Wim Wenders est de retour avec un mélodrame des plus lancinants

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Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Tomas Eldan est un écrivain à la dérive. Tandis qu’il conduit sa voiture sur une route enneigée, il percute accidentellement un petit traineau et tue un enfant. Sa vie bascule alors dans le désespoir le plus profond jusqu’à ce qu’il parvienne à trouver les mots pour mettre à l’écrit son intime tragédie. Devenant un auteur à succès, il est cependant rattrapé par son passé auquel il devra définitivement faire face en vue d’obtenir sa rédemption.

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Dans ce drame intense de Wim Wenders, le processus de narration est mené avec l’oppression d’un thriller: promenant sa caméra dans les pas tourmentés de Tomas, le réalisateur parsème intentionnellement son cheminement d’un mystère aussi profond que lancinant. Enveloppant ses personnages d’ombres et de silences, il les fait errer à travers un très long tunnel de tristesse et de culpabilité. Le spectateur est ainsi gardé dans l’attente d’une délivrance psychique qui n’aboutit qu’à la fin du film, une fois que toutes les étapes de deuil et de guérison ont été accomplies.
Afin d’interpréter son meurtrier mélancolique, Wim Wenders a fait appel au séduisant James Franco. A mille lieux de ses habituels rôles de soldats (Harvey Milk) ou de super-héros (Spider-Man), cet excellent comédien change ici littéralement de registre. Effaçant son sourire et son charme machiavélique, il se plonge dans l’amertume de Tomas avec beaucoup de justesse: intériorisant tous ses sentiments, il laisse parler son regard face à l’objectif et nous fait ressentir la détresse d’un homme tentant de se reconstruire à travers l’écriture. A ses côtés la gracile Charlotte Gainsbourg incarne Kate, la mère de l’enfant tué par Tomas. Le visage émacié et le coeur au bord des larmes, l’actrice nous livre une partition pleine de murmures et de subtilité: isolée dans sa grande maison rouge au milieu des champs, elle nous fait songer à une chatte craintive et égarée venant de perdre la chair de sa chair.
En faisant se confronter ces deux êtres en perdition, Wim Wenders crée une relation aussi étrange qu’ambiguë: à travers la mort accidentelle d’un enfant innocent, les destins de Kate et Tomas se trouvent à présent liés dans un labyrinthe de remords où le bourreau semble souffrir autant que la victime. Malgré la douleur évidente de leur traumatisme, aucun cri, aucune haine ne jaillit de ces éprouvés. Semblables à deux pantins mutiques, ils tentent de survivre en se respectant mutuellement et en faisant preuve d’une incroyable pudeur. La seule échappatoire à ce tourment commun réside uniquement dans la profession de chacun: suite au drame, Kate se replonge tant bien que mal dans son métier d’illustratrice tandis que Tomas trouve soudainement l’inspiration pour rédiger son nouveau roman.
C’est avec beaucoup de douceur et de bienveillance que Wim Wenders orchestre la trajectoire chaotique de ce pauvre couple hanté par la faucheuse. Très attaché à l’esthétique cinématographique, le réalisateur de Paris Texas et des Ailes du désir n’offre à ses protagonistes que peu de dialogues mais il rend leur présence quasi-palpable à travers son traitement des couleurs et de la lumière. Entièrement tourné à Montréal, son film met effectivement en scène de splendides paysages qui évoluent au fil de l’histoire. Au rythme de la très belle musique composée par Alexandre Desplat (The Grand Budapest Hotel), on parcourt ainsi de froides plaines enneigées ou d’immenses champs printaniers aux teintes verdoyantes. On se demande néanmoins pourquoi Wim Wenders a souhaité monter ce film en 3D? Certes cela crée une certaine proximité avec les acteurs et les objets (notamment la neige ou le livre de Faulkner brulé par Charlotte Gainsbourg) mais ce traitement de l’espace entraine également un manque de spontanéité.
Par delà l‘évidente thématique de la mort et de la douleur, ce nouvel opus de Wim Wenders est aussi un étrange questionnement sur l’inspiration créative: lorsqu’après le décès de l’enfant, le personnage de Tomas Eldan reprend la plume, l’on devine qu’il construit son nouveau roman en s’inspirant du malheur de Kate. Il pousse même le vice jusqu’à vouloir dialoguer avec elle pour capter son ressenti post-mortem. A travers cette démarche aussi blessante que pernicieuse, Wim Wenders souhaite emmener ses spectateurs à s’interroger intimement sur les sources de la création artistique: Est-ce amoral de vouloir utiliser la détresse ou l’infortune d’autrui pour stimuler sa propre création? L’artiste ou l’écrivain doivent-ils se sentir coupables de puiser dans la réalité si celle-ci s’avère être tragique? Difficile de répondre à de telles questions lorsque l’on sait que parfois l’écriture et l’art sont les seuls moyens de rédemption pour éviter le suicide…

Every Thing Will Be Fine? Un voyage introspectif sur les rives de la création et du remord.
Si vous aimez les films d’action, passez définitivement votre chemin! Si par contre vous tenez jusqu’à la fin de l’histoire, vous aurez peut-être droit au magnifique sourire de James Franco!

Every Thing Will Be Fine
Réalisé par Wim Wenders
Scénario de Bjorn Olaf Johannessen
Avec James Franco, Rachel Mc Adams, Charlotte Gainsbourg, Marie-Josée Croze, Patrick Bauchau, Robert Naylor
Sortie nationale: le 22 avril 2015
1h55

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Every Thing Will Be Fine
Every Thing Will Be Fine Bande-annonce VO

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