Marie Ndiaye : Lucullus dîne chez Lucullus

par
Partagez l'article !

Par Marc Emile Baronheid – Très à la mode en ce moment, Magritte se plairait à dire que ceci n’est pas une métaphore de l’écrivaine. Même si la protagoniste trouve dans la création une raison de vivre, même si la solitude est un morceau de bravoure à répétition, même si ses clients la portent aux nues, même si sa créature finit par la trahir.

Partagez l'article !

Plutôt une allégorie ? Vous en jugerez, à travers l’ histoire simple d’une gamine touchée à 16 ans par la grâce des fourneaux. La morgue universitaire la qualifierait d’ autodidacte, parce qu’elle échappe à toute manipulation. Le narrateur, vestale maladroite qui l’accable d’une encombrante piété, l’appelle la Cheffe, comme c’est l’usage dans les sphères toquées. Petite bonne sachant lire mais écrivant à peine, elle hérite la responsabilité des papilles et des ventres de ses patrons, le jour où la cuisinière en titre choisit de prendre du recul. La future cheffe est-elle inconsciente ou mue par l’assurance culottée que donne une longue sédimentation subreptice ? Son irrésistible et si maîtrisée ascension peut commencer. Pour dire le fracas silencieux de l’autosatisfaction, la réticence aléatoire avec laquelle on salue sa propre progression, le silice de l’acharnement à trouver l’assaisonnement indiscutable, la traque sisyphienne de saveurs aux mariages insoupçonnés, MD (à ne pas confondre avec feue la pasionaria des bobos) lance son héroïne sur un chemin de Damas pavé d’intentions absolues, de tentations retorses, au gré de phrases frôlées par un frisson proustien.
En filigrane, une voix avance que l’aboutissement de toute entreprise créatrice a pour prix la terre brûlée sentimentale. La Cheffe jouit à sa manière de sa première étoile dans le Guide. Marie Ndiaye en a déjà obtenu deux (Femina 2001, Goncourt 2009, en plus d’une pièce entrée au répertoire de la Comédie-Française). Une troisième ? Cherchez l’indice. La Cheffe a fait un cheval de Troie de son emblématique gigot d’agneau en habit vert. Serait-ce éventer un secret que l’imaginer mitonné à l’huile de palme(s) académique(s) ? Tentation ou pied-de-nez ? Quos vult perdere Jupiter dementat.

« La cheffe, roman d’une cuisinière », Marie Ndiaye, Gallimard. 17,90 euros

Lire aussi dans les chroniques de romans :

Catherine Cusset : la maîtrise élégante de madame nostalgie

Charles Jackson : le jeu dangereux de l’ivresse

Smith Henderson : un premier roman déroutant

Zijian Chi : immersion chez les Evenk

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à