Nicolas Gaudemet : « Combien d’heures passons-nous à nous mettre en scène sur Facebook ou Instagram? »

Partagez l'article !

Spécialiste des médias et des industries culturelles, Nicolas Gaudemet a notamment travaillé pour l’audiovisuel public, chez Orange, puis comme directeur des livres, de la musique et de la vidéo à la Fnac.
C’est sans doute pour cela que ce polytechnicien s’est lancé dans un roman qui s’apparente à une série télé haletante dont on ne sort pas indemne.

propos recueillis par

Partagez l'article !

A l’origine, une révolte mais surtout une fascination pour les médias et les réseaux sociaux où chacun se met en scène sur Facebook, Instagram et twitter. Chacun en quête de reconnaissance, d’une forme de « Célébrièveté » pour reprendre le titre du livre de Jérôme Béglé paru chez Plon en 2003. Lyne Paradis s’est donné pour mission de guérir la société de ce vice grâce aux neurosciences.  Infiltrée dans une chaîne de télévision, elle lance une émission Obsession Célébrité qui tend à libérer les candidats de leur obsession de devenir des idoles, alors qu’ils n’ont aucun talent. Bien sûr, elle vise le maximum d’audience. Afin de les dégoûter à tout jamais de jouer les héros d’un jour, les candidats anonymes seront humiliés. Entassés dans un dortoir, ils sont « chargés de récurer les chiottes » et subissent de « violentes cérémonies de castration symbolique ». Tout un programme ! Scandale ! Paloma, une starlette boulimique, tombera-t-elle dans le piège ? Sera-t-elle guérie de ses pulsions par un psy peu recommandable ? On est en haleine avec une seule envie : suivre le vieux dicton : « Pour vivre heureux, vivons cachés ». Une charge contre un système que dénonçait déjà Guy Debord dans « La société du spectacle » (1967, Buchet Chastel) qui fait sacrement réfléchir. Par son rythme, son suspens, son sujet brûlant, son style direct, sans fioritures, ce roman audacieux, voire courageux, nous tend un miroir et se lit avec plaisir, non sans une pointe de voyeurisme.

Pourquoi ce roman ?
Je suis depuis l’enfance passionné par les livres, les médias, et la psychologie. Voilà longtemps que j’avais envie d’écrire un roman. Et de donner une vision originale des médias, décryptés au prisme des neurosciences, ce qui n’avait jamais été fait. En tout cas dans un livre grand public. J’ai mélangé le tout, secoué, et c’est ainsi qu’est né La Fin des idoles.

Pensez-vous vraiment que la plupart des gens sont obsédés par la célébrité ?
Chacun de nous est mû par le désir de reconnaissance. Dans L’Iliade, déjà, les héros étaient prêts à mourir pour que leurs exploits soient chantés par les aèdes, les médias de l’époque. Aujourd’hui, avec la multiplication des écrans, la célébrité, le nombre de followers ou de likes sont toujours davantage érigés en valeur. Combien d’heures passons-nous chaque jour à nous mettre en scène sur Facebook, Instagram et consorts ? Chez certains candidats de télé-réalité, comme Paloma dans La Fin des idoles, ce désir de reconnaissance ne devient-il pas obsédant ?

Que reprochez-vous aux médias ?
En tant qu’auteur, je ne prends pas position dans ce roman. Ce sont mes personnages qui s’affrontent. Et in fine au lecteur de forger son opinion, de se positionner par rapport à Lyne, figure centrale de La Fin des idoles. Pour elle, les médias, les marques, les réseaux sociaux créent des contenus addictifs qui accaparent notre attention et attisent nos désirs au détriment de notre volonté. Or ce n’est pas parce qu’un contenu est addictif qu’il nous rend heureux. Lyne pense qu’ils génèrent surtout de la frustration, des difficultés à se concentrer, à diriger notre pensée, une mauvaise estime de soi. Qu’ils créent de fausses valeurs, ou des canons esthétiques pathogènes comme celui de l’anorexie. Qu’on aimerait se déconnecter plus souvent, sans y parvenir. D’autres personnages sont radicalement opposés à ce que Lyne propose à la place, qui met en péril tout le système médiatique : des alliances se nouent et c’est ainsi que naît le roman.

Que voulez-vous dénoncer ? Les émissions de téléréalité, concours en tous genres, les émissions de variété abrutissantes, le star système qui met en lumière des fausses valeurs ?
Ce que ce roman veut révéler, plutôt que dénoncer, c’est ce qui en nous fait que ces émissions, ce star-system fascinant et révoltant existent. Et il pose la question : ce quelque-chose en nous — ce désir de reconnaissance — peut-on empêcher les médias, les réseaux sociaux, les marques de l’exciter et de l’exploiter en permanence ? C’est l’ambition de Lyne. Si elle réussit, la société médiatique s’en trouvera renversée. D’une certaine manière, elle veut réaliser le rêve de Guy Debord, l’auteur de La Société du spectacle, non pas grâce au marxisme, mais aux neurosciences.

Le personnage d’Hervé, patron de chaîne, a placé son fils dans sa société, que pensez-vous de ce népotisme qui consiste à user de son pouvoir pour favoriser ses enfants ?
Dans les groupes familiaux, souvent les enfants travaillent. Cela renforce-t-il les phénomènes de reproduction sociale ? Assurément. Mais cela donne aussi un avantage à ces entreprises : celui de raisonner à long terme, avec une pression moindre de la bourse. Hervé va plus loin : il modifie la physionomie de son groupe en investissant dans les médias pour le rendre plus glamour aux yeux de son fils.

Nicolas Gaudemet - La fin des Idoles
Nicolas Gaudemet – La fin des Idoles

Est-il le reflet d’autres patrons de presse ?
De nombreuses familles industrielles françaises ont investi dans les médias : on peut penser à LVMH, aux groupes Bolloré, Dassault, Lagardère…

Pensez-vous que nous sommes sous « l’empire des marques » ?
On ne s’en rend pas compte, mais la publicité nous influence prodigieusement. Dans une expérience de neuromarketing réelle décrite dans le roman, il est prouvé que les gens préfèrent le goût du Pepsi à celui de Coca, lorsque le logo est masqué. Mais c’est l’inverse quand la marque apparaît. Car le bombardement publicitaire de Coca-Cola a forgé dans notre cerveau une association inconsciente entre Coca et plaisir.

Cette émission de téléréalité Obsession Célébrité qui tend à libérer le public de l’emprise de médias est-elle une parodie ?
Elle est inspirée de vraies émissions : Carré ViiiP (TF1) pour la séparation entre stars et anonymes, Dilemme (W9) pour les épreuves humiliantes, Celebrity Rehab (Viacom) du psychiatre Drew Pinsky (célèbre au point d’avoir un astéroïde à son nom !) pour le volet thérapeutique…

N’est-elle pas créée par Lyne et la chaîne V19 pour faire de l’audience et gagner de l’argent ?
Le but de Lyne est de libérer le public de l’emprise des médias, même si elle se doute que cette première émission ne sera pas suffisante. Pour ce, l’audience est clef : rien de sert de prêcher dans le vide. L’argent aussi sera clef, mais Lyne le trouvera par d’autres moyens.

Pourquoi les candidats anonymes sont-ils avilis, « entassés dans un dortoir et chargés de récurer les chiottes », afin de les dégoûter de leur désir de célébrité et subissent de « violentes cérémonies de castration symbolique » ?
Pour Gerard Lebenstrie, psychanalyste scandalisé par Obsession Célébrité, les épreuves subies par les candidats pour les inciter à abandonner leur quête de célébrité sont telles des « cérémonies de castrations », la castration étant le symbole de l’humiliation suprême. Des exemples ? Boire de l’urine, se faire tatouer Esclave, subir des électrochocs… Ce n’est pas si loin des épreuves réellement proposées dans Dilemme ou Fear Factor.

 

Pourquoi le psychanalyste qui s’oppose à cette émission et reçoit Paloma, candidate malheureuse, obsédée par la gloriole, couche-t-il avec elle ? Est-il un pervers ?
Paloma est une séductrice hors pair…

Vous êtes-vous fait psychanalyser ?
Non, vous pensez que je devrais ? (rires) Plus sérieusement, j’ai préféré me documenter : lecture, émissions, conférences de Freud, Lacan, Clotilde Leguil, Jacques-Alain Miller, Colette Soler… Le plus difficile a été de rendre tout cela intelligible ! L’entrée en analyse de Paloma est inspirée de celle de Marc-Olivier Fogiel et d’autres personnalités, qui racontent joliment leur « première séance » dans le film éponyme de Gérard Miller.

Faites-vous allusion au Divan de Fogiel, quand vous parlez de Médias sur le divan, animée par un psy « bizarre » ?
Le nom de l’émission est en effet un clin d’œil au Divan de Marc-Olivier Fogiel, lui-même une reprise du Divan d’Henri Chapier sur FR3 dans les années 1990. En revanche, le psychanalyste de La Fin des idoles, Gerhard (qui est « bizarre » aux yeux de Paloma car elle ne connait rien à l’analyse) a un air de parenté avec Gérard Miller, Jacques-Alain Miller, et bien sûr Lacan lui-même.

Paloma, la boulimique, dans la salle de la tentation où la chaîne a disposé les milliers de mets qu’elle préfère, est-ce une caricature ?
Paloma m’a été inspiré par des célébrités comme Loana, Nabilla, Zahia. Mais aussi des figures fictionnelles telles que Nana de Zola, ou encore Maria, le robot lubrique de Metropolis. Bien-sûr, j’ai forcé le trait, pour renforcer la tension dramatique et l’aspect ludique du roman.

A la fin, les candidats sont-ils guéris de leur obsession de célébrité ? Quel en est le remède ?
Guérison garantie, satisfait ou remboursé ! Quant au remède, pour le découvrir, il faut lire le livre…

Et vous, avez-vous cette ambition ?
De guérir de mon obsession pour la célébrité ? L’écriture est une discipline si monacale… qu’elle est un remède en soi.

Croyez-vous au « pouvoir miracle » des neurostimulateurs ?
Aujourd’hui, non. Mais demain ? En tous cas, j’aimerais que des chercheurs se penchent sur la question. Des neurostimulateurs qui nous aideraient à nous reconcentrer, à apaiser nos désirs dans un monde qui jamais ne les a tant excités, à retrouver la sagesse des philosophes de la Grèce antique, ou de religions millénaires comme l’hindouisme ou le bouddhisme, voilà qui serait intéressant.

Quelles sont les dérives des neurosciences ?
Elles changeront l’humain. Cela soulève des questions éthiques que j’explore dans La Fin des idoles (Natacha Polony, Luc Ferry, Alain Finkielkraut, Michel Onfray y apparaissent d’ailleurs pour en débattre). Ces questions seront, je l’espère, discutées lors des États généraux organisés de mars à juin par le Comité consultatif national d’éthique, dans le cadre de la révision de la loi bioéthique.

Quelles sont les célébrités que vous admirez ?
Comme Alexandre dans le roman, j’ai jalousé Leonardo DiCaprio, le « ROI DU MONDE ! ». Puis je me suis résigné. Maintenant, je regarde tous ses films !

Êtes-vous fan de séries ? Lesquelles ?
Je crois que les séries sont le principal concurrent du roman, tant elles sont rythmées, addictives et profondes. J’ai justement utilisé leurs techniques narratives : la choralité, l’aspect feuilletonnant. Si Lyne fait du running et est toujours si hiératique, c’est parce que je l’ai en partie modelée sur Claire Underwood de House of Cards. Par ailleurs, beaucoup de lecteurs m’ont dit que La Fin des idoles leur évoquait Black Mirror ou UnREAL. Je les ai regardées depuis, et suis devenu accro !

Vos auteurs préférés ?
Mishima. Mishima. Et Dostoïevski. Côté français ? Ceux qui m’ont inspiré pour La Fin des idoles : Bellanger, Bello, Dicker, Ono-dit-Biot…

Vous qui connaissez bien les circuits du Livre, à votre avis, qu’est-ce qui fait le succès d’un roman ?
La qualité du texte, bien sûr : les personnages, l’intrigue, la profondeur, le style. Malheureusement pas seulement. La mise en place est clef, le soutien des libraires, des médias. La résonance avec l’actualité. C’est un alignement d’étoiles.

Depuis votre poste à la Fnac, quels sont vos nouveaux projets ?
J’en ai trop… Un roman. Un autre roman. Un Duetto sur Mishima (une jolie collection créée par DominiqueGuiou, ancien rédacteur en chef du Figaro littéraire, où « un écrivain en raconte un autre »). Et plein d’autres choses… À suivre !

 

La fin des idoles de Nicolas Gaudemet

( Editions Tohu-Bohu )

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à