Beijing Stories: un regard amer sur l’urbanisation de la Chine
Par Florence Yérémian – Le film de Pengfei prend place au coeur de Beijing autour de trois destinés : il y a tout d’abord la belle Yun qui tente de survivre en dansant dans des night-clubs lugubres, puis le brave Yong Le qui gagne sa vie en récupérant des meubles au sein de maisons vouées à la destruction, et enfin le vieux Lao Jin et sa femme, derniers habitants d’un quartier à la dérive, entièrement raflé par des promoteurs immobiliers.
Tous appartiennent au prolétariat et n’ont pas leur mot à dire sur l’évolution de cette gigantesque métropole qui engloutie peu à peu la nature et les vestiges de la Chine traditionnelle. Avec ses 23 millions d’habitants, Beijing a effectivement entamé une urbanisation irréversible qui recouvre jour après jour son passé de béton armé. Parallèlement aux centaines de routes et de gratte-ciels qui envahissent cette mégalopole, il faut cependant savoir qu’un autre monde se déploie dans les sous-sols de la ville: un monde de miséreux issus des campagnes qui grouillent et s’entassent dans les caves des banlieues conçues par Mao lors de l’époque soviétique. Dû à la surpopulation, le moindre mètre carré est en effet squatté par les chinois les plus pauvres qui tentent d’y survivre en attendant de trouver mieux…
C’est cette « Chine d’en bas » qu’a souhaité mettre en scène Pengfei en nous faisant partager le sombre quotidien de Yong Le et Xiao Yun. Afin d’interpréter ce garçon accidenté et cette danseuse aux yeux tristes, il a sélectionné deux jeunes acteurs un peu discrets mais prometteurs : le premier possède une douceur de jeu qu’il confère à son personnage timide et travailleur. La seconde nous fait penser à une enfant sage qui se retrouve contrainte de se déhancher chaque soir autour d’une ridicule barre de Pole Dance. Une histoire d’amour pudique et silencieuse va naitre entre ces deux âmes en quête d’idéal et d’humanité. Dans la moiteur et l’insalubrité de leurs sous-sols sordides, un très bel échange va se créer autour de l’entraide et de la nécessité vitale de quitter ces fonds de cave pour aller enfin respirer « l’air d’en haut ».
En contrepoint des prémices amoureux de ce jeune couple, celui formé par l’archaïque Lao Jin et sa femme est beaucoup plus caustique. Coincés parmi les bulldozers et les marteaux piqueurs d’avides promoteurs, ces deux vieux pestent contre la modernité, se querellent amèrement et élèvent les quelques poules qui leur restent pour ne pas mourir de faim. C’est avec beaucoup de conviction que Zhao Fuyu, incarne ce chinois obstiné refusant de perdre ses racines aux côtés d’une épouse presque résignée mais nostalgique du temps jadis…
A travers ces gens simples Pengfei nous livre un portrait mélancolique de la Chine contemporaine: ballotés entre les chantiers et la tradition qui dépérit, Yun, Yong Le et Lao Jin symbolisent les sacrifiés de cette explosion démographique qui n’est pas prête de s’arrêter. Dans ce premier long-métrage, Pengfei a pris le temps de les filmer en mettant en avant les difficultés et l’absurdité de leur existence. Usant d’une esthétique sobre et lucide, ce jeune réalisateur offre une vision aussi pessimiste qu’alarmante de cette urbanisation galopante. En pointant délicatement du doigt les dégâts qu’elle inflige au petit peuple, il tente de nous faire comprendre que le salut de ces errants souterrains ne réside en fait que dans la préservation de leur amour mutuel et leur humanité.
Si vous êtes adepte des Happy Ends, ce film n’est pas vraiment pour vous. Il se peut, cependant, qu’il vous fasse découvrir un visage de Beijing que vous ne soupçonniez pas…
Beijing Stories? Un film d’une délicate lucidité de PengFei Song.
Beijing Stories
Un film de Pengfei Song
Avec Ying Ze, Luo Wendie, Zhao Fuyu, Li Xiaohui, Lin Xiaochu
Musique de Jean Christophe Onno
France-Chine 2015 – 1h15
Sortie le 6 janvier 2016
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