Comment passe t-on de l’animation à la bande dessinée, Arthur de Pins ?
Dans la BD, nous sommes assez nombreux à venir de l’animation. Pour ma part, il y a l’envie de raconter mes propres histoires. Faire un film est une expérience géniale, mais cela demande beaucoup de temps et d’énergie : 4 ans de recherches de subventions et de production pour 10 minutes de court-métrage… Le même intervalle de temps que pour pondre 5 ou 6 albums de BD, soit plus d’histoires à raconter. Par ailleurs, la BD est plus accessible : moins de tabous et un seul décideur : l’éditeur.
Que vous a apporté cette formation en animation dans votre style si singulier de dessinateur ?
Des influences plus variées. Je suis assez sidéré de voir à quel point la BD reste à 99% “encre de chine + aplats en quadri”. Dans l’animation, il existe autant de styles graphiques que de courts-métrages. C’est une meilleure école pour trouver sa patte, je trouve.
Vous avez évoqué sur le site 9ème Art que « la BD permettait beaucoup de libertés ». Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
L’animation coûtant cher et étant – en Europe- cantonnée à l’univers des enfants, il y règne une certaine pudibonderie. Pour rentabiliser son investissement, un producteur d’animation doit faire un film ou une série tout public. Un éditeur de BD s’en fout car l’investissement est moindre. Il y a dix ans, j’avais tenté d’adapter Péchés Mignons en série TV. La grande chaine hertzienne intéressée voulait garder les personnages mignons mais gommer les références au sexe. J’ai refusé, ça ne s’est pas fait. Heureusement, des séries comme Lastman ou les Kassos viennent aujourd’hui changer la tendance.
Vous naviguez entre plusieurs styles entre Zombillénium passant par Péchés Mignons ou le succès de la Marche du Crabe sans parler des différentes collaborations que vous menez. Si vous deviez donner une idée générale de votre style, que diriez-vous ?
Graphiquement, le point commun est sans doute l’emploi d’Illustrator : outil dont je suis tombé amoureux il y a 18 ans en découvrant le travail de Monsieur Z. D’une part, il y a cette contrainte de dessiner sans contour qui oblige à travailler la couleur et d’autre part, l’emploi de formes patatoïdes, notamment pour dessiner les yeux. La forme des yeux est la seule chose que je dessine toujours de la même façon.
Et surtout à partir de quoi l’avez vous créé ?
Mon idole absolue est Kiraz. Même s’il travaillait à la gouache, il avait ce sens de la couleur, de la lumière et des textures avec un graphisme très épuré. Il avait créé son propre langage. Avec lui, on voit si le sol est mouillé ou sec, s’il fait chaud ou froid, brumeux ou non, si sa parisienne en terrasse a des coups de soleil… Beaucoup de subtilités qu’il est très dur d’obtenir avec un style BD classique.
Parlons un peu de ce monumental Vectorama. D’où est venue cette idée de reprendre les grandes périodes d’Arthur de Pins. Est-ce une sorte de genèse ?
C’est une idée de mes éditrices Clotilde Vu et Barbara Canepa. On a pensé ce Artbook de manière chronologique, comme pour montrer comment on passe de l’animation au jeu video puis à l’illustration et à la BD. Étant étudiant, j’aimais beaucoup les récits de dessinateurs qui retraçaient leurs parcours. J’ai voulu faire de même, sans doute pour montrer que dans notre métier, il y a une part de travail acharné et une part de coïncidences heureuses.
Il y a également un côté très pédagogique où vous expliquez comment vous travaillez sur les logiciels de dessins en évoquant les avantages et les inconvénients de chacun. D’où est venue cette idée ? Pourquoi ce titre Vectorama ?
Vectorama vient du mot vectoriel, qui qualifie le dessin sur Illustrator à base de points et de courbes. Je ne sais pas trop d’où vient ce mot “Vectoriel”, mais puisqu’il s’agit du trait commun à la plupart de mes dessins, ça collait plutôt bien. Et puis Illustrator est bizarrement assez décrié dans le milieu du dessin. Surtout en BD. Certains dessinateurs trouvent son emploi trop rigide, trop mathématique (les mêmes qualificatifs qui ont fleuri aux débuts de la musique électronique). En gros, «Vectorama», c’est une façon de répondre “Je dessine avec un logiciel pensé pour des graphiques de compta et je vous emm…”
En somme, comment définiriez-vous cet ArtBook ? Et pouvez-vous nous expliquer les raisons de son découpage en 6 chapitres bien distincts ?
Il y a un classement chronologique et un classement par thématique. On est parvenus à faire s’entrelacer les deux.
Parlons un peu de votre période Chicks et de votre notoriété Google engluée sur ce style. Comment avez-vous commencé à dessiner ce modèle de femmes très singulier ?
Tout est parti d’une contrainte technique sur un jeu vidéo sur lequel je bossais en 2001 : les personnages devaient tenir dans un carré de 32 pixels de côté. Il fallait donc grossir les parties essentielles. Les yeux, la tête et -de manière plus subjective- les hanches, pour les personnages féminins. Fortement inspiré par Betty Boop et le Manga, j’ai donc créé cette «tribu» de petites femmes rondes qui n’a pas été retenue pour le projet mais que mes collègues avaient l’air d’apprécier. J’ai gardé ce concept dans l’illustration, ce qui m’a conduit à La Musardine, à Max Magazine et chez Fluide Glacial.
Vous abordez fréquemment dans cette période Chicks les relations hommes-femmes. Qu’est ce que vos dessins disent de notre époque dans ce rapport tantôt séducteur, tantôt tumultueux ou tantôt triste ?
Ce chapitre est typiquement représentatif d’une période particulière où je me posais un milliard de questions sur les rapports hommes-femmes. Je ne me les pose plus. Ou du moins, plus de manière moins angoissée. Je ne pense pas refaire de Péchés Mignons et j’ai raccroché mon tablier chez La Musardine. Je ne suis «plus dedans». Le «sexe mignon» était une façon de mettre une distance entre mes fantasmes et le public, de dédramatiser le sexe. Je pense que si je refaisais de l’érotisme, ce serait plus assumé, plus cru.
Sur ces 6 périodes, quelle est la celle qui vous correspond le mieux, Arthur de Pins et pourquoi ?
En ce moment, je dirais que c’est la dernière, celle des monstres et de Zombillénium, car je suis en plein dans la réalisation du long-métrage et que je me plais dans cet univers. Mais le chapitre dont je suis le plus fier est sans doute le plus méconnu : celui des Crabes.
Vous évoquez dans Vectorama votre arrivée chez Fluide Glacial qui semble n’avoir pas plu à tout le monde à ce moment. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Humainement parlant, tout s’est très bien passé. Je garde de très bonne relations avec mes anciens collègues, mais je ne me suis jamais senti chez moi. Un peu comme un chanteur de glam rock débarquant sur scène lors un concert de punk. D’où les quelques canettes de bières que je me suis pris sur le coin de la gueule (c’est aussi une image). Bref, j’ai trouvé ma famille depuis : le journal de Spirou.
Vous vous démarquez par votre travail que vous concentrez essentiellement sur ordinateur. Quelle regard portez-vous sur la méthode de dessin au crayon et papier pour résumer de façon très sommaire ?
Attention, je ne prêche pas le tout-ordi. Je suis très fan de beaucoup de travaux faits sur papier. Mais le discours de certains dessinateurs traditionnels vire parfois à l’intégrisme. Ils évoquent «le dépôt de charbon qui laisse des petits accidents sur les aspérités du papier». C’est bon, il faut arrêter la branlette…
Pour terminer, vous avez tout de même un regard parfois ironique voir sarcastique dans vos dessins qui prête très souvent à sourire. (On pense notamment au formidable dessin de la sirène bourrée – entre autres ! ). Diriez-vous que l’humour est partie prenante de votre style ?
«Sourire», c’est le mot. Je ne pense pas pouvoir faire vraiment s’esclaffer quelqu’un de rire car c’est un talent particulier que peu d’artiste ont (chez Fluide, notamment). Mon truc, c’est plutôt les personnages à contre-emploi avec deux niveaux de lecture. Je suis incapable de dessiner un personnage au premier degré. Demandez-moi de vous dessiner une femme nue, je ne pourrais pas m’empêcher de la faire bailler, ou ivre ou alors énervée parce que son soutif est coincé ou morte de rire… Idem si vous me demandez un zombie. Il ne se contentera pas de simplement jouer son rôle en criant «Braaains», mais il ira plutôt boire un coup avec ses copains. Car après tout, pourquoi pas ?
VECTORAMA
Arthur de Pins
Editions Soleil
Collection VenusDea
168 pages
23,00 euros
Le site officiel d’Arthur de Pins
(Crédit photo ©Anais Vanel / Visuels – Editions Soleil, 2016 – De Pins)
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