Thierry Balasse, pouvez-vous définir en quelques mots ce qu’est la musique électroacoustique ?
La musique électroacoustique est apparue dans les années 1950 grâce au développement des techniques du son. Tout d’abord l’enregistrement sonore, sur magnétophones à bande et sur disques « souples » (comparables aux vinyles), puis les synthétiseurs et effets spéciaux sonores. Les systèmes d’enregistrement sonore ont permis d’aborder le son sous un jour nouveau, avec la possibilité de créer des boucles, des ralentissements, des accélérations, des sons à l’envers, c’est à dire tout un nouveau champ de timbres nouveaux. Puis les synthétiseurs ont permis de prolonger cette idée d’une musique qui s’affranchit totalement de l’écriture, de l’abstraction, des codes mélodiques et harmoniques qui s’étaient peu à peu imposés, pour renouer avec la recherche et la liberté du jeu avec les sons. Les studio son est devenu un instrument de musique en lui même.
Comment avez-vous découvert cet univers musical singulier ?
Comme créateurs de bandes sonores et musicales pour le théâtre, utilisant essentiellement la percussion et le synthétiseur, j’avais développé mon propre univers musical en autodidacte complet. C’est en me mettant au service de Christian Zanési comme technicien son (mon métier originel) que j’ai découvert que je faisais sans le savoir de la musique électroacoustique. Je crois aussi que l’écoute des Pink Floyd lors de mon adolescence m’avait « préparé » à aller dans cette direction.
Un terme m’arrête : les bagues larsen. Pouvez-vous le définir ?
Les « bagues larsen » constituent un instrument de musique que je développe depuis pas mal d’années. Des micros placés sur des bagues, que je déplace devant différents haut-parleurs. La combinaison de plusieurs larsens (le phénomène qui se produit quand un micro est placé devant un haut-parleur et que les techniciens son redoutent) et des traitements sonores me permettent de les maîtriser et de les moduler de façon musicale. C’est un instrument hors norme, ne cherchant pas à créer des mélodies, mais des textures sonores libres.
Que veut dire metteur en sons ?
Je ne sais pas à quelle occasion j’ai pu employer ce terme. Disons que je suis un metteur en scène dont l’axe de travail est le son. Donc j’ai du réduire cette approche à l’idée de metteur en son, c’est à dire quelqu’un qui pense son travail (pour le disque ou pour la scène) non pas en terme musical au sens classique du terme, ou seulement en terme d’espace et de dramaturgie, mais bien en terme de son, qui porte en lui des notions propres d’espace et de temps.
Quelle différence ou passerelle faites vous entre le son et la musique, Thierry Balasse ?
La musique est l’art de jouer avec les sons. Pour moi, je pourrais m’arrêter là. Il y a des gens qui revendiquent un champ de la création sonore en dehors de la musique. Je pense que c’est lié à une vision étriquée de la musique, qui ne serait que la musique « classique », celle qui s’enseigne dans les conservatoires et que l’on croit être LA musique, mais qui n’est qu’un champ très réduit de ce qui existe dans le monde, même si elle peut revendiquer un aboutissement très important. Si on a cette vision, alors il peut exister une forme de création sonore.
Concernant La face cachée de la lune, vous avez déclaré chez nos confrères de France Musique que l’album des Pink Floyd était une partition sur laquelle vous greffiez votre travail. D’où est venue cette idée ?
Il est très difficile de faire entrer la musique électroacoustique, la musique expérimentale quelqu’elle soit dans les scènes pluridisciplinaires. Ce projet s’appuyant sur Pink Floyd (qui eux-même sur scène n’hésitaient pas à partir dans le matière sonore en dehors de tous schémas pré-établis) m’a permis de faire entrer cette dimension peu connue dans une centaines de lieux en France qui n’auraient jamais programmé un concert de musique expérimentale. Dans ce spectacle, nous jouons les chansons des Pink Floyd, mais nous faisons la part belle à leurs expérimentations, que nous prolongeons par nos expérimentations d’aujourd’hui.
Parlons de votre concert pour le Temps Présent que vous présenterez au Théâtre Molière de Sète. Est-ce que le postulat du spectacle est-il l’immersion du spectateur dans la création de la musique au coeur d’un studio ?
Mon postulat de départ est plutôt la question de l’écoute: en première partie, une écoute « pure », dite « acousmatique », c’est à dire qu’on ne voit pas d’instrumentiste, on ne voit pas la source sonore, puisqu’elle est enregistrée. Elle est diffusée sur un orchestre de haut-parleurs, le spectateur est donc dans une écoute totale. En deuxième partie, une écoute qui s’appuie sur la vision des musiciens, mais avec une approche musicale qui permet difficilement de prévoir ce qui va se passer, et de comprendre réellement qui fait quels sons. Donc une écoute sans balise, où l’auditeur suit pas à pas la proposition musicale. Et enfin, en troisième partie, une écoute qui repose sur le plaisir de retrouvailles avec une musique connue, avec une part d’expérimental mais qui vient s’appuyer sur des codes standards de la pop musique, donc une écoute s’appuyant sur la mémoire, le plaisir de la reconnaissance, et le plaisir nouveau de voir cette musique se jouer pour la première fois sur scène.
Dans Fusion A.A.N, on lit que vous cherchez à réconcilier l’électroacoustique et la pratique instrumentale. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Avec le développement de l’informatique, on en est arrivé à penser que le musique électroacoustique est intimement liée à l’ordinateur, avec des musiciens qui ne manipulent plus que des claviers d’ordinateurs, des souris et quelques « pads », et finalement ne font qu’agencer des sons pré-enregistrés et pré-travaillé en studio. Je pense pour ma part que le geste du musicien, celui des pionniers dans leurs studio, est un élément important de la musique qui en résulte. Ce qui me plait dans l’idée de l’instrument (comme les bagues-larsen), c’est d’une part, le geste, mais aussi le fait que l’instrument produit lui même réellement le son qu’on entend, qu’il n’est pas un simple déclencheur d’un son pré-enregistré.
Vous présenterez Envol, la pièce de Pierre Henry qui se définit comme un orchestre de hauts parleurs. Quelle est l’idée ?
La pièce Envol comme la quasi totalité des créations de Pierre Henry est une pièce « sur support », c’est à dire finalisée en studio. L’interprétation sur scène consiste à lui donner vie dans l’espace grâce à un « orchestre de haut-parleurs ». Dans notre spectacle, il y en a une cinquantaine, qui permettent de développer une évolution de la pièce dans l’espace, allant du plateau vers la salle, allant jusqu’à englober le spectateur, pour parfois repartir au lointain, ou en arrière de la salle…
Avec les 3 pièces qui composent ce spectacle, comment sont-elles articulées pour donner une cohérence à votre représentation ?
La cohérence, c’est l’univers de Pierre Henry, qui signe la première et la troisième pièce (avec Michel Colombier pour la Messe pour le temps présent), univers auquel j’ai rendu hommage en restant dans des sonorités qu’il aime pour ma propre composition (Fusion AAN)
Appréhendez-vous l’accueil du public pour cette proposition musicale singulière ?
Je l’ai appréhendé au tout début du projet, car la première écoute (sans musicien sur scène et avec une musique s’échappant des codes habituels) peut être déstabilisante pour un public novice. Mais ce spectacle a déjà joué plusieurs fois partout en France, et je constate avec plaisir que le public français est prêt à l’aventure si on la lui propose sans provocation, sans le mépriser. Et l’écoute finale de la Messe pour le temps, si plaisante et si entrainante, met tout le monde d’accord !
Concert pour le Temps Présent
Pierre Henry – Thierry Balasse – Cie Inouïe
Mardi 29 novembre 20H30 – Durée 1H10
Théâtre Molière de Sète
Réservation de place en ligne ici
( Photo D.R )
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