A celles et ceux qui ne connaitraient ni ce livre ni votre émission, pouvez-vous nous présenter Remèdes à la mélancolie ?
Pendant une heure, le portrait d’un invité à travers ses remèdes à la mélancolie ; on y découvre des films, des chansons, des tableaux, des idées, des livres, des curiosités… On évoque la consolation (temporaire) par les arts.
Dans le livre comme dans l’émission, on retrouve un vivier d’antidotes culturels dans lesquels on peut piocher avec délectation. Plutôt qu’à la mélancolie, j’ai envie de vous demander quel rapport vous entretenez avec la culture ?
Un rapport très amical et curieux. J’ai fait mes humanités en autodidacte, à la radio et dans les bibliothèques municipales. Quand je pense à tous les livres, tous les films, tous les peintres, tous les systèmes de pensées, les lieux, les compositeurs, les bande-dessinées que je ne connais pas, la joie semble tout à coup bien plus facile d’accès ; ça vaut presque la peine de rester.
Comment, de votre côté, faites-vous la démarche de trouver vos propres découvertes culturelles ?
Je flâne à la bibliothèque, dans des librairies, sur internet, je lis la presse culturelle (même ancienne), et je regarde les influences des artistes que j’apprécie.
Y’a-t-il des œuvres ou des artistes particuliers qui vous « consolent » à coup sûr ?
Emil Cioran dont j’aime le sens de la formule et avec qui l’on se sent moins seul ou l’enchanteur Alexandre Vialatte qui rend tout merveilleux dans ses chroniques… Il y a aussi Flaubert dans sa correspondance, qui n’arrête pas de gémir et de parler de sa détestation du monde tout en écrivant des chefs-d’œuvre.
« Dans la culture, je pense qu’on peut apprendre et s’élever seul. »
Vous accordez une grande importance à la transmission et à l’échange, que ce soit dans ce livre ou dans votre émission. Dans la mélancolie comme dans la culture, pensez-vous qu’il doit y avoir des médiateurs ?
Dans la mélancolie absolument pas, c’est une expérience essentiellement solitaire. Les « médiateurs » sont en revanche d’une grande aide pour ne pas se laisser engloutir par le spleen, puisque la première condition pour l’alléger consiste à sortir de soi.
Dans la culture, je pense qu’on peut apprendre et « s’élever » seul mais qu’un médiateur peut accélérer les choses en fournissant des portes d’entrée et quelques outils, parfois même simplement en suscitant un intérêt pour quelque chose dont on n’avait jamais entendu parler. En somme, le médiateur est loin d’être indispensable ; un « mauvais » médiateur peut d’ailleurs vous faire rater bien des rencontres avec des œuvres d’art. Bon, j’avoue quand même que j’éprouve une grande joie quand les auditeurs m’écrivent qu’ils ont eu envie de lire ceci ou de découvrir cela grâce à l’émission.
Ce qu’il y a de grisant dans le livre, c’est l’incroyable diversité des « remèdes » des personnalités que avez reçues en cinq ans d’émission. Une sorte du guide du routard culturel. Pour autant, on parle très peu de voyage : par choix ou par omission ? Si vous deviez, justement, transmettre des destinations consolatoires, lesquelles seraient-elles ?
En fait, il est souvent question de voyage dans l’émission, mais nous avons décidé de ne pas en parler dans le livre car il ne s’agit pas d’une compilation mais plutôt d’une sélection de remèdes que j’ai chroniqués très subjectivement – en complément des autres parties sur l’histoire, le vocabulaire, les définitions, les différents rapports ou mes propres remèdes.
Du coup, je ne pouvais pas apporter grand-chose au sujet de destinations où je ne suis jamais allée…mais elles existent bel et bien et sont très alléchantes : les émissions sont toujours en ligne si vous mourrez d’envie d’en savoir plus !
« Les livres sont les amants toujours disponibles » avez-vous déclaré. Pouvez-vous nous donner les noms de vos amants…?
Je passe en général mes nuits avec Fante, Bukowski, Flaubert, Balzac, Houellebecq, Hamsun, et Palahniuk. Oui, bon, je suis un peu cœur d’artichaut !
A l’approche de l’élection présidentielle, la culture est la grande absente du débat actuel. D’après vous, les Français et les politiques ne souffrent d’aucun spleen ou sont-ils simplement désintéressés ?
Alors je suis vraiment la dernière personne à qui il faut poser une question avec le mot « politique » dedans ! Mais si vous voulez, à la place, je peux vous chanter une chanson que j’ai écrite petite avec mon père en l’honneur du Coca cola !
Au début de livre vous proposez l’historique de la mélancolie, revenez sur l’étymologie du mot, sur les différentes déclinaisons de cet état. On voit bien la confusion, au fil du temps et peut-être encore aujourd’hui, qu’il y a entre la mélancolie et des pathologies plus graves de type dépression. C’était important de rappeler cette barrière aux lecteurs / auditeurs qui sont dans cette confusion ?
Je pense que oui car la mélancolie n’a jamais eu une seule définition et c’est ce qui rend le sujet aussi intéressant et inépuisable. Associée au cours de l’histoire au génie puis à la folie, elle recouvre surtout, à notre époque, deux aspects très distincts : celui de la mélancolie douce, la saudade (mélancolie en portugais, ndlr), et celui de la maladie psychiatrique. Dans la dernière édition du Manuel diagnostique et statistiques des troubles mentaux, la mélancolie est apparentée à la forme de dépression la plus grave.
« J’ai plutôt un désir constant de m’amuser, qui va finalement de pair avec ma propension au vague à l’âme. »
Comment, selon vous, se reconnaît-on mélancolique ? Quels sont les symptômes ? Quels sont vos symptômes à vous, Eva Bester ?
Je ne peux que parler de mon cas car la mélancolie revêt une multitude de symptômes selon l’âme qu’elle habite. Au Ve siècle avant Jésus-Christ par exemple, on reconnaissait un atrabilaire à son caractère craintif, triste, fourbe, à ses coliques et à ses cicatrices noires aux pieds. Au XVIIIe siècle, l’Encyclopédie affirme qu’il a les sourcils froncés, qu’il médite et qu’il est constipé !
Personnellement, je me reconnais plutôt dans la crainte et la tristesse. Quant aux autres symptômes partagés avec ceux qu’on retrouve de tout temps, je dirais : la fatigue récurrente d’être soi, la tendance à l’isolement et les pensées macabres. Mais attention, hein, ça c’est quand je suis seule et que je suis vraiment abattue, sinon j’ai plutôt la réputation d’être une bonne vivante ! Je ne me fais pas des soirées dans le noir avec des crânes, des bougies et Ô Solitude de Purcell en pensant à la finitude ! J’ai plutôt un désir constant de m’amuser, qui va finalement de pair avec ma propension au vague à l’âme.
« Dès qu’on dépend d’un autre être, c’est la merde », avez-vous déclaré. Mais n’est-ce pas aussi le cas quand l’on « dépend » de la mélancolie ? Une sorte de dépendance à la culture suffit-elle à embrasser son spleen ?
L’idée de dépendance m’est assez désagréable dans tous les domaines. J’aime à penser que si un jour j’étais kidnappée et enfermée dans une pièce avec seulement de l’eau et de la nourriture, je pourrai survivre tranquillement (et je ne dis pas « joyeusement »). Dépendre de certaines choses (nourriture, abri…) ou d’êtres (parents pour un nouveau-né…) est inéluctable, donc si l’on peut ne pas s’en rajouter, on est plus armé pour survivre.
Vous dites ne pas « être cool » car pour vous, c’est une « prostitution de l’être ». Pourtant se cultiver et transmettre toutes les petites parenthèses que l’on trouve dans le livre, beaucoup trouveront ça « cool », non…?
J’ai dit ça dans une interview il y a longtemps et l’on me le ressort souvent (rires). Se cultiver est en effet extrêmement cool mais accessible à tous, donc pas vraiment dans le sens du « cool » qu’on évoquait pendant l’interview, cette sorte d’élitisme basé sur de la surface et du vide. Mais on peut en débattre sans fin, qui est cool selon vous ? Connaissez-vous par exemple quelqu’un qui n’a pas envie d’être aimé ? Et si quelqu’un vous dit qu’il a envie d’être aimé, ne perdra-t-il pas immédiatement sa place de majorette dans l’équipe du « cool » ? J’ai plein d’autres exemples avec des animaux, des chapeaux et des pistaches si vous n’êtes pas convaincu !
« Si un génie me proposait de photoshoper mon âme, je lui demanderais d’être beaucoup moins sensible et moins touchée par les choses. »
Parallèlement, pour vous, « quand on est hypersensible, on est chiant ». D’où vient, selon vous, cette propension à se détacher d’une personne hypersensible ?
La personne hypersensible est le miroir qui nous renvoie sans cesse ce qu’on cherche en général à fuir frénétiquement. Vraiment, si un génie me proposait de photoshoper mon âme, je lui demanderais d’être beaucoup moins sensible et moins touchée par les choses, enfin d’être cool sans doute. C’est absolument tragique.
Y’a-t-il une personnalité, un « apothicaire de l’âme », dont vous aimeriez avoir les remèdes ? Pourquoi ?
Je pense qu’Oscar Wilde, en dehors de ses affres avec l’insupportable Alfred Douglas, avait un certain don pour l’enjouement.
Eva Bester, qu’est-ce qui vous rend mélancolique, aujourd’hui, dans ce monde ? Et à contrario, qu’est-ce qui vous égaye ?
Le manque de bienveillance et les frites froides m’attristent beaucoup… Heureusement qu’il y a les livres !
Remèdes à la mélancolie
Eva Bester
Editions Autrement
281 pages, 16,90 euros
et
Remède à la mélancolie
Le dimanche de 10 heures à 11 heures sur France Inter
Animation et production : Eva Bester
(photo Christophe Abramowitz )
Lire aussi dans nos interviews découvertes :
Thibaut Lasfargues : la bande-dessinée décortiquée
Louis Witter : « A mes yeux, le Liban se résume en un mot, contraste »
Mathilde Lavenne : « On est guidé par le mythe de Frankenstein »