Les Enfants du soleil: une pièce confuse et léthargique
Par Florence G. Yeremian – bscnews.fr/ L’écrivain socialiste Maxim Gorki a été plusieurs fois emprisonné pour ses prises de positions contre le régime tsariste. En 1905 lors de la Révolution Russe, il a été incarcéré à la forteresse de Saint Petersbourg et c’est précisément à cette période qu’il a écrit Les Enfants du soleil. Cette pièce d’une lucidité rayonnante dévoile un microcosme de petits bourgeois tentant d’œuvrer pour le bien de l’humanité. Englués dans leur confort et leur idéalisme, ces intellos privilégiés se gargarisent quotidiennement de rêves et de soliloques sans jamais vraiment oser affronter la réalité. Désireux de changer l’ordre des choses, ils prêchent pour une transformation sociale qui passerait en priorité par l’art ou la morale. Mais en période de crise et de révolution, quel poids la culture peut-elle vraiment avoir face à un peuple qui a faim et tente désespérément de survivre?
En mettant en scène cette « partition bolchévique », Mikaël Serre y voit un écho précurseur de notre époque contemporaine: il y a, en effet, beaucoup de points communs entre ces intellectuels bien pensants du siècle dernier et nos élites politiciennes qui aspirent à émanciper le prolétariat avec des pincettes aseptisées et de beaux discours…
Parmi les principaux protagonistes de cette tragédie humaine se distingue le professeur Pavel (Cédric Eeckhout) : tentant de secourir les masses par le biais de la science, cet érudit égoïste se focalise sur son ordinateur sans même percevoir qu’il s’est progressivement déconnecté du monde. Privé de toute humanité, il en est venu à oublier sa femme Eléna (Servane Ducorps) et n’a même pas remarqué que la charnelle Melania (Marijke Pinoy) se meurt d’amour pour lui. En contrepoint de ce savant qui se consume dans la science, déambule le lyrique Dimitri (Bruno Roubicek). Evoluant oisivement au sein de ses créations artistiques, cet esthète essaye d’apporter des réponses à la crise par le biais de l’art. A mille lieux de toute réalité, il s’enfonce à son tour dans des divagations inutiles et égocentriques…
La seule âme lucide parmi ces êtres irresponsables est Liza (Claire Vivianne Sobottke): souffrante et révoltée, cette jeune fille prophétise le déclin de la civilisation et refuse de se marier afin de ne jamais enfanter. A ses yeux la société est un creuset de violence, de cruauté et de maladies à l’exemple de cette épidémie qui ne cesse de se propager autour d’eux. Symbole de la léthargie suffocante qui enlise l’Intelligentsia russe ou toute élite idéologiste, ce mal des siècles se diffuse non seulement parmi ces « Enfants du Soleil » mais il envahit aussi l’esprit des spectateurs.
Il y a dans cette adaptation de Maxime Gorki un tel désordre qu’il est difficile d’en capter le propos initial: les dialogues franco-anglais s’emmêlent, les conflits s’accumulent de façon incohérente et les clichés moralistes sont jetés à la face du public dans un style totalement anarchique: « Il faut aimer les gens! », « Il faut que les hommes aiment la beauté », « On n’a pas le droit de vivre sur la terre, si on n’a pas la force de faire sienne la vie de toute la terre » … Impossible d’adhérer à ces sentences qui sont déclamées ou criées sans aucune trame directrice! Impossible également de capter les sentiments de ce panier de crabes dégénérés, où Mikaël Serre nous livre des êtres qui se frappent, se querellent et se poursuivent de façon inintelligible. Au lieu de nous éclairer sur les propos altruistes et l’engagement socio-politique de Maxime Gorki, Mickaël Serre a fâcheusement opté pour la carte hermétique de la provocation: recouvrant la scène de bâches ordurières, il a entièrement dénudé ses comédiens et leur a même demandé de se jeter des giclées de lait purificateur à la figure. Ces mises à nu absurdes et cette scénographie chaotique n’ont eu pour seul résultat que de déprécier le jeu d’une troupe d’acteurs présentant pourtant un fort potentiel. Il en va ainsi du sibyllin Thierry Raynaud interprétant Boris ou de Marijke Pinoy qui a réussi, malgré toute cette confusion, à offrir au public une Melania aussi désinhibée qu’attendrissante.
Les Enfants du soleil? Une oeuvre désarticulée dont la teneur philosophique demeure hélas complètement opaque.
Les Enfants du soleil
D’apres Maxim Gorki
Adaptation et mise en scène Mikael Serre
Avec Marijke Pinoy, Cédric Eeckhout, Servane Ducorps, Bruno Roubicek, Claire Vivianne Sobottke, Thierry Raynaud et Nabih Amaraoui
Le Monfort Théâtre
106, rue Brancion – Paris 15e
Jusqu’au 14 février 2015
du lundi au samedi à 20h30
Réservations: 0156083388
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