Cadavres noirs sur fond rouge : un polar exquis
Par Eric Yung – bscnews.fr/ « Les médias (…) et tous les blogs consacrèrent une large place au fait divers culturel du jour (c’est si rare, mais tu parles de culture) : un brocanteur du marché Biron des Puces de Saint-Ouen découvert mort à côté de son 4×4, rive droite en plein de Paris ». C’est ainsi que débute ce roman policier, pas tout à fait comme les autres puisqu’il sied plutôt aux notices savantes des grands musées qu’à un « polar » de la veine de la « Série noire » ou du « Masque » et qui emplissent l’un des rayons de nos bibliothèques.
« Cadavres noirs, sur fond rouge », roman signé Adam Biro, est une sorte de délicieuse intrusion dans le monde des marchands de tableaux, des galeristes et aussi (surtout d’ailleurs) des brocs et ferrailleurs qui font le bonheur des chineurs et autres rois de la fouillouse en tous genres. Et l’ambiance n’est pas, comme dirait « Pépère » l’un des héros pittoresques du récit, à piquer des hannetons, tandis que son pote « Cloclo » (autre vagabond en quête de fortune mal gagné) dirait, avec un accent venu dont on ne sait quelle zone de la région parisienne, « que ça craint chaud le monde du « biseness » de banlieue ! ». Il est vrai que le piment du récit tient au sujet de l’intrigue. L’histoire est forte en émotions et en rebondissements et serait –paraît-il, selon la maison d’éditions- inspirée d’un fait divers réel, à savoir le « vol, par erreur » d’un tableau de grande valeur signé de l’Ukrainien Kazimir Malevitch (l’auteur du célèbre « Carré noir sur fond blanc -1915-) décédé en 1935 à Leningrad. Et Adam Biro nous parle de ce peintre avec beaucoup d’érudition ce qui rend le romancier digne des meilleurs experts du domaine de la peinture. Ce n’est pas trop surprenant. En effet, Adam Biro, avant de consacrer tout son temps à l’écriture et aux voyages, a été très longtemps éditeur spécialisé dans les livres sur les beaux-arts. Et puis, l’un des autres intérêts de « Cadavres noirs sur fond rouge » est qu’Adam Biro, fort de ses origines hongroises et fin connaisseur des pays d’Europe, nous prend par la main pour nous conduire dans les rues de Moscou, Varsovie, Berlin, Kiev et qu’il nous fait même traverser la Manche jusqsu’en Irlande, à Belfast exactement, pour nous faire vivre ses aventures rocambolesques. Quant à l’enquête policière menée tambours battants elle ne laisse pas de repos au commissaire Liotard. Peu coutumier du milieu dans lequel il enquête, ce flic de la police judiciaire plus habitué à fréquenter la pègre des bas quartiers parisiens que les galeries d’art et les vernissages mondains doit se fader, pour appréhender son affaire, la quasi-intégralité des écrits parus sur le grand Malevitch. Une façon pour l’auteur de « Cadavres noirs sur fond rouge » de nous faire partager la vie d’un peintre qui n’a jamais voulu céder aux injonctions des services secrets de l’ex-Urss considérant son art comme non-conformes aux idéaux du parti communiste et tout comme ceux des gouvernements frères de Pologne et d’Ukraine. En fait, Malevitch est un peu, si l’on en croit le récit d’Adam Biro, l’Alexandre Soljenistyne de la peinture contemporaine. C’est passionnant ! C’est-à-lire, vraiment. Enfin, soulignons que ce roman est paru dans « Artnoir » une série inédite de livres qui certes appartiennent au genre « thrillers » mais qui se déroule uniquement, nous dit l’éditeur, dans le monde de l’art.
« CADAVRES NOIRS SUR FOND ROUGE » d’Adam Biro, éditions Cohen-Cohen dans la collection Artnoir.
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