Laurent Binet : petit électrochoc dans le mundillo germanopratin
Par Christophe Greuet – bscnews.fr / Convoquer la fiction pour mieux écrire l’histoire récente. Un principe auquel s’est tenu l’auteur Laurent Binet dans ses livres, que ce soit son roman inaugural qui connut un retentissement international, «HHhH», très sombre épopée au coeur de la deuxième mondiale, à son journal “embedded” dans la campagne présidentielle de François Hollande (le très oubliable «Rien ne se passe comme prévu»).
Et le perpétue aujourd’hui avec son nouveau roman, «La septième fonction du langage», dont la parution cette rentrée devrait provoquer un petit électrochoc dans le mundillo germanopratin.
Mais qui a assassiné Roland Barthes ?
Et pour cause : Binet place son roman au coeur de l’un des épisodes les plus frappants du monde intellectuel de la fin du XXè siècle, la mort mystérieuse du critique Roland Barthes. A l’aube des années 80, alors que la campagne présidentielle s’organise pour faire battre Giscard, Barthes se rend à un repas avec le candidat François Mitterrand, qui souhaite s’entourer d’intellectuels.
En chemin, l’homme de lettres est fauché par une camionnette, et meurt le lendemain.
Binet émet alors l’hypothèse qu’il s’agit d’un meurtre. Rapidement, le pouvoir de l’époque envisage que Barthes était en possession d’un document à la valeur inestimable, décrivant la septième fonction du langage du linguiste russe Jakobson. Un principe non décrit jusqu’alors qui donnerait à celui qui entre en sa possession le pouvoir de convaincre n’importe qui. Commence alors pour le commissaire Bayard, flanqué d’un maladroit étudiant en sémiologie, une enquête qui va leur révéler l’étendue des mystères protégés par tout ce que l’Europe compte d’intellectuels.
Le petit monde intello malmané
Roman brillant à plus titre, tant par l’inventivité de son récit que par la description brillante de son époque, «La septième fonction du langage» devrait faire beaucoup de bruit dans les milieux politicointellectuels. Car outre l’hypothèse du complot qu’il formule, le livre est traversé par une myriade de figures dont la plupart sévissent encore, de Philippe Sollers à BHL en passant par Umberto Eco. Outre le dénouement du récit, qui jette le doute que l’un des événements politiques les plus marquants du XXè siècle, le roman malmène nombre de ses protagonistes réels devenus sous la plume de Binet des personnages de fiction secoués sans scrupules. Sollers, qui connaît dans le livre un sort aussi cruel que peu glorieux, devrait en particulier ne pas être insensible à ce double de fiction !
Bâtissant une structure linéaire limpide permettant de suivre les multiples rebondissements de l’histoire, Binet imagine aussi un duo de personnages principaux attachant et décalé, qui ferait des merveilles dans une série TV sur le câble américain. Ce contraste entre la construction classique du récit et la folle inventivité de l’histoire, secret de nombreuses oeuvres de fiction réussies, fait à nouveau mouche dans «La septième fonction du langage», l’un des romans les plus éclatants de cette rentrée.
«La septième fonction du langage» de Laurent Binet, éditions Grasset,
492 pages, 22 €.
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