Sapho : la chambre turque, un roman entre apparition et disparition
Par Laurence Biava – «Mogador, juillet 1922. Charlotte de Montmorin, jeune métropolitaine expatriée au Maroc après avoir suivi son époux, écrit dans son journal « pour tenir ». Tenir pour faire bonne figure devant la société coloniale. Tenir devant ce mari qu’elle pensait sincèrement aimer.
Tenir pour faire bonne figure devant la société coloniale.Tenir devant ce mari qu’elle pensait sincèrement aimer. Tenir pour ne pas sombrer. Tenir face à une menace de mort. Deux histoires, deux époques, deux regards. Sapho raconte à la fois l’évolution du Maroc et la métamorphose mentale d’Arthur et Charlotte. Une intrigue passionnée et une réflexion percutante sur le leurre amoureux et la précarité du réel ».
Ce nouveau récit de Sapho évoque, en effet, principalement le leurre amoureux et les tricheries confortables que l’on se réserve à soi-même. A Essaouira, dans la boutique d’un antiquaire, Artur se trouve pris dans la lecture d’un journal tenu par Charlotte de Montmorin en 1922. C’est un journal qui raconte les tensions d’une femme qui suivit au Maroc, en pleine période coloniale, un mari qu’elle croyait aimer. Artur tombe amoureux fou de cette femme via son Journal interposé. Inconsciemment, sa route le mènera à en rechercher une autre qui va ressembler à la précédente, forme d’amour déçu, inassouvi, et sur laquelle il pourra transférer cette passion inédite.
L’autre femme, -Clara- qui fait des reportages, se trouve dans une situation dangereuse. Pendant ce temps, le héros quitte le Maroc et devient hôte à la villa Médicis, où lui est réservé la fameuse chambre turque. Les élans du cœur égaré d’Artur, pris entre deux feux, alimentent principalement l’intrigue fort romanesque du livre.
Le roman raconte une mise en abyme intéressante : c’est un roman dans le roman où le lecteur voit le héros lire également un ….roman. La première partie porte exclusivement sur le thème de la représentation, du semblant, du paraître. Artur, dans la chambre turque, c’est du pur orientalisme qui signifie que le paraître peut être aussi fort que le vrai. Que la vie n’est qu’un récit, le récit que l’on s’en fait.
La suite, plus drue, moins connotée « irréelle » narre un amour narcissique ravageur, mortifère, où l’on sent un héros renfermé sur lui-même. Forcément, il lui manque l’altérité, le partage, l’échange. C’est une des nombreuses thématiques qui traversent le livre.
On aime cette littérature qui est portée par la musique de la langue et la façon dont elle est travaillée. Le livre comporte beaucoup de passages où la nostalgie est de mise. D’autres, plus désuets, témoignent de la recherche de l’exotisme qui est permanente. Inconditionnelle.
Le livre rend hommage à ces atmosphères ventées où on erre dans le flou, sans ne jamais être sûrs du réel. Où tout confine à l’incertitude, aux changements, par crainte d’une réalité trop raide, trop rauque.
C’est un très beau roman, très bien construit et écrit : un homme est pris dans ses fantasmes, et la femme va l’entourer pour qu’il ne se perde pas dans sa fantaisie. Ainsi le mouvement balance t-il perpétuellement tout au long des pages entre fiction et réel. Entre apparition et disparition.
Sapho est chanteuse, poète et écrivain. La chambre turque est son dernier roman.
La chambre turque – roman – Le Castor Astral – 332 pages – Sapho
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