Bébé Tigre : le tumultueux parcours d’un ado clandestin
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Many a 17 ans. Deux ans avant, il a quitté le Pendjab dans le Nord de l’Inde pour débarquer en France clandestinement. Mineur et sans papier, cet adolescent a eu la chance d’être placé à l’assistance par son passeur mais il ne parvient pas vraiment à s’en sortir: tandis que la France lui offre une famille d’accueil et la possibilité de faire des études, ses parents, restés au pays, exigent de lui un revenu régulier. Tout travail légal étant interdit aux moins de dix-huit ans, le jeune homme doit délaisser ses cours pour chercher de petits boulots sur le marché noir. De déceptions en désillusions, Many découvre peu à peu un monde auquel il ne s’attendait pas. Entre sa quête d’indépendance et son respect des traditions sikhs, il va apprendre à se faire les griffes, quitte à devenir lui-même complice d’un trafic d’enfants…
L’idée de Bébé Tigre est née dans l’esprit de Cyprien Vial alors qu’il animait des ateliers cinéma au sein d’un lycée de banlieue. Les notions d’intégration et d’identité nationale se sont révélées à lui à travers le dialogue qu’il pratiquait quotidiennement avec ses étudiants et il a eu l’heureuse idée de les mettre en images. Basant son scénario sur un substrat d’enquêtes et de témoignages, ce jeune réalisateur y mêle un peu de fiction et dresse ainsi un intéressant portrait de la situation actuelle des MIE, les Mineurs Isolés Etrangers. Il faut savoir qu’en France, lorsqu’un enfant de moins de 18 ans arrive seul sur le territoire, il bénéficie obligatoirement de la protection issue du droit commun relatif à l’enfance en danger. Une fois passé sa majorité, l’histoire se complique si la personne n’a pas reçu de promesse d’embauche ou de titre de séjour…
A travers le personnage singulier de Many, Cyprien Vial ne critique pas le système juridico-social, pas plus qu’il ne juge le communautarisme. Son film tente plutôt d’exposer objectivement le malaise de ces gamins à qui la vie demande de grandir trop vite: Many n’est pas un adolescent comme les autres juste préoccupé par ses notes et son succès auprès des filles; bien loin de ces petits tracas, il doit quotidiennement affronter de véritables responsabilités: pris en tenaille entre le désir de réussir ses études et la pression de ses parents, il s’interroge sur ses choix et cherche à se construire une identité propre. Etant sous l’emprise inaliénable de son passeur, il ne peut se défaire de cette crapuleuse autorité qui le conduit pourtant vers de mauvais chemins.
C’est avec un soupçon de douceur et de naïveté, que le jeune Harmandeep Palminder interprète le rôle de Many. Les lèvres charnues et le regard triste, il possède le sourire vulnérable d’un enfant mais affronte déjà la vie avec des yeux d’adulte. Pas vraiment acteur, cet étudiant issu de la communauté Sikh d’Ile de France parvient néanmoins à composer un personnage aussi authentique que convaincant : entre son premier baiser, ses petits boulots et sa remise en question silencieuse, il nous entraine pudiquement dans les dédales intérieurs de son passage à l’âge adulte.
Des couloirs de l’école aux salles de prière du Temple Sikh, la caméra de Cyprien Vial le suit de très près. Par le biais d’un cadrage serré et attentif, le réalisateur nous donne ainsi l’impression de déambuler aux côtés de son protagoniste car son objectif est sans cesse brusqué par les évènements. Même si ce premier long métrage est plus proche d’un documentaire que d’un film d’action, il fait preuve d’une belle énergie et d’un réalisme évident. Le scénario n’est pas sensationnel et la ligne narrative s’essouffle à plusieurs reprises (Que d’embrassades!), mais l’on reste accroché aux baskets de Many car l’on veut savoir comment s’achève son chaotique parcours.
Bébé Tigre? Une réflexion humaniste et un peu trop bienveillante sur le monde cruel des mineurs étrangers. A mille lieues des rêves et des simagrées Bollywoodiennes…
Bébé Tigre
de Cyprien Vial
Avec Harmandeep Palmier, Vikram Sharma, Elisabeth Lando…
Sortie nationale: le 14 janvier 2015 – Durée: 1h27
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