Road tripes : un « polar humoristique et déjanté »
Par Eric Yung – bscnews.fr/ « Road tripes » qui vient de paraître en format de poche et qui a eu un beau succès lors de sa première parution serait (si l’on en croit la 4° de couverture rédigée par l’éditeur) un « polar humoristique et déjanté ». C’est vrai et cela tient à la cocasserie du ton général de l’ouvrage qui, par le talent de l’auteur, use d’un langage peu commun et sait s’amuser avec les mots pour tracer, avec finesse, quelques beaux portraits.
Au-delà du plaisir de lire ce véritable divertissement littéraire qui met en scène deux personnages (Vincent et Carrel) « Road Tripes » s’inscrit dans ce qu’il est convenu d’appeler les « romans d’errance ». Et c’est formidable ! « Road tripes », à travers les mésaventures des deux héros du livre raconte un voyage initiatique qui nous dit (à moins que ce soit un rappel) que nous, les petits êtres qui sommes sur terre, ne devons pas –pour vivre en toute quiétude- déroger aux règles (comment dire ?) du savoir-vivre. Or, ce livre est une gigantesque bousculade des normes qui régissent notre société. C’est une manière de poser la sempiternelle question : qu’est-ce que la liberté ? Pour Carrel, un être rustre, c’est exister à l’instinct, faire abstraction du temps, égrener les jours sans précaution et tirer du danger une jouissance immédiate. Pour Vincent, un ancien étudiant en médecine, c’est regarder agir son camarade, c’est rêver d’être son double au point de devenir son complice et conduire une introspection afin de savoir qui il est. Carrel n’a rien à démontrer. Vincent veut se prouver qu’il existe, qu’il n’est pas seulement un fils à papa, un pianiste raté, un quadragénaire qui n’a même pas su être « un bon père de famille ». Alors, de Bordeaux à Montélimar en passant par l’Aveyron, les deux hommes -entre trois courses poursuites – volent, tabassent, incendient, braquent etc. Mais Carrel et Vincent sont différents et tout (jusqu’au physique) les sépare. Ainsi, si l’on devine –par la plume talentueuse de Sébastien Gendron- que Vincent a l’esprit vif, qu’il est plutôt leste et sportif et qu’il cultive une certaine élégance vestimentaire, on apprend que Carrel est un homme rustre « avec des doigts énormes, plein d’encre sèche et d’autres saletés compactées sous l’épiderme qui tire sur sa lèvre inférieure. Dessous, il y a un soupçon de dentition, largement battu en brèche par une importante dyschromie marron et noire. Une centrale à bactéries. (…) Impossible de lui donner un âge. Il a les cheveux poivre et sel, rares sur l’avant du crâne alors que l’arrière semble vouloir patienter encore un peu. Comme il est à la limite de l’obésité, son visage présente peu de rides ». C’est l’opposition de ces deux êtres qui fait toute la force du roman. « Road tripes » est l’union de la carpe et du lapin et c’est par le jeu subtil des situations, des brefs dialogues, les justes descriptions d’événements que Sébastien Gendron parvient à nous mener dans un récit digne des meilleurs « Road movie » sachant que ce terme est, en principe, réservé exclusivement à un genre cinématographique né dans les années 70. En réalité l’histoire de Road Tripes est – aussi- le prétexte, par l’opposition des deux personnages principaux, à montrer l’injuste condition humaine. L’un, Carrel,
le maroufle, est et restera un fieffé voyou, un malotru violent qui finira sa vie telle qu’elle a été écrite par avance : le visage sur le bitume, la poitrine criblée de balles et le calibre 12 à la main. Vincent lui vivra jusqu’au bout « sa récréation de 4000 kilomètres, son Iliade et son Odyssée » et retournera vaquer aux mornes activités d’un privilégié qui s’ennuie et s’interroge à jamais sur « sa peur de s’engager ».
Road Tripes, Sébastien Gendron, Editions Poche, 6,50€
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