Habib Dechraoui : « Ce que l’on ne nomme pas n’existe pas »

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Par Amélie Coispel –bscnews.fr / Habib Dechraoui, co-directeur artistique du festival Arabesques, dont la dixième édition aura lieu à Montpellier du 12 au 24 mai 2015, lutte contre les amalgames qui se multiplient dans les imaginaires collectifs et les préjugés perpétués contre les étrangers. Ces clichés, il les efface, grâce à l’arme la plus belle, la culture. Un entretien où le maître mot est l’entrelacement : des arts, des cultures, mais aussi des valeurs.

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Le festival Arabesques jouit d’une certaine ancienneté puisqu’a lieu cette année la dixième édition, avez-vous constaté un changement depuis la première édition ?

Je n’ai pas remarqué un grand changement par rapport aux spectateurs, en tout cas, par sa diversité, c’est une certitude. Mais le nombre a changé puisque depuis le début, le festival n’a cessé de grandir. Désormais, il est 20 fois plus grand qu’au début. Nous avons commencé avec 1500 spectateurs et l’année dernière, nous en avions 40 000, nous avons une très grande audience. Alors bien sûr, tout est relatif, cela dépend à quoi on se compare. Nous, nous nous comparons seulement à nous-mêmes. Donc si l’on compare à la première édition, il y a eu un nombre important de fréquentations, en constante augmentation. Chaque année, il y a plus de monde. Et pour notre plus grand plaisir, c’est aussi un public très divers. Ce sont des gens du quartier mais aussi des gens qui fréquentent le domaine ; il y a aussi des gens qui viennent spécifiquement pour des pointures ou même des expositions, certains ne viennent que pour des conférences, d’autres pour les tables rondes.

Pourquoi avoir choisi de dédier un festival aux arts arabes ? Quelles ont été vos motivations à l’aube de la première édition ?

Pourquoi ? C’est une bonne question. Cela remonte à la deuxième partie de ma vie, j’étais aussi artiste. Je faisais une tournée avec le co-directeur d’Uni’Sons, une très grande tournée au Proche et Moyen-Orient. C’était une tournée qui avait débuté en novembre 1999 pour s’achever en avril 2000. Nous avions été frappés par la diversité culturelle présente dans ces pays arabes. C’est à dire qu’il y a des choses que l’on pensait savoir, mais cette tournée nous a fait comprendre que la seule chose que les pays arabes avaient en commun était la langue écrite, la langue littérale. Et rien d’autre. On ne pouvait comparer Beyrouth à Casablanca ou la Jordanie au Caire. Il y avait des diversités qui étaient importantes. Ces diversités étaient d’autant plus importantes d’un point de vue culturel, musical, artistique. Alors à notre retour, en 2000, nous avons commencé à nous lancer dans des investigations pour savoir ce qui existait en France, au moins en France, sur les manifestations qui regroupaient les arts du monde arabe. En dehors de l’Institut du Monde Arabe, dont c’est un devoir, ou une vocation institutionnelle, une volonté politique, il n’existait pas de manifestation pluridisciplinaire regroupant ces arts du monde arabe. Nous en avons trouvé autour de la Méditerranée, ou du cinéma arabe, ou encore de la littérature arabe, mais pas de manifestation pluridisciplinaire. Nous avons donc décidé de nous lancer dans cette aventure. Nous avons commencé à prospecter tout ça. Puis est arrivé le 11 septembre 2001, et quand nous commencions à parler d’Arabesques, nos interlocuteurs pensaient que nous essayions de redorer le blason, que nous essayions de corriger, comme si c’était une sorte de caution. Et ce discours-là nous a un peu importunés. Donc nous disions que non, que l’idée ne venait pas de là, qu’elle était là avant. Mais à chaque fois, nous étions dans la justification, ce qui nous a un peu gênés. Donc nous avons choisi d’attendre que cela se calme, nous avions par ailleurs beaucoup d’activités artistiques, alors nous avons choisi d’y revenir plus tard. Nous sommes donc revenus dessus 5 ans plus tard, en 2005. Nous avons fait l’édition zéro au Théâtre Jean Vilar. Et ça a été un énorme succès. Les spectateurs étaient très nombreux et nous avons même dû refuser du monde. C’était très convivial. Nous avons par la suite rencontré l’ancien président du département, André Vézinhet, qui était par ailleurs élu de notre canton, à qui nous avions déjà proposé le projet. Il nous avait dit de revenir vers lui quand le projet serait prêt. Puisqu’il était très attaché à la Méditerranée, il a répondu assez rapidement et favorablement pour pouvoir accueillir cette manifestation au domaine d’O. Cette manifestation avait été pensée au domaine d’O de par la proximité avec le quartier de la Paillade (Mosson, ndlr), donc sa situation géographique, mais aussi par son cadre, qui correspondait parfaitement à l’image que l’on voulait donner de cette manifestation. Nous voulions faire une manifestation autour des arts du monde arabe à la paillade, donc l’événement est né là-bas l’année d’après, en juillet 2006. Ca a donc été un énorme succès et nous avons commencé à le repenser petit à petit sur plusieurs jours, un week-end, avec le succès que l’on connaît.
Au-delà des discours, nous travaillons aussi sur une politique tarifaire : on peut donc voir des spectacles de très grande qualité à moindre coût. Aussi, en investissant l’Opéra Comédie, nous souhaitons créer une dynamique des classes populaires et des publics non initiés à venir à l’Opéra et venir admirer un très beau spectacle. Pour nous, c’est aussi important de rendre la culture accessible à tous, ce n’est pas qu’un slogan, c’est aussi une réalité et un fait, que nous avons réalisé depuis le début, et nous voulons enfoncer le clou encore cette année avec différents lieux avec lesquels nous n’avions pas travaillé auparavant.

La programmation est très éclectique, on y rencontre de la musique, du théâtre, des contes, de la projection, de la danse, de la calligraphie, c’est un bien large éventail. Comment sélectionnez-vous les artistes ?

Jusqu’à aujourd’hui, je ne programme que les spectacles que je vais voir. Parfois, je les ai vus il y a un an ou deux ans, et j’aimerais ne jamais déroger à cette règle.

Quels pays arabes seront représentés dans cette nouvelle édition ?

Il y aura beaucoup de pays, mais il faut savoir que nous ne fonctionnons pas en termes de pays, en essayant d’établir des quotas. Cette année, nous avons la Palestine, l’Egypte aussi, à plusieurs reprises, car nous avons l’hommage à Oum Kalsoum, pour les 40 ans de sa disparition. Nous avons aussi le Soudan, le Maroc, l’Algérie, l’Espagne avec l’Andalousie, le Liban. Nous avons une dizaine de pays.

Vous êtes le seul festival en Europe dédié aux arts du monde arabe. Quel est votre ressenti vis-à-vis de cela ? Etes-vous fier d’avoir ce monopole ou déplorez-vous plutôt le manque d’initiative de mise en valeur des arts arabes ?

Effectivement, nous sommes le seul. Ca ne vient pas de nous, ça vient de Jack Lang, président de l’Institut du Monde Arabe, c’est lui qui l’a annoncé très ouvertement. Il l’avait déjà annoncé il y a deux ans. D’ailleurs, lors de la dernière conférence de presse que nous avons tenu à l’Institut du monde arabe, il l’a redit, de manière très prononcée. Cependant, monopole n’est pas le mot que j’emploierai. Aujourd’hui, je sais que Arabesques a été en quelque sorte la locomotive de certains festivals. Nous travaillons avec beaucoup de festivals à l’étranger. Il y a notamment des festivals à Liverpool qui se sont créés. Donc nous pouvons dire que nous avons été la locomotive de cela. Mais plutôt que le seul, je préfère dire qu’Arabesques est le plus grand, car il y a beaucoup de manifestations qui commencent à se mettre en place et tant qu’il n’y a pas de recensement, je ne peux me revendiquer le seul. Jack Lang a dit que nous étions le plus grand et le plus important. Je préfère garder cette notion d’importance, pour ne pas froisser quelques initiatives aussi grandes ou petites soit-elles. Ce n’est pas agréable d’être le seul. Si on est le seul c’est que ça pose un problème. Cela ne veut pas dire que les gens manquent d’initiatives, mais que certains ont pu penser qu’ils ne pouvaient pas monter ce type de manifestations. Et l’actualité nous donne raison, car à un moment donné où le monde arabe est à feu et à sang, focaliser sur la création artistique du monde arabe, ça reste pour moi un devoir républicain.

Pensez-vous que le festival Arabesques puisse participer à une meilleure intégration des arabes dans un contexte qui favorise un certain protectionnisme, et une société trop méfiante vis-à-vis des étrangers, peut-être un peu trop ethnocentrée ?

Je ne veux pas parler d’intégration car jusqu’a preuve du contraire, les gens d’origine arabe n’ont pas eu à s’intégrer plus que les italiens ou les espagnols ou d’autres. Je laisse donc ce mot à ceux qui veulent en faire tout un débat. Moi je préfère parler de «mettre en lumière », c’est-à-dire que j’ai envie de corriger l’image que certains ont du monde arabe. Quand on parle du monde arabe, on parle du djihad, on parle de la burqa, ce sont des raccourcis rapides, et moi les raccourcis rapides ne m’intéressent pas, je préfère quand c’est un peu plus complexe. Donc oui, je pense très certainement que ce festival contribue à donner une image plus juste de la création contemporaine ou moderne du monde arabe, nous en sommes persuadés. Sinon, le public ne nous le montrerait pas. Et le public est chaque année plus présent, et nous sollicite de plus en plus. Le festival Arabesques est une véritable vitrine internationale maintenant. J’en veux pour preuve le nombre de conférences que je fais à travers le monde. Nous n’attirons pas un public maroco-algérien ou libano-syrien mais plutôt un public de toutes origines, de toutes confessions et de toutes sensibilités. Je pense que nous avons eu raison d’y croire et je suis sûr que nous contribuons à favoriser le vivre-ensemble et à montrer qu’une société multiculturelle est possible en France. La France est par définition un lieu de transit historique donc oui, je suis persuadé que nous y contribuons très fortement.

Quelles sont les valeurs que vous souhaitez véhiculer grâce à ce festival, à l’instar de ce vivre ensemble ?

La seule valeur que je souhaite véhiculer, si tant est qu’il m’était autorisé d’en distribuer et d’en valoriser, c’est l’amour. Que le vivre ensemble passe par l’amour. Car à travers l’amour, on parle de tout : on parle du respect, d’aller vers l’autre etc. Et s’il y a un mot que je souhaite mettre en valeur, c’est l’amour, le festival de l’amour plus qu’un festival de la diversité. Par définition, la diversité va être visible à travers ce que l’on va proposer mais l’amour est une valeur que l’on minimise et que nous, nous souhaitons valoriser.

Lors de ce festival, une journée est dédiée au public scolaire et permet de sensibiliser les jeunes aux arts du monde arabe et à la culture arabe. Parlez-nous-en un peu plus : combien d’établissements participent ? Quel retour en avez-vous ?

Dans la totalité des actions que nous développons avec Uni’Sons, il y a toujours eu un lien avec les établissements scolaires. Par conséquent, Arabesques est une action, dès la deuxième édition, où il y avait des concerts pédagogiques. J’avais une professeure que j’appréciais beaucoup quand j’étais au lycée. Et j’avais du mal à donner un titre à mes dissertations et discussions, parce que je trouvais que c’était réducteur. Elle m’a corrigé à très juste titre, et m’a dit « Ce que l’on ne nomme pas, n’existe pas ». J’ai trouvé cela très beau et cela m’a marqué. Depuis, je donne beaucoup de titres à des textes ou à des présentations. Et nous avons donc décidé, plus que d’en parler, de le valoriser, à travers le nom « Jeunesse en arabesques ». Et dans « Jeunesse en arabesques » aujourd’hui, c’est plus de 4 000 jeunes, qui bénéficient des retombées directes du festival Arabesques, à travers des récrés-concerts dans la quasi-totalité des établissements du quartier de Mosson ou des Hauts de Massan, mais pas exclusivement. Il y a aussi Malbosc, Clapiers, Béziers, Bédarieux, ce sont des établissements qui viennent de tout l’Hérault. C’est un travail que nous menons toute l’année. « Jeunesse en arabesques », c’est aussi une création. Nous travaillons sur une création avec quatre collèges, qu’ils présentent le jour de » Jeunesse en arabesques ». Des intervenants viennent toute l’année, autour de créations musicales, de créations théâtrales, et les élèves viennent présenter cette création en première partie d’un spectacle que l’on programme pour les jeunes justement. C’est aussi une initiative que l’on souhaite valoriser, c’est très important.

Quelles sont les nouveautés et les grands moments pour cette nouvelle édition ?
Il ne faut rien rater (rires). D’abord, parce que c’est la 10 ème édition, donc c’est une édition que nous avons pensé un peu grande, pour cet anniversaire. Nous avons sous-titré « dix années d’audace ». Parce que monter un festival comme celui-là, ça demande de l’audace : de l’audace artistique, culturelle et de l’engagement. Pour la première fois, nous avons décentralisé plusieurs spectacles. Il y aura deux très beaux spectacles notamment, dans le domaine de l’Oulivie, à Combaillaux, avec comme arrière-plan le champ d’Olivier, deux spectacles de très grande qualité. Mais aussi, je conseille au public de ne pas manquer l’Orchestre de l’Opéra du Caire avec 30 musiciens, 4 chanteuses, et 2 dates, une le dimanche et l’autre le lundi. Ce qui est aussi relativement nouveau, c’est que nous accordons une grande place à la nouvelle scène contemporaine arabe. que nous avons appelé « le nouveau son arabe », avec justement des artistes comme la soudanaise Alsarah, le groupe Mashrou’ Leila, Orange Blosson, N3rdistan, Adnan Joubran le Palestinien, qui vient avec son projet personnel. La nouvelle scène arabe est très riche, très créative. Ces derniers temps, j’ai beaucoup voyagé, et j’ai pu observer, par mes yeux et mes oreilles, à quel point la jeune scène arabe était bouillonnante de créativité. Le festival Arabesques a donc fait une place large à cette nouvelle scène. Cette année, nous avons aussi créé un chapiteau, où il va y avoir des noubas improvisées, après les concerts de l’amphithéâtre. Je ne dévoile pas la programmation mais il y aura beaucoup de surprises !

Festival Arabesques
Les rencontres des arts du monde arabe
Du 12 au 24 mai 2015
Domaine d’O
Montpellier
http://www.festivalarabesques.fr

( Crédit Photo – Luc Jennepin )

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