Asphalte: Chroniques mélancomiques du désamour
Par Florence Yérémian – bscnews.fr / Au coeur d’une cité grise de banlieue, six destins se croisent. Il y a Charly, l’adolescent qui passe ses journées seul jusqu’à ce qu’une actrice désoeuvrée devienne sa voisine de palier. Sternkowitz, le misanthrope qui s’éprend contre toute attente d’une belle infirmière de nuit. Et enfin, Madame Hamida, qui voit atterrir dans son petit appartement un véritable astronaute américain !
Tous sont des êtres cloitrés dans la solitude de leur HLM qui n’attendent qu’un signal d’humanité. Aussi différents soient-ils, ils errent en quête de choses simples mais indispensables pour survivre: l’amour, l’amitié, l’écoute… C’est en ces quelques mots que réside leur salut, en cette petite parcelle de compassion qui donnera enfin un sens à leur existence dérisoire.
Afin d’interpréter ces habitants à la dérive, le réalisateur Samuel Benchetrit a bénéficié d’un beau casting: dans le rôle de Sternkowitz le bourru, Gustave Kervern fait preuve d’un égoïsme et d’une mauvaise foi exaspérante. Chuchotant de sa voix éraillée des montagnes de mensonges, il tente de séduire la lumineuse Valéria Bruni-Tedeschi qui nous livre une infirmière aussi fragile qu’innocente.
Parallèlement à ce tandem burlesque et délicat, on s’interroge sur la nature du second couple formé par Isabelle Huppert et Jules Benchetrit : égale à elle-même, Isabelle interprète pudiquement la figure d’une actrice qui a peur de vieillir. Nostalgique de ses vingt ans, elle se confie au jeune Charly qui voit en elle une mère absente autant qu’une amante imaginaire. Un flou antique et incestueux plane donc sur ces deux protagonistes aux profils complexes: Isabelle Huppert est toute en subtilités et l’on apprécie de la voir se confronter l’espace d’une scène aux vers raciniens d’Agrippine. Jules Benchetrit (fils du réalisateur et de la regrettée Marie-Trintignant) est, quant à lui, une belle révélation: par delà la désinvolture du débutant, ce jeune acteur possède une souplesse de jeu et une beauté androgyne qui sert parfaitement son rôle.
Le duo le plus amusant de ce long métrage demeure cependant celui formé par Michaël Pitt et Tassadit Mandi. Affublé de son énorme habit de cosmonaute, l’acteur américain insuffle beaucoup d’humour à son insolite personnage. Avec ses grands yeux d’ange et sa bouille de bébé, il est si attachant que la brave Madame Hamida en oublie presque son propre fils qui purge sa peine en prison. Maghrébine jusqu’au bout du coeur, Tassadit Mandi s’occupe de ce cosmonaute avec une grande tendresse, allant jusqu’à lui préparer son meilleur couscous ou lui chanter des berceuses en arabe!
A la fois drôle et mélancolique, Asphalte est une oeuvre décalée dans le paysage cinématographique français. A travers ces six portraits plein de fêlures, l’on ressent vraiment la sensibilité de Samuel Benchetrit et l’oeil bienveillant qu’il porte sur la banlieue. Loin des habituels clichés de racisme ou de violence relatifs aux cités, il a choisi de mettre en avant le quotidien des petites gens et la solitude qui les ronge. Malgré l’authenticité de son écriture, l’on regrette cependant le manque de rythme et de profondeur de son scénario. Ses protagonistes sont pétris de rêves et d’émotions mais leurs histoires demeurent trop longtemps en orbite. La caméra excessivement sobre de Benchetrit ne parvient pas à creuser pleinement leur humanité ou à explorer la réelle solidarité qui les caractérise : on les voit chuter, s’agripper les uns aux autres et puis on demeure dans l’attente… Par delà le talent des acteurs et les superbes mélodies pianistiques de Raphaël, on se refroidit alors comme de l’asphalte et l’ennui finit, hélas, par nous gagner…
Asphalte ? Un film sensible pour ceux qui apprécient la poésie de la lenteur.
Asphalte – Un film de Samuel Benchetrit
Avec Isabelle Huppert, Gustave Kervern, Valéria Bruni-Tedeschi, Jules Benchetrit, Tassadit Mandi et Michaël Pitt
Sortie nationale : le 7 octobre 2015
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