Le scandale Paradjanov: le tableau poétique d’un farfadet du 7eme Art
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Paradjanov est un être à part. Un clown génial et incompris comme le sont la plupart des artistes avant-gardistes. Bien qu’il soit d’origine arménienne, il est né à Tbilissi et a commencé sa carrière en Ukraine à la fin des années 50. Auteur de films cultes tels que Les chevaux de feu ou Sayat Nova, il a surtout marqué son époque par son anticonformisme qui l’a conduit à plusieurs reprises derrière les barreaux des geôles ukrainiennes. Afin de rendre hommage à ce génie lyrique et irrévérencieux, Serge Avedikian et Olena Fetisova ont composé un film à son image: virevoltant, folklorique et débordant de poésie.
Le scandale Paradjanov retrace les trente dernières années de la vie du cinéaste. Egocentrique et sans norme, Sergueï vit en Ukraine entouré d’amis peintres ou sculpteurs aussi fantasques que lui. Sa femme Svetlana (interprétée par la très belle Yulia Peresild) l’admire mais elle ne supporte plus sa mégalomanie et ses extravagances. Tandis qu’il achève la réalisation des Chevaux de feu, le parti soviétique l’accuse de nationalisme ukrainien pour avoir tourné son long métrage en dialecte houtsoul et non en russe. Avili et persécuté, Paradjanov est jeté en prison et calomnieusement condamné pour homosexualité. Meurtri dans sa chair, cet être rêveur passe près de cinq ans enfermé auprès de véritables taulards qui le réduisent à l’état de larbin. Malgré cette séquestration, l’artiste ne peut s’empêcher de dessiner et il se lance dans une spirale créative faite de bouts de ficelles et d’objets de récupération. Lorsqu’il sort du bagne, l’Etat soviétique l’assigne à résidence en Géorgie où Paradjanov finit par se terrer: vivant dans une pauvreté extrême, il erre quotidiennement dans les ruelles de Tbilissi à la recherche d’inspiration et d’objets rocambolesques. A l’exemple d’un Dali caucasien ou d’un Marcel Duchamp oriental, il emprisonne des chaussures dans des cages à oiseaux et confectionne des icônes kitschissimes à l’image de son épouse vénérée. Vivant seul et reclus dans son monde imaginaire, il revendique une forme d’Art Total mais n’est compris que par une poignée d’artistes occidentaux: soutenu par Françoise Sagan, Saint Laurent ou Louis Aragon, ce poète-bricoleur bénéficiera d’une magnifique exposition parisienne au Centre Georges Pompidou avant d’aller finir ses jours en Arménie, à peine âgé de soixante six ans.
C’est avec tendresse et dévotion que Serge Avedikian interprète en langue russe le rôle de ce farfadet du septième art. Ayant rencontré Paradjanov à plusieurs reprises, il tente de nous raconter le parcours chaotique de cet esprit exalté tout en nous insufflant son amour démesuré de l’art et de la beauté. Usant d’humour et de dérision, il mime ce pitre provocateur et parvient à incarner avec une grande justesse ses désillusions ainsi que son perpétuel émerveillement face à la vie. Issu de l’Arménie soviétique, Serge Avédikian n’hésite pas à dénoncer la manipulation tentaculaire alors mise en place par le Parti: dans un climat oppressant fait de dépositions secrètes et forcées, il accuse le régime d’avoir voulu tout contrôler et de s’être attaqué particulièrement à des électrons aussi libres que Paradjanov ou Tarkovski.
Jouant sur des prises de vue plongeantes et des images saturées, Avedikian nous abreuve de déformations visuelles et de séquences aux couleurs délavées dignes des anciens films soviétiques. Entre une maison aux objets en lévitation et un humble diner pris dans une datcha aux murs recouverts d’icônes, il offre à son scénario une approche onirique en parfaite raisonnance avec l’esthétique précieuse des oeuvres de Paradjanov.
Que l’on apprécie ou non ce bel hommage cinématographique, Avedikian confirme ici le pouvoir de l’art et de la création : quelles que soient la censure ou les interdictions, la création artistique ne pourra jamais être annihilée car elle s’impose aux artistes comme un besoin intrinsèque. Voilà pourquoi lorsque Paradjanov est jeté en prison ou abandonné en Géorgie, il continue de découper, de coller et de rêver à travers son art. S’émerveillant de tout, voyant au delà des objets et des gens, ce génie en guenilles a tout simplement réussi à transcender la réalité pour mettre en scène sa propre vie !
Le scandale Paradjanov? L’occasion d’offrir une nouvelle notoriété à l’un des plus grands poètes maudits de l’ère soviétique.
Le scandale Paradjanov ou la vie tumultueuse d’un artiste soviétique
De Serge Avédikian et Olena Fetisova
Avec Serge Avédikian, Yulia Peresild, Karen Badalov, Zaza Kashibadze…
Sortie nationale le 7 janvier 2015
Paris / Séances (non exhaustives):
• Ciné 104 : 104, avenue Jean-Lolive – Pantin
• MK2 Beaubourg: 50, rue Rambuteau – Paris 3e
• Espace Saint Michel: 7, place Saint Michel – Paris 5e
• Lucernaire: 53, rue Notre-Dame-des-Champs – Paris 6e
• Elysées Lincoln: 14, rue Lincoln – Paris 8e
• Ciné Sélect : 10, avenue de la Division Leclerc – Antony
Ainsi que dans les cinémas Diagonal
Le Scandale Paradjanov ou La vie tumultueuse d’un artiste soviétique
Le Scandale Paradjanov ou La vie tumultueuse d’un artiste soviétique Bande-annonce VO
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