D’où vous est venue cette idée de faire un roman graphique sur Marilyn Monroe ? Plus précisément d’où vous vient cette passion pour cette icône américaine ?
J’ai toujours été fasciné par l’iconographie de la culture américaine des années 50/60. Même si je n’ai pas vécu cette période, elle m’est toujours apparue comme une sorte d’Eldorado. Une parenthèse dans l’Histoire où tout paraissait accessible et permis. Par ailleurs, je m’interroge beaucoup sur l’image de soi. D’autant plus en ces temps où chacun se crée sa propre mythologie personnelle en s’exposant sur les réseaux sociaux. Qui d’autre que Marilyn Monroe pouvait combiner ces deux aspects ?
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le postulat du « portrait fantasmé » ? Avez-vous complété votre travail par des recherches sur Marilyn Monroe et sur l’univers d’Holywood de l’époque pour affiner votre scénario ?
Avant de penser à faire un « portrait fantasmé », je me suis beaucoup documenté sur la vie de l’actrice et le Hollywood de cette époque. Pour cela, son autographie Confession inachevée, Dernières séances de Michel Schneider et le recueil de poèmes Fragments m’ont été d’une très grande utilité. Pendant cette phase de recherche, il me semblait primordial de comprendre le lien entre cette femme qui sortait de nulle part et cet univers cinématographique qui lui était totalement étranger et dont elle est devenue, des années plus tard, la représentation la plus absolue. Une fois ses intentions et ses motivations identifiées, la phase de transposition dans un monde fantasmagorique pouvait commencer.
J’imagine que le jeu de mots du titre Holy Wood participe de cette idée du portrait fantasmé ?
Tout à fait. Il fallait un élément fort pour alerter le lecteur sur ce qu’il allait lire. Qu’il ne s’agissait pas ici d’une biographie « classique ». Le jeu de mots sur le titre me paraissait suffisant.
Pourquoi avoir campé votre récit dans un Hollywood présenté sous la forme d’une forêt pleine de dangers et extrêmement hostile ?
Outre le jeu de mots du titre, j’ai choisi de situer Hollywood en pleine forêt parce que c’est en elle que le loup se cache. Dans les contes – comme à Holy Wood – , la forêt représente un monde au sein du monde. Un univers régit par ses propres règles et dans lequel les personnages s’y perdent. Là encore, dans les contes traditionnels, la forêt est un passage. Un passage tragique ou initiatique selon les cas. La forêt est aussi le lieu de rencontres merveilleuses avec des animaux perfides ou des êtres mystérieux qui mettent en danger le héros. Elle peut être aussi le lieu de rencontre avec soi-même, avec sa propre peur à dépasser les évènements. Le lien entre Norma Jeane Baker et ces personnages de contes me semblait évident.
Holy Wood apparaît comme un univers impitoyable qui semble broyer l’humanité de celles et ceux qui le pénètrent. La mise en couleur accentue cette impression. Comment avez-vous appréhendé ce travail graphique ?
Jusqu’à Holy Wood, j’étais plutôt adepte de la mise en couleur dite « traditionnelle », à l’aquarelle. Pour ce projet, je voulais un rendu plus « mécanique », moins organique et peut-être plus « froid » dans l’application des couleurs d’où la mise en couleur numérique. De plus, ce type de mise en couleur permet des contrastes très forts, presque expressionnistes.
Votre récit présente une Marilyn totalement tourmentée et dépassée par les événements qui la mènent inexorablement à la célébrité. Etait-ce votre postulat de départ ou les traits du personnages se sont-ils dessinés au fur et à mesure de l’écriture du scénario ?
À mon sens, ce qui a amené Norma Jeane Baker à Holy Wood, c’était son désir de devenir quelqu’un d’autre. De faire table rase du passé et se réinventer une identité. Devenir une personne qui pourrait être aimée de tous. Elle cherchait à travers le regards des autres, l’amour d’un père et d’une mère qui lui faisait défaut. Malheureusement pour elle, Holy Wood était peut-être le seul endroit où il ne fallait pas se hasarder et la célébrité n’a fait qu’accentuer cette sensation de solitude. Malgré les apparences, son état ne pouvait qu’empirer.
Pourquoi avoir choisi cette phrase de Lewis Carroll pour introduire votre bande dessinée ?
Parce qu’elle résume très bien l’état d’esprit dans lequel était Norma Jeane lorsqu’elle s’est aventurée à Holy Wood. De plus cet extrait est tiré du livre De l’autre coté du Miroir. Il raconte les (més)aventures d’Alice dans l’autre monde. Cela faisait naturellement écho au scénario que j’étais en train d’écrire.
Qu’incarne ce mystérieux couple Wilcox dans l’univers d’Holy Wood ?
Horace et Daieda Wilcox ont réellement existé. Ceux sont les premiers à s’être implantés à Hollywood dans le but d’y établir et y faire prospérer l’industrie cinématographique américaine. Dans Holy Wood, ils incarnent des êtres divins, tout puissants et décisionnaires sur les carrières des aspirants comédiens. En dépit de leur apparences, les Wilcox ne sont pas des êtres vils et malveillants. Ils ne cherchent pas à garder ou à piéger les individus en manque de reconnaissance. Ils leur donne juste accès à la célébrité. Avec toutes les retombées qu’elle entraîne.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’étrange relation de Marilyn avec cette petite fille? Est-elle une sorte de double, de rêve, de mirage ou les trois à la fois ?
Je serai tenté de dire les trois à la fois. J’ai toujours pensé que l’enfance était le stade le plus pur du développement humain. Il est spontané, libre et positif. Tout l’inverse de l’adulte qui est plus calculateur, assujetti et parfois même étiqueté par rapport à son rang social. D’autant plus à Holy Wood où l’apparence prédomine. Lorsqu’elle découvre ce monde de strass et de paillettes, Marilyn Monroe s’interroge sur le sens des choses. Sur ce qui est vraiment important. Et la présence de cette petite fille va largement y contribuer.
Pourquoi avoir fait le choix du chapitrage dans Holy Wood ?
Les chapitres rythment un ouvrage. Ils permettent de définir clairement les différents stades de l’évolution du personnage principal. Dans Holy Wood, les trois chapitres correspondent aux trois stades du développement du papillon. Tout commence avec la chenille, puis enfin la chrysalide et le papillon adulte. Là encore, le parallèle avec Marilyn Monroe me paraissait intéressant.
L’évocation graphique de Marilyn Monroe correspond à l’imaginaire populaire alors que l’univers d’Hollywood relève du fantasme. Pourquoi cette distorsion graphique ?
Il me semble que ces deux notions s’entremêlent. Marilyn Monroe relève aussi du fantasme. Celui de cette femme-objet créé pour satisfaire une industrie majoritairement masculine. Pendant longtemps, le féminin n’avait pas sa place dans les films hollywoodiens. La femme était soit un objet de décoration et de désir, soit on la « travestissait » en homme, en apparaissant stricte et autoritaire. Marilyn Monroe appartenait à la première classe. Celle de la « blonde idiote ».
Cette bande dessinée se lit comme une formidable parabole sur l’identité et sur l’un de ses pires prédateurs, l’ostentation. Etait-ce le fil rouge de départ selon vous Tommy Redolfi ? C’est d’ailleurs peut-être cela qui surprend le plus dans votre récit ; son incroyable actualité avec la société actuelle de la télévision et du show-business ?
Tout à fait. Le thème du besoin de reconnaissance est on ne peut plus actuel. Il suffit pour cela de se pencher sur les réseaux sociaux qui fourmillent de selfies. Ces photos destinées à prouver de notre existence. C’est très symptomatique des sociétés dans lesquelles nous vivons. Les téléréalités ont effectivement contribué à créer ce besoin d’être vu et d’être connu. Malheureusement, leurs scénarisations sont devenues de pire en pire. Lors des premières émissions, le simple fait d’être vu était un but en soit. Maintenant, les candidats sont devenus des personnages de fictions auxquels les plus jeunes peuvent s’identifier, voire admirer. L’ignorance et la superficialité sont presque devenus des qualités à « acquérir ».
On a du mal à admirer l’héroïne et les sentiments qui prédominent se polarisent autour de la pitié et de la peine pour cette fille broyée par le système et le paraître. Quel est votre avis à ce sujet ?
C’est justement là que réside tout le paradoxe de Marilyn Monroe. A l’exception de sa plastique, Hollywood nous a vendu une femme détruite qu’il est tout simplement impossible d’admirer. Pendant ma phase de recherche et de documentation, mon seul désir était celui de la rassurer et de la protéger de ce système. De lui dire : « Quitte cet univers. Il n’est pas fait pour toi. Tu vaux bien mieux. » Mais rares furent les personnes pour le lui dire. Il est aussi fort probable que son succès et sa popularité l’ont convaincu qu’elle avait enfin réussi à se débarrasser de cette femme creuse et insignifiante qu’elle était en arrivant à Hollywood.
Pour finir, votre mise en couleur est remarquable tant elle rythme votre récit de bout en bout. Est-il vrai de dire qu’elle pourrait apparaitre comme un personnage à part entière ?
Je ne pourrais pas dire que je l’ai pensé en tant que tel. Mais il est clair qu’elle m’aide beaucoup à composer les différentes parties de mon récit.
Travaillez-vous déjà sur un autre projet de ce type où vous êtes au dessin et au scénario ?
Je travaille actuellement sur mon troisième court-métrage en collaboration avec France Télévisions. Quant aux projets BD, j’ai déjà quelques pistes de réflexion mais il est encore un peu trop tôt pour en parler.
Holy Wood
Portrait fantasmé de Marilyn Monroe
Tommy Redolfi
Éditions la Boîte à Bulles
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