Editions des Saint Pères, fondées par Jessica Nelson & Nicolas Tretiakow

Jessica Nelson : l’amour des manuscrits

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Par Clara Mure – Les Éditions des Saints Pères ont été fondées en 2012 par Jessica Nelson et Nicolas Tretiakov. Tous deux passionnés par les beaux livres, ils ont décidé de se lancer dans la reproduction quasi artisanale de manuscrits originaux. Limités à un tirage de 1000 à 3000 exemplaires pour chaque ouvrage, le livre devient objet d’art, convoité par les bibliophiles. Les Éditions des Saints Pères nous dévoilent les secrets de ces grands auteurs pour rendre hommage au processus de création littéraire afin de rendre accessible ces chefs d’oeuvres à tous.

propos recueillis par

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Pouvez-vous nous présenter votre parcours singulier et dense ? En somme, comment devient-on co-fondatrice d’une maison d’édition telle que la vôtre ?
Je travaille dans le monde de l’édition depuis plus de quinze ans, et j’ai expérimenté de nombreux métiers – critique littéraire (presse web, papier, radio et télé), lectrice, éditrice, membre de comités de lecture, cofondatrice de prix, rédactrice en chef… et même auteur. Alors à un moment… quand votre meilleur ami (Nicolas Tretiakow) super créatif vous tire par la manche en vous disant, on y va, on la créée, cette maison ? Eh bien, on fonce…

Vous expliquez dématérialiser des postes afin de pouvoir investir davantage dans la matérialisation de vos manuscrits authentiques. De fait, comment se compose votre équipe chez Les Saints Pères ?
C’est une petite équipe, mais en effet, justement parce que nous avons un fonctionnement artisanal, et que nous produisons de petites quantités (nos tirages sont de 1000 à 3000 exemplaires), nous pouvons investir davantage sur la fabrication et les matériaux. Numériser un manuscrit, et traiter les images comme nous le faisons – nous voulons que chacun de nos livres donne l’impression à celui qui le parcourt l’impression de tenir entre ses mains le manuscrit original, même s’il est une reproduction – avec les techniques que nous avons développées, sont des processus long et onéreux. C’est parce que notre structure est simple, petite, souple, rapide, que nous pouvons malgré tout proposer ces ouvrages à des prix beaucoup plus accessibles que ne le feraient des éditeurs plus traditionnels.

On a lu que vous souhaitiez «réduire les coûts en vous dispensant des distributeurs et diffuseurs ». Comment procédez-vous alors à la diffusion de vos parutions ?
Cette question découle en effet de la précédente. Nous avons choisi un mode de fonctionnement différent de ce qui est pratiqué dans l’édition en règle générale. Nous avons un réseau de 300 libraires qui aiment travailler avec nous, et nous vendons aussi sur notre site Internet et Amazon. Cela nous permet d’alléger les frais de diffusion/distribution, et de rester accessibles aux passionnés.

Chaque édition de manuscrit est tirée à 1000 exemplaires, mais cette priorisation de la qualité est-elle le fruit d’une volonté ou d’une contrainte technique, de votre part ?
Fruit d’une volonté, car nous avons conscience de nous adresser à un public de passionnés (d’une œuvre ou d’un auteur) et que nous privilégions la qualité à la quantité – nous faisons fabriquer nos livres à la main, par exemple, et avons opté pour un processus de vérification des finitions, pages intérieures, couvertures, coffrets, unique.

Votre projet initial était de « rassembler les manuscrits de 10 auteurs vivants, ayant particulièrement marqué notre époque » mais celui-ci a évolué et a également contribué à augmenter le prix des manuscrits. Comment avez-vous procédé à la sélection des auteurs et qu’ont-ils en commun ?
Notre fourchette de prix n’a pas beaucoup varié, et nous les fixons en fonction des coûts que représente chaque aventure, qui est singulière et ne ressemble pas à la précédente. Le manuscrit n’est pas toujours numérisé. Il y a parfois de nombreux mois de labeur en terme de restauration des images. Des droits à payer. Etc. Nous choisissons les manuscrits en fonction de nos goûts, et de ceux qui existent – l’histoire est faite, hélas, de manuscrits perdus et détruits !

Votre mission éditoriale s’ajoute à une mission de conservation du patrimoine, décrivez-nous le procédé de fabrication de ces ouvrages ?
C’est une longue histoire ! Mais oui, nous avons l’impression fort merveilleuse de participer à la conservation du patrimoine dès lors que nous finançons des numérisations, et que nous partageons ces œuvres incroyables qui autrement dorment bien souvent dans des coffres, loin de l’œil du public.

Vous semblez mettre en valeur la fabrication artisanale. Est-ce que vous cherchez à redonner ses lettres de noblesse au manuscrit authentique ?
Le manuscrit est en passe de disparaître car, je ne vais pas vous l’apprendre, nous écrivons de moins en moins à la main… Les coulisses et les balbutiements de l’écriture disparaissent avec les nouveaux moyens technologiques qui sont les nôtres. Nous souhaitons à la fois remettre l’objet livre au centre des préoccupations (mais dans le contexte de dématérialisation qui est le nôtre, seuls certains formats peuvent subsister) et revenir à la source première de la création littéraire.

Vous expliquez que «la recherche de la version originale de l’ouvrage est une véritable chasse au trésor». Comment se passent les négociations avec les ayants-droit une fois le manuscrit retrouvé ?
Chaque aventure, encore une fois, est unique. En général les ayants-droits sont heureux de nous confier la reproduction d’un manuscrit, car nous avons sans doute donné des gages, ces dernières années, de la qualité de nos publications.

Quel est le public ciblé par vos manuscrits, des passionnés d’objets d’art, des investisseurs ou des lecteurs lambda ?
Tout cela à la fois !

Vous vous présentez comme à contre-courant de l’ère numérique. Est-ce parce que le digital rend le papier encore plus rare que vous avez voulu faire le pari fou de lancer une maison d’édition spécialisée dans la confection de manuscrits ?
A vrai dire nous n’avons pas beaucoup réfléchi avant de nous lancer. Nicolas et moi avions envie d’une maison d’édition spécialisée dans cette passion que nous avons pour les manuscrits (et donc, en les reproduisant), et envie de beaux objets…

Pensez-vous que cette intimité retrouvée entre l’auteur et le lecteur soit un moyen de lutter contre la crise du livre papier ?
Il y a une évolution à l’œuvre : la dématérialisation. Je ne suis pas certaine que lutter contre soit sage. En revanche, cela n’interdit pas de chercher à montrer la création sous d’autres formes. Le manuscrit permet de construire un lien avec l’auteur tout à fait particulier. Et je suis convaincue que ce lien ne peut pas se construire via un écran.

Est-ce que l’entreprise italienne historique Fedrigoni, qui vous fournit le papier, participe au raffinement et à l’exigence de votre maison d’édition ?
Nous essayons de choisir les meilleurs matériaux, et de faire fabriquer les livres les plus majestueux possibles.

En quoi les Éditions Saints Pères tiennent-elles un engagement écologique ?
Pour chaque titre publié, nous plantons un arbre en Normandie, tentant ainsi de faire pousser la première forêt littéraire. Je vous dirai d’ici quelques années où nous en sommes ! Nous essayons aussi d’utiliser des matériaux et des techniques respectueux de l’environnement.

Pensez-vous que l’e-book soit un moyen de sauvegarder l’environnement et envisagez-vous d’éditer vos manuscrits de manière numérique ?
Ce n’est pas à l’ordre du jour…

Que pensez-vous de la spéculation qui existe autour de ces manuscrits, au même titre que des œuvres d’art ?
La spéculation existe autour des manuscrits originaux, et de nos reproductions. Je n’en suis pas étonnée… Mais, alors que l’œuvre d’art est inaccessible, ce que nous proposons est au contraire d’ouvrir, de partager.

Editions des Saint Pères
www.lessaintsperes.fr
Fondées par Jessica Nelson & Nicolas Tretiakow

(Crédit Photo : Francesca Mantovani)

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