Les bienheureux : les cicatrices de l’Algérie
Par Romain Rougé – Présenté dans la compétition officielle du 39ème Cinémed de Montpellier, le premier film de la réalisatrice algérienne Sofia Djama est sorti cette semaine dans les salles.
Alger, 2008, soit 20 ans après le début de la guerre civile algérienne. Un couple fête lui aussi un vingtième anniversaire, celui de leur mariage. Deux décennies qui vont se percuter et ouvrir à nouveau les blessures du passé.
De l’Algérie, Amal (Nadia Kaci) a perdu ses illusions, Samir (Sami Bouajila) s’est accommodé d’une société sclérosée. Le couple est toujours complice, attendrissant l’un envers l’autre. Ils ont réussi, avec le temps, à oublier les années noires. Ou du moins le pensaient-ils. Le passé va refaire surface à travers l’avenir, celui de leur fils Fahim (Amine Lansari). La mère souhaite l’envoyer en France, le père veut le garder près de lui, dans un pays qu’il sait pourtant moribond mais dont il garde l’attachement et un relatif optimisme. Le fils, lui, erre dans les rues d’Alger sans grandes ambitions. On le suit avec ses amis tout aussi désabusés : il y a Reda (Adam Bessa) qui s’attèle à différencier mysticisme et islamisme ainsi que Feriel (Lyna Khoudri), dont la cicatrice au cou marque le souvenir d’une mère tuée lors d’un massacre.
Alliant drame (les séquelles d’une guerre, la jeunesse en proie aux interdits) et tragi-comique (la quête de Reda pour se faire tatouer sa foi dans sa chair), Sofia Djama réussit à transformer des situations banales et quotidiennes d’une cité, d’un couple, en histoires complexes et poignantes. La réalisatrice sous-entend que l’on ne guérit jamais vraiment des blessures du passé mais que le plus dur est peut-être simplement d’imaginer une vie meilleure.
Récompensé lors du 39ème Cinémed par le prix étudiant de la première œuvre et distingué par une mention spéciale du prix du jury, Les Bienheureux nous fait voyager dans une Algérie, un Alger, plein de vie, dont les cicatrices et les interdits freinent l’évolution. Mais ce que montre aussi surtout ce long-métrage, c’est une jeune garde du cinéma algérien (mise à l’honneur dans cette édition 2017 du festival) pétrie de talent, qui a beaucoup de choses à dire sur son pays.
Les Bienheureux
Film algérien de Sofia Djama
Avec Nadia Kaci, Sami Bouajila, Amine Lansari, Lyna Khoudri, Adam Bessa
Sortie : 13 décembre 2017
Durée : 1h42
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