Nourdine Bara : « Ce que j’ai à écrire, j’ai aussi à le dire »

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Par Romain Rougé – Nourdine Bara est un jeune auteur montpelliérain. Les théâtres Jean Vilar (Montpellier) et Jacques Cœur (Lattes) se sont associés pour mettre en lumière ses talents d’écrivain. Il a à son actif l’écriture de trois pièces et d’un roman, « Le tour de toi en écharpe », paru aux éditions Domens. Récemment, l’auteur a proposé une lecture d’extraits de son dernier texte, « Tous ceux qui errent », dans une brasserie montpelliéraine. Nous l’avons rencontré à cette occasion.

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Qu’est-ce qui a été le moteur d’écriture de ce texte ? 


Ce texte est d’abord une commande du théâtre Jean Vilar de Montpellier. Une commande sous la forme d’une carte blanche et présentée comme telle (c’est la deuxième de la part de Frantz Delplanque, directeur du théâtre). Je l’ai reçu comme l’expression d’un soutien, d’une confiance, dont j’ai besoin. Pour autant, si une commande peut précipiter une envie d’écrire, si vous n’avez rien à dire, mieux vaut la refuser. Il se trouve que j’avais beaucoup de choses à dire. 



Qu’est-ce que ce texte représente pour vous ? 


Ce texte me dit d’abord (et j’avais besoin de m’en persuader pour le premier) que je ne suis pas ou plus l’auteur que d’un seul texte. Une idée que j’ai peut être laissé grandir, en pensant aux autres et à moi. Il s’est écoulé sept ans sans écriture, entre mon premier texte et le deuxième. Un élan d’écriture ne devient « démarche » et reconnu comme tel, que si la tentative se confirme, se reproduit. Je crois que je me sens donc un peu plus « auteur » qu’avant. Et ce n’est pas rien de le dire, d’oser se le dire, encore et encore. Chez moi, cela s’assume plus que cela se défend auprès d’autres. Il me faut ça pour ne plus oublier d’écrire, pour y revenir. Pour que d’autres aussi, bien sûr, vous attendent. « Tous ceux qui errent » est aussi une nouvelle occasion d’aller à la rencontre de l’autre. Je tire un grand plaisir à lancer ces invitations à des lectures sous la forme d’histoires que je raconte, qui nous racontent. Une démarche que je vis de façon très ludique, sans trop de gravité. J’attends véritablement de l’autre, du spectateur, de la spectatrice, sa réponse. Et pour qu’ils ne doutent pas de cela, j’ai mes précautions d’auteur pour que le public sente que son point de vue est très attendu. Dans mes textes, il y a de nombreuses ellipses qui invitent parfois, sans sommation, à finir mes phrases, à compléter une pensée. Mes textes sont jalonnés d’une multitude de questions. C’est aussi la seule consigne que j’ose donner à un metteur en scène, à un(e) comédien.nes : que ces questions soient projetées à l’adresse directe du public. 



Comment êtes-vous passé de l’écriture à la lecture sur les planches puis dans les salles ?


J’écris comme on lance une conversation. Lire son texte et choisir l’endroit ou le théâtre pour cela, c’est pour moi revenir à un naturel semblable à ces discussions qui se vivent les yeux dans les yeux. Le théâtre permet cela, davantage que ce que mon livre a su provoquer par exemple. Pour autant, ce n’est rien en comparaison de cette vie dans mon quartier où l’on parle tout le temps, partout, de tout. Et de tout, tout le temps, partout.
Ce que j’ai à écrire, j’ai aussi à le dire. Si d’aventure ce que j’ai pu écrire devait inspirer une remarque, un sentiment, j’aime être là pour l’entendre et y répondre. Le théâtre vous offre cette immédiateté. Se dire qu’on écrit pour aller à la rencontre de l’autre, c’est aussi écrire sous le poids d’un risque que j’aime : ce que j’écris va m’engager.

« Je fais le choix de mots simples pour le rythme qu’ils proposent, les sons qu’ils produisent, les sensations qu’ils provoquent »

Malgré son titre abstrait, vous parlez de choses concrètes dans le texte, de la vie de tous les jours, d’une enfance, de rencontres. Les mots sont simples et évocateurs. Comment écrit-on sur la banalité du quotidien ? 


La vie est d’abord ce que l’on en fait, et si celle-ci nous parait vide de sens, il faut se demander alors ce que l’on n’en fait pas. Écrire peut participer de cette même attention.



Avez-vous facilement trouvé les mots ou est-ce que cela vous a demandé un choix particulier ?


On m’a souvent dit, qu’à y regarder mieux, j’écrivais des choses faussement simples. On se laisse parfois un peu trop surprendre qu’une pensée puisse être élaborée, recherchée, qu’elle ait une portée, sans le concours de mots compliqués. J’aime les idées et cette gageure que celles-ci puissent être intéressantes, surprenantes, seulement par leur invention et par la façon que l’on a de conduire une pensée jusqu’à un spectateur, un lecteur. Alors je fais en sorte que ces petites pensées paraissent d’abord vivantes et parcourent la plus longue distance possible pour atteindre directement le cœur ! Mais qu’on ne me prête surtout pas la prétention de vouloir trouver à mes mots une place dans une table de lois, un dictionnaire de citations ou dans un gâteau chinois. Je ne concours pas à ça, tout cela n’est pas si prémédité.
Si je donne mon avis, si j’ose faire valoir un sentiment, c’est vrai que je ne l’arme pas (je n’ai pas cette précaution) de ces grands mots qui pourraient leur donner cette fausse gravité, qui font tout le poids d’un conseil ou d’une consigne qu’il faudrait prendre (et l’auteur avec) au sérieux. Parce que dans ce cas là, comme dit Desproges, je serais plutôt un auteur « dégagé ». Je fais le choix de mots « simples » pour le rythme qu’ils proposent, les sons qu’ils produisent, les sensations qu’ils provoquent. Ces mêmes mots qui viennent apporter autant d’organes que nécessaire à des pensées devant se matérialiser face au public. Je pense à cette phrase, dont je me sens très proche : « J’écris des films que mon père peut comprendre ».



On imagine aussi qu’il est nécessaire d’être habité par le texte pour transmettre toute son essence et son message au public. Comment appréhendez-vous ce travail-là, d’expression scénique ?


Je ne pense pas beaucoup à ça quand j’écris. Je devrais peut être. Je me suis souvent pris au piège d’associations de mots que j’ai un peu de mal à dire, qu’il m’est impossible de dire sans m’emmêler ! Je dois être un peu dyslexique. Ces quelques phrases trop longues qui demandent une vraie gestion de son souffle, je les découvre comme compliquées seulement à la première lecture à voix haute. Et le problème c’est que lorsque ça arrive, je suis déjà devant un public ! 
Je lis, je joue un peu à l’instinct et ne cache pas cette lutte. On me dit que mes hésitations, mes petites erreurs collent bien à mes personnages et à leurs propos. Mes amis me disent que ça me ressemble. Alors je continue tant que je ne reçois pas de tomates ! Tout en tâchant de donner toujours plus de couleurs à mon interprétation. J’apprends.

« L’écriture est la meilleure entreprise pour aller vers un monde que je tente de mieux saisir et appréhender »


Lors de la lecture au Dôme à Montpellier, il y avait un côté intimiste, bien sûr, mais aussi « artisanal ». Des équipements en passant par le pianiste qui accompagnait la lecture en musique pour la première fois. Quelle est pour vous la plus-value d’une telle représentation ? Ressentez-vous une différence majeure avec le théâtre ?



Jouer dans un café, laisser le bruit de la vie autour s’inviter en laissant une part d’impréparation à tout cela ne dérangent pas du tout ma performance, au contraire. J’écris sur la vie, celle qui peuple les trottoirs, les cafés, les boulevards… Celle qui risque de vous tuer en faisant tomber de son balcon un pot de fleur. J’aime mettre mes textes à l’épreuve de cette vie dont je parle. Elle ne peut pas être mon ennemie. Pas même lorsque la commande pour la table quatre est criée plus fort que je ne saurais lire. Nombreux sont ceux qui, lors de cette dernière lecture, m’ont dit avoir beaucoup regardé dehors, la rue, tout en m’écoutant. 


Votre lecture fait parfois penser au roman La Nausée de Jean-Paul Sartre qui traite aussi de ce rapport aux autres quand on est trop conscient de l’existence, de sa banalité ou de sa dureté. D’après vous, l’écriture permet-elle mieux de prendre conscience du monde qui nous entoure ? 


On peut se trouver devant sa feuille blanche (le plus souvent même !) avec une idée toute simple en tête, une idée première, une observation qui ne s’accompagne au départ que de la vague intuition qu’on aura plus encore à en dire. Je crois qu’il n’y pas de roman et pas même un chapitre qui ne doit d’abord son existence à cette toute petite idée qui donne naissance à une cascade de tenants et aboutissants. Pour moi, c’est ce qui fait de l’écriture la meilleure entreprise pour aller vers un monde que je tente de mieux saisir et appréhender. Et je ne connais pas de meilleur contenant qu’une page blanche pour cela. Ensuite ? Lire à d’autres ces petites choses de la vie qui m’interpellent, pour leur demander : « Ca ne vous fait pas ça à vous ?! »



Aussi, l’écriture permet-elle alors de s’émanciper…?


S’émanciper… Je ne sais pas. J’ai l’impression, par contre, que lire les autres m’émancipe. « Écrire » travaille chez moi davantage le fait de fixer les étapes franchies. A en faire des acquis. Du moins je dois essayer de m’en convaincre en formalisant cela en une pièce ou un roman, comme une sorte de « Journal Officiel ». Je vois cela comme de nouvelles résolutions, des petites croyances ou nouveaux doutes qui désormais m’accompagnent. Et pour me dire que je ne les fabule ou pas ou que je ne les exagère ou pas.
Écrire est, je crois, un exercice solitaire, et paradoxalement on ne s’émancipe pas seul. Ou alors pas dans le sens de l’épanouissement si c’est ce qu’on entend par s’émanciper. Parce que tout seul on n’arrive qu’à une seule chose : se détacher. Se suffire à soi-même… Une échappée un peu malheureuse, non ? C’est le risque que j’ai souvent entrevu en tout cas.
Le passage sur le quidam que l’on croise au hasard et qui devient un proche, un ami, interpelle particulièrement. Au final, l’errance permet aussi de trouver quelqu’un ou quelque chose, à un moment précis. Aussi j’ai envie de vous demander si vous croyez vraiment au hasard ? Si ce passage traite de ce dernier ? Quelle est, pour vous, la différence entre le hasard et l’errance ?
Je ne crois pas au hasard. Mais plutôt (comme dit l’autre) aux rendez-vous. L’errance est peut être cette attitude, cette disposition, indisposition, où l’on rejoint ces rendez-vous sans être passé avant chez le fleuriste, sans s’être habillé « pour ». Pour forcer les circonstances, un destin… 



L’oiseau mort sur la branche, que personne ne remarque à part l’être périphérique qu’est votre personnage, est un moment fort du texte. Pour vous, qui sont vraiment ces êtres qui observent le monde différemment, dirons-nous plus minutieusement ?


Sans doute ceux qui se taisent le plus. Se taire un peu et se rendre compte que tout, vraiment tout, vous parle autour. Puis on décide d’engager, ou pas, la conversation. J’ai longtemps cru que s’ennuyer de la banalité et fuir le médiocre vous offrez aussitôt l’extraordinaire. Je ne crois plus ça ! C’est trop vite déserter un endroit, le sien, qui n’a pas été suffisamment cultivé et sondé. Tout me parait davantage relever d’une vue de l’esprit, encore une affaire de disposition plus que de prétention. C’est un peu ce que j’écris.

« Le plus triste est que l’on a peut-être atteint une indifférence, réciproque, entre grand public et théâtre »

En filigrane, vous abordez le sujet de l’immigration, de l’exclusion et de la diversité souvent synonyme de la peur de l’autre. Vous même ayant des origines algériennes, quelle est la part de votre expérience dans le texte ?


Il n’y pas d’endroit, pas même dans la culture, où tu ne cours pas le risque d’un rejet du seul fait de tes origines. J’essaie de ne pas trop y penser. Je crois que je feins parfois de ne pas le voir. Je m’attache à ces autres, heureusement plus nombreux, avec qui un vrai dialogue et une entente est possible. Je ne campe aucune forme de revendication, pas même dans mes origines. Etre noir, arabe, juif, chinois… est finalement davantage quelque chose vers quoi on vous renvoie, ou vers quoi on se réfugie par repli tactique. Bref, une position très statique en définitive.
Dans ma démarche d’auteur, il a pu arriver qu’une forme de discrimination se présente sous les traits d’une « attente » trop arrêtée. Il arrive que celle-ci, dans mon écriture, se fixe sur des thèmes, un peu imposés, que l’on voudrait que je traite et qui colleraient à un carcan qu’on me prête, dont je serais le témoin privilégié, l’expert… Seulement, ce n’est pas mon propos. J’aspire à un partage plus universel, je ne travaille pas à la réunion d’un public face à un objet de curiosité fait Homme. Je nous imagine beaucoup semblables les uns les autres pour offrir un pan de la société voire un dépaysement.



On parle peu de culture quand on évoque les quartiers dits « populaires » ou encore lesdites « banlieues ». De par votre expérience, quel est le rapport qu’entretiennent les habitants avec la culture. Comment s’immisce-t-elle ou s’encre-t-elle dans ces espaces de vie ?


Il n’y a aucun endroit où la culture n’a pas trouvé son ou ses expressions. Dans les quartiers populaires comme ailleurs, il y a de la culture. Par exemple, je crois qu’il s’exprime plus de velléités d’écrire au km2 dans les quartiers populaires qu’ailleurs dans les centres villes. On parle de rap le plus souvent, mais ce sont des mots quand même, qui racontent ! Quand j’étais plus jeune, on peignait aussi, au grand dam de ceux qui nettoyaient derrière.

Pour ne parler que de théâtre, c’est vrai que dans les quartiers ce dernier n’entre pas dans les premiers choix d’options de sorties. Le plus triste est que l’on a peut-être atteint une indifférence, réciproque, entre grand public et théâtre. Mais s’il y a « faute de goût » d’un côté (parce qu’il y a beaucoup trop de belles choses au théâtre pour s’y détourner entièrement), il y a parfois « manquement » du côté du lieu de culture qu’est le théâtre, qui lui, a une mission. Il y a beaucoup de lieux, à l’instar du théâtre Jean Vilar de Montpellier, qui ont cette attention et une invitation à adresser à l’égard des habitants des quartiers populaires. Moi, je lui dois de m’être remis à écrire.

« L’écriture m’offre cette évasion, cette distance qu’il faut parfois mettre entre soi et ce qui vous aura percuté, interpelé dans la vie »


Comment est née votre passion pour l’écriture ? Comment l’avez-vous concrétisée ? Qu’est-ce que cette dernière vous a apporté dans votre vie de tous les jours ?


Une amie m’a offert un livre, un recueil de nouvelles. J’ai voulu la remercier en lui écrivant une histoire. Elle a aimé. J’ai continué. L’écriture m’offre cette évasion, cette distance qu’il faut parfois mettre entre soi et ce qui vous aura percuté, interpellé dans la vie. Tantôt écrire magnifie ces petites choses banales qu’on a vécues. Tantôt cela atténue ou exorcise ce qui ne pourrait rester à l’esprit de façon trop brute, froide, sèche, sans mettre à mal votre moral : une envie de positiver la vie, de poursuivre tout de même. 
Comment comptez-vous pérenniser ce texte, « Tous ceux qui errent » ? 
Le lire dans un café c’est aussi m’assurer que ce texte vive. J’ai dans l’idée de le retravailler dans le sens d’une publication. 



Vous considèrez-vous aujourd’hui comme un être qui erre ?

Nous sommes tous en perpétuelle construction. Des hommes et des femmes en devenir. Il est question d’accepter sa part d’errance et de se mettre à douter sérieusement de l’endroit où nous conduit la rampe que l’on croit tenir. Douter aussi des panneaux qui, un peu partout, indiquent des voies parfois contraires. J’aborde la question de l’errance sans la présenter comme un état effrayant, mais plutôt comme une disposition qui vous redonne une chance de dévier une trajectoire, une tangente que l’on finit par subir : ce choix par défaut. « Tous ceux qui errent ne sont pas perdus », écrivait Tolkien.
Il n’y a rien de plus faux, de plus démobilisateur que cette croyance, qui se veut rassurante, disant qu’il nous attendrait une marche, qu’il n’y a qu’à la trouver, ou se la choisir, puis grimper et croire qu’on est dans la maîtrise de sa vie. La seule perspective de composer avec les autres, même avec un sous groupe « société », vous fait courir le risque de perdre instantanément un peu de votre libre arbitre, cela fait taire aussi un peu son instinct et couvre dans le bruit de toutes ses intuitions… Je crois qu’il faut laisser une part de nous même à l’état « sauvage ». Ne pas trop altérer cette prédisposition, naturelle, pour répondre à ces questions de sens, autrement plus intimes, qui nous travaillent.
Il ne faut pas douter que d’une certaine manière on est seul, et que « nos douleurs sont une île déserte » comme disait Albert Cohen dans Le Livre de ma mère. 

Dans un de mes textes, j’écris : « Ne pas être un salaud, je pense. Et juste, je crois. Fort si possible. A temps. Avant d’être seul. » Il faut bien errer un peu et se diriger vers l’horizon, un terrain vague, pour tuer ce salaud en nous qui risque bien, un jour, de devenir notre seule et dernière compagnie.

Tous ceux qui errent
Auteur : Nourdine Bara
Mise en scène : Sébastien Lagord
Création : Compagnie Motifs d’évasion
Coproduction : Théâtre Jean Vilar – Ville de Montpellier / Théâtre Jacques Cœur – Ville de Lattes
En partenariat avec Sortie Ouest

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