En mai, fais ce qu’il te plaît : un film tissé d’amertume et d’émotion pastorale
Par Florence Yérémian / Le film « En mai, fais ce qu’il te plaît » est le cadeau d’anniversaire de Christian Carion pour les 90 ans de sa mère. En effet, durant l’été 1940, cette dernière a vécu l’exode face à l’invasion allemande et elle n’a depuis cessé de le lui raconter. Afin de rendre hommage à sa génitrice et à ces millions de migrants qui ont du fuir l’ennemi en abandonnant tous leurs biens derrière eux, Christian Carion a conçu un beau film tissé d’amertume et d’émotion pastorale.
L’histoire prend place dans un petit village du nord de la France à proximité d’Arras. Partagés entre le travail des champs et les bonnes bouteilles de vin, ces paisibles campagnards n’ont pas encore pris conscience de l’offensive hitlérienne qui menace l’Hexagone. Ils accueillent d’ailleurs, sans le savoir, un enfant allemand prénommé Max et son père Hans, opposé au régime nazi. Tandis qu’Hans se retrouve derrière les barreaux pour avoir menti sur sa nationalité, l’invasion du Pas-de-Calais débute et contraint ces villageois à quitter leur commune en emportant le petit Max avec eux. Commence alors l’exode au fil des routes de France mais aussi la quête éperdue de Hans pour retrouver son fils…
Au coeur de ce film pétri d’émotions simples et rurales, le réalisateur Christian Carion a fait appel à une palette de comédiens hauts en couleur: il y a tout d’abord Olivier Gourmet incarnant la figure posée et consciencieuse du Maire de village. L’acteur, qui vient de tourner dans l’excellent film de Gilles Legrand, L’Odeur de la Mandarine prend son rôle de républicain très à coeur en lui offrant une verve aussi rugueuse que patriotique. A ses côtés, se dessine la silhouette de son épouse Mado interprétée avec une étonnante robustesse par Mathilde Seigner: en digne patronne de bistro, la comédienne insiste bien sur le côté rustre et opiniâtre qui caractérise son personnage. Dans le registre opposé, la juvénile Alice Isaaz campe une institutrice toute en délicatesse mais qui manque justement d’audace quant à son rôle et ses prises de positions. Vient enfin le boit-sans-soif de cette petite communauté personnifié par un Laurent Gerra attendrissant et amoureux de ses précieuses bouteilles de Petrus!
A ces gens du terroir, humbles et pragmatiques, vont venir se greffer un soldat écossais qui tente de regagner l’Angleterre (le fier et goguenard Matthew Rhys) ainsi qu’un poignant tandem père-fils représenté par August Diehl (Hans) et le tout jeune Joshio Marlon (Max). Chacun à leur manière, ces deux protagonistes sont porteurs d’une très belle sensibilité: l’un avec sa fibre paternelle qui redoute la mort de son fils, l’autre avec sa candeur enfantine et ses yeux plein d’espoir qui lui permettent d’affronter la brutalité de ce monde à la dérive.
Par delà cette généreuse galerie de portraits, l’un des principaux acteurs du film de Christian Carion demeure sans conteste le paysage. Personnage à part entière, la nature qu’il met en scène est omniprésente du début à la fin de son récit. Fertile et enveloppante en ce joli mois de mai, elle diffuse sa force et sa lumière chaude à travers la longue caravane de ces exilés. Ses chemins caillouteux et ses immenses champs de blés sont aussi inspirants que protecteurs, ils demeurent néanmoins le siège de meurtres épouvantables et le funeste tombeau de ceux que la guerre n’a pu épargner.
Hormis quelques scènes tragiques que le réalisateur a souhaité détailler (notamment celle de l’enfant déterrée), l’ensemble de ce long métrage ne s’attarde ni sur la barbarie nazie, ni sur la dramaturgie de l’exode. Certes, il montre la faim et l’épuisement auxquels les civils doivent faire face durant leur migration mais Christian Carion s’attache essentiellement à la dimension humaine et à la fraternisation de ses « troupes » : avec humour et délicatesse, il dépeints l’entraide qui se créée en temps de guerre et la dimension collective que prend un tel événement. Chaque membre de son convoi se remet incessamment en question, s’égare individuellement dans ses craintes et ses désirs puis finit par se laisser porter par les êtres qui l’entourent et le comprennent. Il en va de même pour les étrangers tels que le soldat écossais ou la figure germanique de Hans : pris à leur tour dans la tourmente de ce sombre conflit, leur présence apporte un regard complémentaire sur les victimes non-françaises de ce IIIe Reich.
On pourrait reprocher à ce film quelques transitions un peu gauches, notamment au début lorsque les évènements datés se succèdent trop rapidement. On pourrait aussi regretter le manque de force au moment crucial de la rencontre père-fils ainsi que la chute bien trop prévisible. En quittant la salle, on retient cependant l’émotion qui nous a porté durant deux heures et la surprise ultime d’avoir découvert au générique de fin que la musique est tout simplement signée du célèbre Ennio Morricone ! Une raison supplémentaire d’aller voir cette émouvante oeuvre cinématographique.
PS: Ceux qui apprécient les volatiles adoreront le clin d’oeil de l’oie migratrice tout au long de cet exode…
En mai, fais ce qu’il te plaît
Film réalisé par Christian Carion
Avec: August Diehl, Joshio Marlon, Olivier Gourmet, Mathilde Seigner, Alice Isaaz, Matthew Rhys, Thomas Schmauser, Laurent Gerra, Jacques Bonnaffé
Durée: 1h54
Sortie nationale : le 4 novembre 2015
Le site officiel du film » En mai fais ce qu’il te plaît «
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