Le Cid : une partition cornélienne toute en facéties
Par Florence Yérémian – Peut-on aimer l’assassin de son père? Telle est la question que pose le Cid en mettant en scène la passion de deux jeunes tourtereaux brisée par la querelle de leurs aïeux. Dans cette histoire d’amour et d’honneur, Chimène est éprise de Rodrigue mais elle doit réclamer la tête de son amant car il a tué son père…
Entre désespoir, héroïsme et noblesse des sentiments, cette tragédie à l’originalité de bien se finir pour le plaisir de tous.
Fidèle à son attrait des lettres classiques, Jean Philippe Daguerre a choisi d’adapter le Cid en le dépoussiérant quelque peu de son emphase tragique. Faisant appel à la fougueuse troupe du Grenier de Babouchka, il a raccourci certaines tirades, accentué l’aspect comique de la pièce et agrémenté le tout de musique acoustique.
Le rôle du Cid revient à Kamel Isker qui nous avait agréablement séduit dans le rôle de Scapin au printemps dernier (http://bscnews.fr/201410284186/Paris-Show/scapin-une-piece-semillante-portee-par-un-valet-hyperactif.html). Emporté par l’impétuosité de son personnage, cet ardent comédien ne s’arrête pas un instant y compris dans les stances les plus sombres. Son jeu devrait pourtant explorer davantage de nuances tant au niveau de l’intonation que de la gestuelle : certes Rodrigue est un jeune capitaine en colère mais c’est également un homme amoureux à l’esprit chevaleresque. Ses transports doivent donc être aussi héroïques envers ses ennemis que délicats envers sa belle…
C’est à Manon Gilbert que revient justement le rôle de Chimène: la moue boudeuse et la voix capricieuse, elle ne confère pas assez de noblesse à ce très beau personnage féminin déchiré entre son amour pour Rodrigue et son devoir de vengeance. En lui ajoutant un soupçon de fierté et une once de dignité, elle ferait de cette protagoniste une âme forte et admirable.
Tel est le cas de Sophie Raynaud qui compose une Elvire toute en finesse : à la fois élégante et amusante, cette jeune actrice apporte à son rôle de soubrette beaucoup de charme et une véritable hauteur. Saluons également la prestation de Stéphane Dauch qui incarne orgueilleusement le père de Chimène et surtout celle de Didier Lafaye qui s’immisce avec humour dans les traits du Roi Don Fernand: burlesque à souhait, il ne correspond pas vraiment au monarque sévillan de Corneille mais il est si bien joué qu’on l’admet volontiers dans cette partition quelque peu caricaturale du Cid.
Comme vous l’avez certainement deviné, Jean-Philippe Daguerre a choisi d’orchestrer l’oeuvre de Corneille en mode festif. Conservant l’atmosphère épique de la pièce, il lui a redonné la note hispanique du texte originel signé par le valencien Guillèn del Castro. Pour ce faire, il a eu l’idée de faire appel à deux talentueux musiciens qui accompagnent tout le spectacle de leurs sémillantes mélodies. Entre le violon de Petr Ruzicka et la guitare d’Antonio Matias, l’on a l’impression que la sérénade castillane finit par recouvrir le texte. C’est dommage car cela casse le rythme merveilleux des alexandrins cornéliens et brouille quelque peu notre bon plaisir. L’idéal eut été de réserver les compositions de ces instrumentistes aux scènes de combats et aux interludes. Cela aurait en effet permis aux comédiens de déclamer moins haut et de moduler davantage leurs dialogues…
Lorsque vous viendrez découvrir cette nouvelle version du Cid, surtout laissez-vous distraire sans cherchez à réentendre les stances poignantes et dramatiques de Gérard Philippe. Cette pièce ne possède pas la puissance et le lyrisme propre à l’oeuvre initiale, elle offre cependant une séduisante légèreté qui permettra de conquérir un public plus jeune en l’initiant à la l’inextricable beauté de la langue cornélienne.
PS: Bravo à la costumière Virginie Houdinière pour sa fantaisie et son imagination
Le Cid
Tragi-comédie de Pierre Corneille
Mise en scène: Jean-Philippe Daguerre assisté de Nicolas Leguyader
Avec Stéphane Dauch, Johann Dionnet, Manon Gilbert, Kamel Isker ou Thibault Pinson, Maïlis Jeunesse ou Mona Thanaël, Didier Lafaye ou Alexandre Bonstein, Charlotte Matzneff, Christophe Mie, Sophie Raynaud, Yves Roux.
Décors: Frank Viscardi
Costumes: Virginie Houdinière
Musique: Petr Ruzicka (violon) et Antonio Matias (Guitare, accordéon)
Combat: Christophe Mie
Théâtre Michel
38, rue des Mathurins – Paris 8e
Métro Havre Caumartin
A partir du 7 février 2016 jusqu’en mai 2016
Réservations: 0142653502
Le spectacle dure 1h40
A partir de 10 ans
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