verbale de sa femme par un bourgeois bon teint , la veille, le convainc de l’urgence de son départ. D’autant qu’il atteint les limites de ses forces physiques car il ne dort plus depuis plusieurs nuits. Malgré la fatigue, il a mûri un plan dont les contours vont se dessiner progressivement. Il estime sans doute que dans la débandade générale, il n’y a plus que les armées qui tiennent encore et l’ensemble des chefs d’État major l’a assuré de leur fidélité. 
Personne de son entourage ne le sait encore mais il a décidé de se rendre à Baden-Baden chez le Général Jacques Massu, Commandant les Forces Françaises d’Allemagne et ancien compagnon des Forces françaises libres.

Fugue à Baden ou stratégie de sortie ?

à suivre dans Putsch dans la deuxième partie de l’interview de l’Amiral Flohic.

 

L’Amiral François Flohic est l’auteur de 68, côté de Gaulle qui vient de paraître aux Éditions de l’Aube.

( Lire le second volet ici )

 

( Crédit Photo Amiral François Flohic – DR )

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