Tramontane : un film sur le Liban d’une sensibilité inouïe
De Florence Yérémian – Rabih est un jeune aveugle. Chanteur au sein d’une chorale libanaise, il s’apprête à partir en Europe pour une tournée avec ses musiciens. Au moment de faire son passeport, il découvre que son acte de naissance a été falsifié. Interrogeant sa mère et ses proches, il n’obtient aucune réponse et décide de mener sa propre enquête.
Du haut de ses 24 ans, Rabih réalise alors qu’il a été adopté. Ne comprenant pas le mystère qui règne autour de ses origines, il se lance dans une quête identitaire qui remettra en cause tout son édifice familial et le conduira à travers l’Histoire tourmentée du Liban…
Réalisé par Vatche Boulghourjian, ce premier long métrage est une œuvre d’une très grande sensibilité. Mêlant à la fois une mélancolie orientale et un regard lucide, elle nous entraîne pas à pas dans la solitude opaque du protagoniste. Afin de nous faire ressentir la cécité de Rabih, le réalisateur use intentionnellement d’une esthétique en clair-obscur où s’entremêlent une multitude d’ombres et de mensonges. Il accentue aussi les moments de confusion et d’égarement, en utilisant une palette d’images sombres laissant intentionnellement la primauté aux voix et à la musique. Cette dernière se profile d’ailleurs comme un fil directeur reliant entre eux tous les personnages de l’histoire et traduisant magnifiquement les sentiments intériorisés de Rabih: qu’il s’agisse du chant, du son plaintif d’un violon ou des envolés lyriques d’un dhol oriental, chacune de ces mélodies parvient à enlacer sournoisement le public au périple de Rabih.
C’est à Barakat Jabbour que revient le rôle difficile de ce jeune invalide. A la fois aveugle et musicien dans la vraie vie, cet acteur libanais porte l’ensemble du film à travers sa voix et sa gestuelle. Le visage triste, presque douloureux, il réussit à transmettre à la camera une foule d’émotions en dépit de ses grands yeux vides. La nuque raide, le sourcil froncé et le sourire parcimonieux, il fait passer ses expressions à l’écran avec un naturel effarant. Au fil de sa quête identitaire, l’on partage ainsi son incertitude, ses espoirs de reconnaissance autant que ses déceptions. Face aux trahisons qui l’entourent et à sa colère sourde, l’on a sans cesse envie de l’aider à trouver cette vérité qui a fait de lui un orphelin sans nom.
En le suivant dans cette investigation parsemée de secrets, l’on se rend cependant vite compte que sa trajectoire l’entraine bien au-delà de la découverte d’un héritage génétique ou d’un numéro de passeport officiel: intimement liée à l’Histoire même du Liban, la quête de Rabih est en soi une métaphore de ce pays meurtri par la guerre civile.
En effet, les conflits de 1975 à 1990 ont non seulement détruit le Liban, ils ont aussi engendré un climat post-cataclysmique propice aux mensonges et à la dissimulation. La plupart des générations issues de cette guerre ne souhaitent plus vraiment savoir ce qui s’est passé au sein des multiples communautés de cette nation brisée et vivent encore aujourd’hui dans une amnésie volontaire. Le mensonge ou le négationnisme ne peuvent cependant jamais permettent de se reconstruire, voila pourquoi, le message de Vatche Boulghourjian est important: à l’exemple de Rabih qui cherche avidement sa vérité, il faut savoir faire face au passé afin de mieux l’exorciser…
Tramontane ? Une œuvre d’une rare intelligence.
Tramontane
Un film de Vatche Boulghourjian
Avec Barakat Jabbour, la lumineuse Julia Kassar, Toufic Barakat, Michel Adabashi, Passim Khodr, Abidou Bacha, Georges Diab, Odette Makhlouf, Raymond Haddouni, Sajed Amer
2015 – Liban/France – 1h45
Sortie nationale: 1er mars 2017
Tramontane a été présenté à la Semaine Internationale de la Critique du Festival de Cannes 2016. Le film a été ovationné par tout le public et a reçu le Prix du Grand Rail d’or.
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