Patryck Froissart : de l’ambivalence des êtres
Par Laurence Biava – bscnews.fr/ A quel point le bonheur d’aimer ou d’être aimé peut-il se conjuguer avec l’acceptation de se soumettre aux exigences de l’autre, voire naître et croître à mesure que ces contraintes se changent en un asservissement s’accompagnant d’humiliations, de brimades, et, à l’extrême, de sévices susceptibles de provoquer la mort ? C’est la question que posent les huit nouvelles de cet angoissant mais palpitant recueil de Patrick Froissart.
La thématique du plaisir-souffrir est ici sous-tendue par le mythe de la femme fatale, de la sirène, de la Lorelei qui joue de la fascination qu’elle exerce pour précipiter les bateliers contre les rochers où se fracassera leur esquif. Comme l’écrit Marc Durin-Valois dans sa préface, la méthode appliquée à l’écriture foisonnante et ondoyante des nouvelles de Patrick Froissart, tient au fait que chacune d’elle suscite des résonances et tisse des liens ravec les autres récits du même opus. On appréciera particulièrement « la fille aux vidéodisques » pour son message humaniste, « la faille » pour son dispositif révélateur et symbolique au sujet du jeu amoureux, « la souricière » pour l’éloge de la sensualité de Rose et des paragraphes d’un style flamboyant comme celui-ci : « Alors se mit en marche un kaléidoscope infernal, un carrousel vertigineux, une alternance démentielle de télescopages de scènes paradoxales ; tantôt elle affirmait avec un aplomb monstrueux et un étonnant éventail d’insultes ne pas le connaître, tantôt elle l’affolait en d’ardentes retrouvailles, le consumait aux volcaniques embrasements de ses embrassements puis le glaçait à la douche de ses départs subreptices ». C’est vrai, ces nouvelles constituent des départs de quelque chose, jamais des aboutissements. La dernière phrase de chacune ouvre un texte au lieu de le refermer, et indique une voie à suivre, afin de libérer l’imaginaire du lecteur. Qu’importe le sentiment d’inachevé, pourvu que les séquences ne soient jamais inabouties. Très belles preuves littéraires données et couronnées ici.
Les bienheureux de Patryck Froissart — Editions Ipaginations – 100 pages
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