Le cœur régulier : un pèlerinage nippon vers la paix intérieure
Par Florence Yérémian : Alice s’ennuie dans sa banlieue bourgeoise. Coincée entre deux enfants en crise d’adolescence et un mari qui ne la comprend plus, elle dépérit… Le jour où Nathan, son cadet, réapparaît dans sa vie, elle prend alors conscience de l’immense dérive de son existence. Habituée durant des années à protéger ce jeune frère loufoque et suicidaire, elle réalise qu’elle n’a plus de raison d’être depuis qu’il s’est sereinement expatrié au Japon. Alors que Nathan propose à sa soeur de le suivre en terre nippone, il est brutalement fauché par un automobiliste et disparaît. Face à ce choc irréversible, Alice demeure désemparée et se réfugie au Pays du Soleil Levant pour tenter de trouver des réponses. Recueillie par un vieux sage au coeur d’un village de pêcheurs, elle se coupe de toutes ses attaches et reconstruit peu à peu son nouveau quotidien…
Le film de Vanja d’Alcantara prend place dans un lieu hors du temps nommé Tojimbo. Entouré d’abruptes falaises, ce village japonais est un endroit aussi beau que macabre car il attire, encore aujourd’hui, de nombreuses personnes venant se jeter du haut de ses rochers. Le figure du sage Daïsuke (incarné par le paisible Jun Kunimura) s’inspire librement d’une histoire vraie : celle d’un policier ayant consacré sa retraite à sauver des suicidaires. Digne d’un moine bouddhiste, cet homme accueille dans sa modeste demeure toutes les âmes en peine qui arpentent les cotes de Tojimbo et s’efforce patiemment de les dissuader de mourrir. C’est précisément face à Daïsuke San que se retrouve la fragile Alice interprétée avec beaucoup de justesse par Isabelle Carré (Voir notre article sur son film précédent : Les chaises musicales).
Tour à tour sombre, audacieuse ou psychiquement épuisée, l’actrice possède instinctivement cet air de chat égaré qui lui permet d’aborder de tels rôles avec authenticité. Partageant l’écran aux côtés d’une mère en deuil, d’un jeune assassin et d’une extravagante midinette tout droit sortie d’un manga Japonais (Mugi Kadowaki), Isabelle Carré devient l’observatrice de ses semblables et parvient à mener délicatement sa protagoniste vers une paix intérieure.
Malgré la note d’espoir portée par le scénario, le film de Vanja d’Alcantara est d’une lugubre lenteur et il peine à se mettre en place durant la première demi-heure. Les personnages ont chacun des parcours intéressant mais ils parlent si peu qu’ils nous font songer à des ombres silencieuses noyant leur douleur à l’unisson. Évoluant auprès de falaises mortuaires ou dans les intérieurs cloisonnés des maisons japonaises, ils sont introvertis et conjuguent la difficulté d’exister au-delà de la mort d’un être cher.
Posé et contemplatif, Le Cœur régulier est un film amer que le spectateur capte avec beaucoup de patience, en acceptant de laisser son poult ralentir au fil du récit. Par delà les silences méditatifs et les prières intérieures, ce long-métrage offre un beau message de sagesse qui passe par un acceptation de soi mais surtout par une communion avec l’autre et la nature. En dépit de son atmosphère pesante, l’on apprécie sa symbolique et notamment l’omniprésence de l’eau purifiante qui libère les êtres de leur tristesse. L’on aime également ce rapport au temps qui n’existe plus et à la mort qui fauche les âmes sans prévenir : en évoquant ces deux notions qui régissent stupidement nos destinées, l’on se dit que l’homme n’est nullement le maître de son existence et, qu’après tout, rien ne fait sens en ce bas-monde… Alors autant continuer à vivre, non?
Le cœur régulier
De Vanja d’Alcantara
D’après le roman d’Olivier Adam
Avec Isabelle Carré, Jun Kunimura, Niels Schneider, Fabrizio Rongione, Mugi Kadowaki, Masanobu Ando
2015 – 1h35
Sortie en salle : le 30 mars
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