Kazuto Tatsuta : le regard sans concession d’un ouvrier de Fukushima
Par Romain Rougé – Le 11 mars 2011 reste encré dans la mémoire du Japon et du monde entier comme étant la date de la catastrophe de Fukushima, suite au tsunami meurtrier. Sur le sujet, beaucoup a été dit et écrit. Kazuto Tatsuta, dessinateur de mangas sans trop de succès, décide d’aller travailler à la centrale nucléaire tristement célèbre. Après y avoir opéré pendant six mois et atteint la dose limite annuelle de radiations, il décide de raconter son expérience dans un manga intitulé : Au coeur de Fukushima.
« Je me rends compte qu’il y a un sacré fossé entre l’image que je me faisais de cet endroit et la réalité », ces mots de Kazuto Tatsuta résument à eux seuls le manga. Une oeuvre que l’on pourrait qualifier de journalistique tant les détails, les descriptions et les faits du travail quotidien de ces ouvriers sont relatés en toute objectivité et basés sur la propre expérience de Kazuto. Sans concession aussi, puisque l’auteur n’hésite pas à blâmer les médias qui dramatisent à tout va les conditions de travail des salariés au risque de minimiser leur action. Sans pour autant sous-estimer la dangerosité des lieux et de la « zone interdite », Kazuto décrit un monde qui semble ne pas s’être arrêté comme tout un chacun le pense. On apprend que des troupeaux de vaches traversent les routes, que des cigales chantent en plein été, que des nuées d’insectes virevoltent autour de la centrale et surtout que des japonais qui habitaient à proximité décident d’hanter les lieux fantômes.
Au-delà des aspects descriptifs, détaillant les équipements, les techniques de mesure des dose de radiations, les lieux, il y a aussi la prise de conscience du labeur de l’ouvrier. Il faut ramasser les sacs de déchets des toilettes sans eau courante de la salle de repos, ou encore oeuvrer en combinaison sous une chaleur écrasante. Kazuto parle avec humour et humanité de la vie au sein de ce qu’ils appellent là-bas la « centrale 1F » et de la vie en communauté. « Si l’on me demandait ce qui m’a le plus marqué lors de ma première journée à la centrale 1F, je devrais probablement répondre que c’est cette ambiance. » Une atmosphère qu’il retrouve dans la salle des fumeurs, où des hommes ordinaires rigolent, parlent de sport et de sexe. « Mon anxiété s’est aussitôt volatilisée », avouera-t-il même.
Car, avant de passer au choses sérieuses et aller sur le champ de bataille, il faut passer les basses besognes. Et quand Kazuto obtient finalement l’autorisation d’intégrer l’équipe sur le front du réacteur anéanti, le programme est plutôt chargé : « Nous nous occupons donc petit à petit de la décontamination des bâtiments alentour, du déblayage et des travaux de réfection des canalisations. »
Ce pan méconnu de la « vie » au coeur de la centrale de Fukushima mérite le coup d’oeil. D’abord pour ces travailleurs qui ne se considèrent pas comme des « héros » et qui souhaitent juste se rendre « utiles » et « travailler ». Ensuite, pour l’aspect informatif qu’il confère au lecteur sur l’après catastrophe : le décryptage des méthodes de sous-traitance des entreprises, la longue route qui conduira à réparer les dégâts. « Le Gouvernement a beau dire que l’incident est résolu, de toute évidence il ne l’est pas », témoigne Kazuto, lucide en se rendant sur le site de la centrale 1F.
Au coeur de Fukushima, c’est au fond l’histoire de la vie qui continue, parce qu’il le faut. Et surtout, le manga atomise les idées reçues que l’ont peut avoir sur la réhabilitation de la centrale.
Au coeur de Fukushima (Tome 1)
Collection Au coeur de Fukushima
Kazuto Tatsuta
Editions Kana
192 pages – 9,90 euros
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