Le manuscrit de Rembrandt : un dialogue mystique un peu trop sentencieux
Par Florence Yérémian – Le manuscrit de Rembrandt est une adaptation scénique du livre de Raoul Mourgues, Rembrandt Kabbaliste. Ce récit aurait été rédigé par Rembrandt lui-même et conservé secrètement par des kabbalistes jusqu’à ce que Mourgues le traduise en 1948…
A mi-chemin entre la confidence et le testament philosophique, cette oeuvre intime nous dévoile avec nostalgie le dernier regard de l’artiste sur sa tumultueuse existence.
Que le texte soit authentique ou apocryphe, la prestation théâtrale est belle et repose sur un intéressant « duologue ». Dans un face à face complémentaire, deux acteurs méditent sur le passé du peintre. D’un côté, il y a Jean François Vlerick incarnant Rembrandt au soir de sa vie. De l’autre se distingue Céline Duhamel interprétant successivement certaines des femmes ayant traversé le quotidien du Hollandais.
Par delà la figure emblématique du peintre, Jean-François Vlerick nous laisse surtout entrevoir l’homme en tant que citoyen d’Amsterdam ou génie meurtri par ses pairs. Evoluant sur scène dans une vieille tunique, il évoque, bien sûr, les toiles de Rembrandt et ses audaces de graveur mais il met particulièrement en avant sa haine des marchands, ses questionnements métaphysiques ainsi que sa révulsion à l’égard de toutes doctrines pouvant priver l’être humain de liberté. Derrière son visage fatigué aux tristes cheveux blancs, se dessine ainsi un idéaliste désillusionné qui n’a plus vraiment d’espoir en sa quête de beauté et de vérité.
Afin d’appuyer son propos, la comédienne Céline Duhamel lui donne continuellement la réplique. Prêtant ses traits à toute une panoplie de figures féminines, elle se transforme et se multiplie au fil du spectacle : qu’il s’agisse de Saskia l’épouse du peintre, de Stella la kabbaliste ou d’une sage servante bien rangée derrière son linge et son tablier blanc, la comédienne met tout en oeuvre pour faire jaillir la colère et les sentiments refoulés de Rembrandt.
Malgré son amour évident pour la pièce et ses protagonistes, on regrette que Céline Duhamel confère à l’ensemble de ses personnages une interprétation trop hiératique. Qu’elle soit servante, muse ou maitresse, aucune émotion ne semble s’échapper de son imposante silhouette. Coincée entre sa table-autel et l’opacité de son visage, elle ne laisse filtrer qu’une froide noblesse qui ne se marie point avec la posture voutée et le ton plaintif du vieux Rembrandt.
Les réflexions intérieures de ce dernier sont, en effet, assez tragiques : hormis quelques joies furtives, son discours s’attarde essentiellement sur ses peines et ses doutes au fil d’un texte trop dense pour une représentation scénique: par delà le portrait d’un Rembrandt fiévreux, il faut admettre que cette partition théâtrale s’aventure dans un champ de réflexions très vaste qui dépasse de loin les arcanes de l’art et de la création: entre une introspection spirituelle et un questionnement
iconographique, on y parle de Dieu autant que de volupté, on y réfléchit au pouvoir des couleurs ou à l’âme des poseurs, et l’on finit par se dire qu’après tout, la vie n’est peut-être qu’un tableau inachevé…
Le propos est de toute évidence intéressant mais vu sa densité il eut fallut une mise en scène moins monotone : hormis la force du texte, aucune dynamique n’émane de la scène excepté le très beau jeu de lumières signé Benjamin Boiffier. Grace à ses clairs-obscurs incessants, il parvient à conférer à la pièce l’atmosphère mystique et ténébreuse d’une oeuvre flamande. On apprécie également la simplicité des costumes d’époque qui nous plongent au coeur d’un XVIIe siècle humble et rural : entre ce Rembrandt en large chemise et sa servante au bonnet blanc, on pourrait presque se croire dans une toile du maître…
Le manuscrit de Rembrandt ? Un duo spirituel pour les amateurs de théâtre philosophique
Le Manuscrit de Rembrandt
Avec Céline Duhamel et Jean François Vlerick (ou Patrick Floersheim en alternance)
Auteur Raoul Mourgues et Céline Duhamel
Mise en scène de Patrick Courtois
Lumières : Benjamin Boiffier
Costumes: Rick Dijkman
Théâtre Le Ranelagh
5, rue des Vignes – Paris 16e
Métro: La Muette
Jusqu’au 31 janvier 2016
Du mercredi au Samedi à 19h
Le Dimanche à 15h
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