A Most Violent Year : J.C Chandor déconstruit avec brio le mythe du gangster
Par Elodie Cabrera – bscnews.fr/ Il s’est fait désiré. « A Most Violent Year » parachève l’année en ajoutant une pointe de suspense à la belle cuvée qu’aura été 2014 pour le cinéma. J.C Chandor (Margin Call, All Is Lost) signe un thriller angoissant au rythme lent, intense et magistral. Le film a pour toile de fond New York en 1981, l’année la plus criminelle qu’ait connu la ville. Et plus particulièrement le business du pétrole, un milieu gangréné par la corruption où la loi des flingues assure la pérennité des affaires. Abel Morales a l’étoffe du Parrain. Les méthodes en moins, la morale en plus.
Cet immigré mexicain, à la tête d’une compagnie de transport de fuel, s’apprête à acquérir un terminal pétrolier qui mettra tous ses concurrents hors jeu. Son rêve américain se transforme rapidement en cauchemar : ses chauffeurs sont agressés, les cuves de ses camions siphonnées, un procureur tenace fourre le nez dans ses comptes et sa banque lui tourne le dos, mettant en péril toutes les économies investies dans son projet. Des coups et des blessures, on en croise peu dans « A most violent year ». Hormis quelques scènes de course-poursuite, les rares échos à la barbarie de 81 proviennent de la radio qui égrène sur les ondes cambriolages, meurtres et délits en tout genre. La véritable violence est ailleurs, dans le combat intérieur que mène Abel pour rester fidèle à ses principes.
Le scénario d’une grande intelligence immisce le spectateur dans le désespoir d’un homme poussé à bout, jusque dans ses retranchements. Toujours distante, la caméra nous confine dans une position de témoin. Impuissant et vicelard. On guette le faux pas, on pressent le croche-patte, cet instant où, cerné par le vice, Abel répondra œil pou œil, dent pour dent et coup pour coup. Niet. Rien ne vient. Bien que sa morale soit passée à tabac, il se cramponne à son sacerdoce. J. C Chandor déconstruit le mythe du gangster avec finesse grâce à cet anti-mafieu et héraut de l’honnêteté campé par un Oscar Isaac au sommet de son art. On avait déjà remarqué cette belle gueule traînant sa guitare et son chat dans « Inside Llewyn Davis » des frères Coen. L’acteur est ici méconnaissable. Charismatique, cheveux brossés en arrière et regard franc, Oscar Isaac semble avoir été taillé pour porter l’élégant manteau du patron. Il joue avec retenue et fermeté un homme ambitieux, sculpté par l’éthique, dont la pureté s’effrite peu à peu. Son épouse, jouée par Jessica Chastain, se révèle être le vrai Parrain de l’histoire. Le joli minois de l’actrice disparait sous les traits d’une femme d’affaire aux rondeurs pleines d’assurance, plus enclin à la tricherie. Le jeu de dupes auquel s’adonne le couple nourrit l’intrigue et porte à l’écran des scènes d’une rare intensité.
Les autres qualités du film, car il y en a plusieurs, sont à chercher du côté de la caméra de J. C Chandor qui nous offre des vues sur New-York d’une incroyable beauté. On décèle un air de famille avec les films noir d’antan : les longs plans larges et fixes, la place laissée aux silences, aux bastons de regards et aux réunions dans l’arrière-salle d’un restaurant. On doit à Bradford Young, directeur de la photographie, le lavis jaune qui accompagne ce flashback dans les eighties et à Alex Ebert (déjà collaborateur sur All Is Lost) l’univers musical qui recouvre le film comme une seconde peau (mention spéciale pour l’air entêtant d’« America For Me »). Par son esthétique, sa mise en scène sobre, élégante et pesante à la fois, le cinéaste passe de prometteur à (presque) virtuose.
« A most violent year » s’achève comme une judicieuse partie d’échec. Sans qu’on ait vu le coup venir. Dans le dernier plan, Abel, parvenu à ses fins, les pieds enfoncés dans la neige immaculée contemple New York et ses grattes-ciel. Quelques taches, seulement, d’or noir sur les mains.
A Most Violent Year
Un film de J.C Chandor
Avec Oscar Isaac, Jessica Chastain, Albert Brook, David Oyelowo, Elyes Gabel
Musiques : Alex Ebert
Sortie nationale le 31 décembre 2014
A Most Violent Year
A Most Violent Year Bande-annonce VO
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