Cézanne et moi : un film qui se contemple comme une toile de plein-air
De Florence Yérémian – Le nouveau long métrage de Danièle Thompson (Fauteuils d’orchestre, La Bûche…) se détourne de ses habituelles comédies. En prenant pour thème l’amitié tumultueuse qui exista entre Zola et Cézanne, la fille de Gérard Oury se lance un beau défi artistique qu’elle relève avec autant de tendresse que d’esthétisme.
L’histoire débute dans les Yvelines à la fin du XIXe siècle. Proche de la cinquantaine, Emile Zola accueille son ami Cézanne dans sa pompeuse résidence de Médan. Partagés entre la nostalgie de leur enfance et la désillusion de leur grand-âge, les deux hommes ne savent plus vraiment sur quel ton se parler: l’un a fait fortune et connu la gloire grâce à ses écrits, l’autre est resté frustré à l’ombre de sa peinture bien trop subversive pour les bourgeois de son temps. Malgré la joie première de leur retrouvailles, l’inaltérable jalousie de Cézanne va une fois de plus semer le doute et l’amertume dans l’esprit d’Emile…
Guillaume Gallienne : un peintre libre et sans concessions
C’est à Guillaume Gallienne que revient le rôle teigneux et tourmenté de Paul Cézanne. Affublé d’un chapeau de paille et d’un accent méridional, l’acteur semble se glisser avec bonheur dans le caractère teinté de mistral de cet artiste incompris: homme libre et sans concession, Cézanne était aussi orgueilleux que solitaire. Porté par un idéalisme qui ne lui permettait pas de tricher avec la vie, il possédait une spontanéité et un franc-parler qui lui mettait à dos l’ensemble de son entourage. À en croire le scénario de Danièle Thompson, Zola fut l’un des seuls amis qui lui resta fidèle en dépit de leurs désaccords et de leurs multiples querelles. Face à ce marginal en quête de gloire et de reconnaissance, se profile donc l’imposant auteur des Rougon-Macquart. Interprété par Guillaume Canet le personnage de Zola semble rester en retrait de son ami peintre. Dissimulé derrière sa barbiche et ses petites lunettes, Guillaume Canet manifeste en effet une sobre élégance et une douce minutie mais il se fait littéralement voler sa place par l’exubérance de Guillaume Gallienne. Un Zola moins réservé voire plus ambitieux aurait permis aux deux acteurs de crever l’écran…
Danièle Thompson : la toile vivante d’une amitié authentique
Si Danièle Thompson a laissé faire, l’on peut alors imaginer que la cinéaste préfère les peintres aux hommes de plume. Il faut dire qu’elle possède elle-même le goût du détail et des couleurs qu’elle livre par petites touches au fil de son histoire : entre la nuque laiteuse d’une belle lingère, l’ombrelle rouge d’une promeneuse et les courbes chatoyantes d’une muse endormie, Danièle Thompson réussit magnifiquement à nous transporter dans l’esthétique harmonieuse de son imaginaire. Elle parvient également à nous faire ressentir le soleil de Provence en captant les oscillations de la lumière et en laissant ses protagonistes déambuler allègrement dans les chemins chauds du Midi : qu’il s’agisse des plateaux de garrigue ou des roches ocres de Bibémus, sa caméra offre à foison des paysages d’Eden dont la tonalité contraste parfaitement avec la grisaille parisienne où s’est enterré Emile Zola.
Reprochant à cet auteur de s’être embourgeoisé et d’avoir perdu ses convictions d’enfance, Danièle Thompson se positionne de toute évidence aux côtés du pauvre Cézanne et de ses espérances bohèmes. Par delà l’éloge évident qu’elle prodigue au « peintre des pommes », son film retrace surtout une très belle histoire d’amitié : celle de deux génies qu’elle a su ingénieusement décrocher de leurs poussiéreux piédestaux pour nous les rendre enfin plus humains.
Cézanne et moi? Un film qui se contemple comme une toile de plein-air !
Cézanne et Moi
Un film de Danièle Thompson
Avec Guillaume Canet (Zola), Guillaume Gallienne (Cézanne), Alice Pol, Déborah François, Isabelle Candelier, Sabine Azéma, Gérard Meylan, Freya Mavor, Laurent Stocker, Christian Hecq
France – 2016 – 1h56
Sortie nationale: le 21 septembre 2016
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