Emmanuel Darley, dramaturge émérite depuis une quinzaine d’années, a eu envie d’écrire sur une légende au succès démesuré, un être pris au piège dans «une histoire sans doute trop grande» et qui doit affronter une double réalité, celle des paillettes, de l’idolâtrie des fans et de la richesse et celle de la solitude et de cette culpabilité intestine due à ce double, mort trop tôt. Elvis ( polyptyque), à travers cette légende du rock, interroge « quelque chose de l’être, du paraître, de la présence, de la solitude, du dérisoire.» Une pièce au propos universel au coeur d’un récit d’une d’exception. Rencontre avec l’auteur – et le metteur en scène ! – d’une pièce qui remet Elvis sur scène pour l’inhumer cette fois peut-être avec davantage de clairvoyance et d’humanité?
Vous avez débuté votre carrière en écrivant des romans, pour vous consacrer ensuite davantage au théâtre : qu’est-ce qui, dans l’écriture dramatique, vous a séduit tout particulièrement?
Le travail sur la langue, la langue orale, le mélange, oui, entre ce que l’on dit, la parole entendue et puis la pensée intérieure, la musique
qu’on peut faire entendre des mots et des silences, le rapport au corps. Et puis aussi le travail en équipe; écrire c’est assez solitaire alors quand ça passe au plateau, ce que j’aime, c’est ça, les énergies différentes qui se mêlent pour créer un spectacle.
Diriez-vous que votre écriture a quelque chose de profondément dramatique qui fait que, même lorsque vous écrivez un roman, le texte résonne comme au théâtre?
Oui c’est assez juste. Disons que la rencontre avec le théâtre a changé beaucoup de choses dans mon approche de l’écriture et que les romans écrits ensuite, Un des malheurs et Le bonheur, s’en ressentent assez fortement dans leur structure et leur langue. Je suis allé, pour ces deux romans, vers un travail polyphonique, construit autour de voix multiples. Cela donne, je crois, une écriture musicale, rythmée, pleine de silences et d’images.
Parlons d’Elvis Polyptyque : « Le point de départ de ce projet, c’est une envie, un questionnement autour de la peinture de la Renaissance, des retables en particulier. » Pourriez-vous nous en dire davantage?
J’ai une grande passion pour les retables, les polyptyques, ces tableaux de la Renaissance en plusieurs panneaux, un grand central et plein d’autres autour, comme des témoins, peinture religieuse dont j’ai eu envie de me servir comme point de départ, comme une structure. Pas forcément l’envie d’écrire sur le Christ, plutôt de travailler sur une idole, quelqu’un davantage de mon époque, tout en gardant cette idée de la Passion. Je voulais depuis un moment écrire sur la musique, sur l’Amérique, Presley m’est assez vite venu
à l’esprit.
Imaginer une pièce sur une idole, presque une icône, invite à questionner les deux facettes d’un personnage : son image publique et son intimité? Qu’avez-vous mis en opposition?
L’idée est d’entendre la parole intérieure d’Elvis, ce qu’il pense, la peur et les doutes, les emballements. Ce qui s’anime autour de lui. De suivre des éléments bien réels de son parcours et de se glisser dedans. Il y a par ailleurs un personnage important dans la pièce, c’est le frère jumeau mort (mort-né) d’Elvis.
D’un point de vue textuel, comment se manifeste ce « dialogue » entre la figure d’Elvis et les polyptyques de la Renaissance ?
Je ne sais pas trop. Pas sûr même que ça se manifeste dans l’écriture. C’est le point de départ. C’est sans doute visible dans le spectacle, dans la scénographie et la mise en scène mais dans l’écriture même, je ne sais pas trop. Une grande scène, quelques pages et puis des plus courtes, une petite page à peine.
Et, puisque vous avez participé également à la mise en scène, comment cela s’incarne-t-il sur le plateau? Comment se manifeste concrètement cette explication de vous : « A travers la figure centrale, à travers son évolution et sa fin, interroger quelque chose de
l’être, du paraître, de la présence, de la solitude, du dérisoire et ramener le spectacle à une surface comme celui d’un tableau. » ?
Visuellement, dans les tableaux différents qui apparaissent, je veux dire dans l’espace, avec les corps des acteurs et puis avec la lumière et un travail sur la vidéo.Quand on a vu – ou lu- votre Mardi à Monoprix, il est difficile ensuite d’oublier cette Marie-Pierre tant votre écriture sait mettre en lumière l’intime, réussit à exprimer dans ses silence ou dans ses mots de tous les jours l’indicible et le terrible…Elvis est aussi un personnage écorché sur lequel pèse un fardeau ; est-ce pour cela qu’il vous plaît? Pour composer un texte dramatique, avez-vous besoin d’un personnage sur lequel pèse un « fardeau »?
Ce qui me plait, oui, dans ce personnage, du moins ce que j’en imagine, c’est la dimension trop grande, trop lourde de sa réussite. Le mélange du bon garçon, et de le sauvagerie une fois sur scène. Ce que m’intéresse c’est la lumière et puis l’ombre. Je crois qu’un texte – quel qu’il soit – a besoin d’un accroc, d’un accident, d’un mystère pour avoir du relief, pour être intéressant. Souvent, oui, les personnages qui me donnent envie d’écrire sont à côté, dans une marge, ou bien ont une zone d’ombre intérieure.Enfin, qui incarnera Elvis? Pourquoi le choix de ce comédien?
C’est un garçon qui se nomme Yan Tassin. Ce n’est pas un rôle facile. Ce ne sont pas des rôles faciles – il y en a deux, Elvis et son frère jumeau.ELVIS (POLYPTYQUE)
Texte d’ Emmanuel Darley
Mise en scène – Gilone Brun / Emmanuel Darley
Assistante à la scénographie et aux costumes : Anne- Sophie Grac/ Assistant stagiaire à la mise en scène: Noric Laruelle
Scénographie – Costumes – Gilone Brun
Lumières – José Victorien
Espace sonore – Manu Deligne
Avec Emeline Bayart, Heidi Becker-Babel, Vincent Leenhardt, Dominique Parent, Yan Tassin (comédiens), Manu Deligne (musicien)
Production: Cie Un pas devant l’autreLes dates:
Les 6 et 7 mai 2015 au Théâtre Paris-Villette
Du 19 au 22 mai 2015 à la Manufacture / CDN Nancy-LorraineA lire aussi:
Cyril Teste : « Le théâtre politique est un théâtre qui observe un système avant de le dénoncer… »
Yvon Tranchant : « Ce qui détermine notre originalité, c’est que nous sommes pluridisciplinaires »
Ariane Ascaride : « La mise en scène de Marc Paquien a l’élégance de sa discrétion »
Jean-Marie Besset : » Tout commence par un texte au théâtre… »