Ceci est mon corps: le pèlerinage sexuel d’un curé de campagne
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Gabin est un brave curé tout droit sorti d’une paroisse perdue au fin fond de l’Ardèche. Malgré sa foi indubitable, il a besoin de faire le point sur sa vie et de retrouver Marlène, une actrice parisienne qu’il a intimement côtoyée lors d’un séminaire thérapeutique.
Le voici donc en partance pour la capitale avec sa petite valise et son chapelet. Alors qu’il conçoit ce pèlerinage comme un ressourcement spirituel, Gabin atterrit à sa grande surprise dans une maison de débauche où le désir et la luxure n’ont apparemment aucune limite. Parmi une foule de travelos, lesbiennes et dépravés en tout genre, il retrouve enfin Marlène qui l’accueille déguisée en vagin géant et accepte momentanément de le loger. Face à ces énergumènes hystériques et totalement décomplexés, le pauvre Gabin est déstabilisé. Tandis qu’il prie avec ferveur et tombe régulièrement en syncope, ses sens commencent à prendre le dessus et à l’entrainer vers une véritable remise en question de ses valeurs morales. Au fil de culbutes, de fumettes et d’échangisme, Saint Gabin perd ainsi son auréole et accède enfin au plaisir du sexe et de l’extase. Dans un mélange mitigé de désir et de frustration, il n’a de cesse d’analyser son rapport à la religion et découvre avec candeur que les voies du seigneur ne sont finalement pas si « impénétrables » …
Le film de Jérôme Soubeyrand est une oeuvre aussi loufoque que jubilatoire. En « défroquant » son curé de campagne au sein d’un bordel parisien, il s’amuse sans complexe à tirer la religion par les cheveux et nous invite à réfléchir sur les véritables fondements de l’ascétisme et de la chasteté: n’est-il donc pas possible d’atteindre Dieu par la voie de la chair ? Car après tout, lorsqu’on y pense, c’est bien par cette voie que le commun des mortels monte habituellement au – septième – ciel…
Pour soutenir son propos un brin blasphématoire, Jérôme Soubeyrand s’est entouré d’une assortiment de comédiens aussi déjantés les uns que les autres. La palme de l’extravagance revient à Marina Tomé qui interprète goulûment le rôle de Marlène: tentaculaire et généreuse sous toutes les coutures, cette actrice est un pur concentré de vie et de bonne humeur. A ses côtés, Christophe Alévêque se plonge avec délectation dans le personnage débridé de Renato, le travesti: alternativement homme d’affaire ou chanteuse flamenca, il apporte à ce scénario tarabiscoté un petit air digne de la Cage aux Folles. Dans un registre plus discret, Laetitia Lopez incarne la saphique Emilie: avec ses yeux de biche et sa bouche gourmande, elle nous offre un jeu à la fois voluptueux et nuancé. Face à ce trio de grands débauchés, c’est Jérôme Soubeyrand qui prête ses propres traits au pauvre Gabin: dissimulé derrière son air penaud et ses yeux d’innocent, il joue fort habilement les faux dévots et parvient à attendrir tous les spectateurs.
Afin de défendre cette comédie décalée et quelque peu tartuffienne, le réalisateur s’est également offert la présence d’une sacro-sainte trinité d’intellectuels: au fil de son long-métrage, il fait intervenir le psychanalyste transgénérationnel Bruno Clavier ainsi que le philosophe Michel Serres qui décrit avec beaucoup de sérieux le bordel de l’antique Corinthe. Mais ce sont les réflexions incisives de Michel Onfray qui ont le plus d’impact sur le public: à travers ses références aux Evangiles et précisément aux épîtres de Paul, ce philosophe – savoureusement provocateur – remet totalement en question l’idéal ascétique de Saint Paul et n’hésite pas à le traiter de grand malade face à sa hantise des pulsions charnelles.
Ballotés entre ces intermèdes spirituels et l’excentricité lubrique des comédiens, on se laisse défriser, on rit de bon coeur et l’on finit par admettre bien volontiers que l’abstinence n’est pas le moyen idéal pour atteindre le bon Dieu…
Ceci est mon corps? Une hostie jouissive qui aurait tout aussi bien pu s’appeler « L’extase de Saint Gabin ».
Ceci est mon corps
de Jérôme Soubeyrand
Avec: Jérôme Soubeyrand, Marina Tomé, Christophe Alévêque, Laetitia Lopez, Hervé Dubourjal, Julie Nicolet, Pierre-Loup Rajot et Hervé Blanc.
En salle depuis le 10 décembre 2014
Distribué au sein des cinémas:
– La Clef: 34, rue Daubenton – Paris 5e – T.0953483054 – Actuellement
– Le Cin’Hoche: 6, rue Hoche – 93170 Bagnolet – à partir du 7 janvier 2015
(Rencontre au Cin’hoche avec Jérôme Soubeyrand, le 11 janvier à 18h)
Ce film est conseillé aux plus de 16 ans
Le jeudi 4 juin 2015 au Diagonal ( 5, rue de Verdun – BP 51062 – 34007 Montpellier )
Ceci est mon corps
Ceci est mon corps Bande-annonce VF
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