Aborigènes : le récit singulier d’Eddie Mittelette sur l’Australie

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Par Jonathan Rodriguez – Un homme et son vélo. Eddie Mittelette a parcouru 11 000 kilomètres à vélo en solitaire sur les pistes de l’Ouest Australien pour aller à la rencontre des Aborigènes, derniers nomades d’Australie. Un voyage incroyable et grandiose où l’on accompagne l’auteur pendant presque 300 pages aux confins d’un des pays les plus vastes du monde. Un ouvrage riche, sous forme de témoignage sincère et touchant, d’une population oubliée de notre monde, à la culture fascinante et au destin tragique.

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« À quelques encablures de Marble Bar – localité qui détient le record des températures moyennes les plus élevées d’Australie – apparaissent les reliefs caractéristiques des confins du Grand Désert de sable : un horizon repoussé aux limites du monde, de longues chaînes de collines aux sommets couverts d’un tapis de Spinifex et d’arbustes rabougris […] « Avant que la nuit tombe, m’explique Clifford, quand la lumière rasante nimbe la roche d’un rouge intense, on a l’impression que les gorges de Doolena sont comme la braise incandescente. elles se reflètent dans l’eau noire avec la netteté d’un miroir. »

Aborigènes est d’abord un beau récit de voyage. Une finesse d’écriture, qui excelle dans cette manière de capter l’essence d’un environnement, la vérité d’un instant. Il nous permet de capter l’ambiance d’un tableau magnifique que l’on construit avec lui, grâce notamment à la richesse de son vocabulaire, parsemé de métaphores, contribuant à donner pleine vie cet environnement, à ces paysages. Ces déserts de sable rouge, ces plaines perdues sont comme imprimées dans notre mémoire.

Les derniers nomades d’Australie

Mais Aborigènes est aussi et surtout un témoignage saisissant sur cette population et sa culture. Rare et précieux, Eddie Mittelette nous livre des clés historiques, ethnologiques et politiques de compréhension d’une civilisation ancestrale en perdition. Ludique, il est aussi alarmant par le constat d’un peuple en pleine mutation, où l’économie matérialiste est venue s’imposer dans leur mode de vie.

« Cependant, alors que j’accumule des connaissances sur cette civilisation à l’agonie, le délitement de ses richesses immatérielles accroit mon dégoût du monde dans lequel j’évolue, du paradoxe que nous édifions en pansant nos saccages au lieu de les prévenir. Pour ensuite avoir l’audace de nous en émouvoir. L’époque actuelle devrait tirer les enseignements d’un peuple qu’elle a considéré comme primitif et ourlé de moeurs douteuses; lui qui, en près de soixante mille ans, n’a pas échafaudé sa propre destruction en sciant la branche sur laquelle il est assis. Car chez les Aborigènes, l’homme appartient à la nature, pas l’inverse. Il ne la cultive pas ni ne tente de la dompter. Il cohabite intelligemment avec elle. »

Cette multiplicité d’apports et d’analyses en fait sa force et sa singularité. Réellement humaniste, profondément sincère et d’une humilité revigorante, le livre d’Eddie Mittelette est d’une vraie richesse : à la fois cri d’amour, pamphlet écologique, récit humain, analyse documentée et déclaration de la beauté de ce monde. On l’accompagne volontiers dans cette intime compréhension de la culture aborigène. Las, on devient également spectateur de l’effondrement d’une civilisation et au dérèglement d’un territoire – ayant vécu la violence des premiers colons – à l’image des Indiens d’Amériques – et de leur politique d’assimilation forcée dès le berceau, forcément dévastatrice, aujourd’hui condamnée à s’adapter au monde libéral sous peine de disparaitre. Ce qu’il appelle « les sirènes de la consommation ». Un sursaut d’espoir persiste tout de même : celui d’une culture inhérente à son peuple, qui conserve une relation privilégiée avec ses racines et sa spiritualité, gardant cette part de mystère et mystique imprévisible. Il permet aussi, d’être un moyen de parler de leur tentatives d’autodétermination depuis des décennies, maladroitement prise en considération par les actions de l’État Australien.

Une phrase de Bruce Elder en 1988, habilement choisie pour introduire sa seconde partie, résume le sort des derniers nomades : « Nous leur avons ôté leur raison d’exister et quand, dans leur désarroi, ils ont sombré dans l’alcool ou ont succombé au désespoir et ont renoncé à vivre, nous avons eu l’arrogance de les accuser d’ivrognerie et de paresse ». Il en reste un portrait déchirant et emphatique qui nous ouvre les yeux sur un peuple que l’on ne connait que trop peu. Un livre pour ne jamais les oublier.

« Il est temps pour moi d’avancer, même si la bienveillance des habitants de Wiluna m’encourage à poser mes valises. Beaucoup de personnes m’ont ouvert les portes de leur maison, ont accueilli ma sincérité sans délai ni contrepartie. Ils me prouvent d’une belle manière que les préjugés ont bâti de solides remparts entre les Aborigènes de cette région et leurs détracteurs – qui pour certains n’y ont jamais posé le pied. Ces familles m’ont fourni des arguments imparables à opposer aux inepties qui circulent sur leur compte. C’est un formidable cadeau de paix ».

Aborigènes
d’Eddie Mittelette
Editions Transboréal
20,90 euros

Galerie photo du voyage d’Eddie Mittelette en Australie.

Crédit photos : Eddie Mittelette

Aborigenes

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