Le mystère Babouillec : à la découverte d’une auteure sans paroles
De Florence Yérémian – Étonnant monde que celui d’Hélène Nicolas alias « Babouillec ». Enfermée dans son corps d’enfant et sa maladresse, cette jeune autiste possède d’incroyables dons d’écriture voire de télépathie.
Née en 1985, Hélène a aujourd’hui plus de trente ans mais elle ressemble toujours à une adolescente. Malgré son insuffisance motrice et son incapacité à parler, elle a développé une façon bien particulière de communiquer : munie d’un alphabet, elle construit des phrases sur papier au gré de ses pensées et parvient ainsi à traduire son univers intérieur en le projetant du bout de ses doigts. Épaulée quotidiennement par sa mère Véronique Truffert, elle a ainsi écrit des centaines de pages dont plusieurs ont fait l’objet de livres parsemés de questions existentielles.
Parmi ces ouvrages figurent le mystérieux « Algorithme éponyme » ou le monologue « Raison et acte dans la douleur du silence ». Inspirés par ces textes surréalistes et cette intelligence extraordinaire, Julie Bertuccelli a voulu réaliser un film-hommage pour permettre à chacun de découvrir le mystère Babouillec. À mille lieues de tout apitoiement, la cinéaste s’est penchée sur l’existence de cette jeune fille hors-norme et l’a suivie dans ses errances mutiques. Durant une heure trente, l’on voit ainsi Hélène « dialoguer » avec un mathématicien, courir dans la forêt avec une énorme bouée ou donner son avis sur l’adaptation de ses textes au théâtre.
Le verbe d’Hélène est en effet d’une telle puissance qu’il a séduit le metteur en scène Pierre Meunier et donné naissance à une pièce présentée au Festival d’Avignon en juillet 2015 (Forbidden di Sporgersi). L’oeuvre théâtrale de Meunier est à l’exemple de la pensée d’Hélène : un magma lyrique d’une très grande densité existentielle. Bien qu’elle soit enfermée dans sa carapace corporelle, Miss Babouillec possède effectivement une sensibilité exacerbée et une lucidité qui l’entraîne dans un questionnement permanent sur le monde qui l’entoure : avec humour et fulgurance, elle débat sur Dieu, évoque le nihilisme, remet en cause la verticalité de l’être humain ou critique le chaos humanitaire. Son écriture est libre, spontanée, parfois désordonnée mais pétrie d’une poésie et d’une profondeur désarmante. Le plus étonnant est que Mademoiselle Babouillec n’a jamais appris à lire ni à écrire, ce qui nous emmène à nous demander d’où lui vient ce don et cette prose métaphysique qui résonne au delà des sons ?
Certes le film de Julie Bertuccelli est parfois difficile à regarder : en tant que spectateur non averti, l’on percute de prime abord sur les sons étranges émis par cette jeune femme « mal calibrée » à la langue pendante. Un être atteint d’autisme est dur à affronter de visu car son enveloppe physique sort de la normalité et ses troubles comportementaux dérangent. Dès que le spectateur comprend ce qui se cache derrière ces yeux fuyants et cette gestuelle dispersée, il fait cependant abstraction de l’apparence et se met à suivre avec exaltation l’esprit philosophique d’Hélène.
Par-delà son handicap, l’on se dit que cette perle qui cogite en permanence dans son huitre close possède un accès exclusif aux perceptions cosmiques. Qu’elle soit poétesse visionnaire ou télépathe bancale, Hélène bénéficie de toute évidence d’un réseau neuronal et de connections synaptiques qui la mettent en contact avec des sphères et des dimensions que nous ne pourrons jamais capter.
En la mettant ainsi en scène, le documentaire de Julie Bertuccelli fait définitivement changer le regard du spectateur sur le trouble autistique. Face à ce type de pathologie qui frôle le génie, on devient à notre tour muet… d’admiration.
Dernières nouvelles du Cosmos
Un film-documentaire de Julie Bertuccelli
Avec Hélène Nicolas, Véronique Truffert, Pierre Meunier
Musique Monsieur Roux
Au cinéma le 9 novembre 2016
1h25 – 2016
Devenue auteure à part entière, Hélène Nicolas signe aujourd’hui ses publications sous le nom de Babouillec Sp (« Sans Parole »). Ses livres (« Algorithme éponyme » – « Raison et Acte dans la douleur du Silence » – « Soif de lettres ») sont disponibles auprès des Éditions Christophe Chomant.
(Source de la photographie : Pyramide Films)
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