Le graphisme remarquable et minutieux de Riff Reb’s immerge immédiatement le lecteur et l’emporte dans des voyages enthousiasmants tandis que son génie de la mise en scène l’assoit définitivement comme un grand auteur dont nous sommes très honorés de la présence dans nos pages. N’hésitez plus, à l’abordage!
Et si, d’abord, vous nous racontiez votre histoire personnelle avec la mer (et l’océan) ? D’où vous vient cette fascination pour ce thème que vous déclinez (avec talent) depuis plusieurs albums?
Bon, d’abord je vais être clair, je ne suis pas un marin. J’ai assez de respect pour cette vie si particulière pour ne pas confondre mes expériences personnelles avec les métiers de la mer. Ceci-dit ma vie sur les côtes normandes m’a occasionné plusieurs expériences qui viennent alimenter mes adaptations et mes dessins sur le sujet. Les choses ont mal commencé, j’ai failli me noyer au large d’Étretat lors d’une sortie en périssoire étant enfant. Ce lieu merveilleux a d’entrée pris une couleur bien sombre et m’a mis dès l’enfance en position de défiance face la mer. Mon père avait un bateau, au Havre, une petite coque de noix avec laquelle il m’emmenait à la pêche au maquereau et récolter des moules sur de gigantesques bouées au large du cap de la Hève. Ces sorties bien souvent épiques et parfois dangereuses ont été la source de fortes sensations bien utiles pour habiter mes derniers albums. En effet, mon père, à bien des égards, peut être comparé à cet improbable Loup Larsen du Loup des Mers de Jack London. Mon plaisir naturel à me retrouver en mer était en permanence contrarié par les dures expériences que mon père m’y a fait vivre. J’ai aussi travaillé sur le port comme commis de quai dès 15 ans et j’ai donc fréquenté les lamaneurs et les dockers, rudes sensations là aussi. Petits convoyages et présence sur les remorqueurs font partie aussi de mon passé. Ces dernières années, pour des raisons de documentation, j’ai passé de belles journées à bord du Sagress, magnifique bateau -école de la marine portugaise, et sur un vieux gréement bien connu des français, le Belem. Bien d’autres choses restent à dire sur mon lien avec la mer mais ma réalité est tout de même bien différente de mes fictions.
Comment a débuté votre carrière d’auteur de BD?
J’ai relativement essuyé de nombreux refus dans mes débuts mais je n’ai gardé aucune rancœur particulière car en vérité je n’étais pas encore au point. Mon premier album publié, Le Bal de la sueur, une histoire de caboteur piloté par un anti-héros punkoîde dans un univers déjanté, Il a été dessiné à quatre mains avec mon comparse Cromwell. Le gentil succès commercial du livre couronné par le prix de la presse à Angoulême en 1987 m’a permis ensuite de continuer assez facilement dans l’édition.
Avez-vous plongé dans la bulle par goût de la bande-dessinée et d’auteurs que vous adoriez ? Ou Juste parce que vous aviez le trait facile et le mot taiseux? Ou parce que vous souhaitiez mettre en images des mots (livres) qui vous obsédaient?
Mon goût pour la bande dessinée était intimement lié aux auteurs qui la réalisaient. Étant enfant, il s’agissait des classiques que sont maintenant Tintin, Spirou, Lucky Luke… Mon goût a forcement évolué en grandissant mais je garde une tendresse particulière pour ces séries. Mon penchant naturel allait vers le dessin, mais dans ce cadre, j’avais bien conscience qu’il devait obéir à un scénario. Et c’est vrai que c’est à ce moment que les problèmes commencent; quand on n’a pas confiance aux histoires qu’on peut écrire soi- même. Il faut dire aussi que les efforts faits pour dessiner correctement laissent moins de temps pour des efforts à l’écriture. On ne peut aussi bien progresser partout en même temps.
Comment s’est fait le choix des textes présents dans » Hommes à la mer »?
C’est un peu complexe à expliquer et je vais tenter de faire simple. Je pensais faire simplement une adaptation des nouvelles de W. H. Hodgson, mais en fait les nouvelles maritimes de cet écrivain précurseur de Lovecraft ne m’ont pas toutes convaincues. Je n’en avais gardées que deux. Suite à cela mon premier éditeur et ami m’a offert l’édition originale de P. Mc Orlan de À bord de l’Étoile matutine. Dans ce livre de 1921 se trouvaient après l’histoire principale des nouvelles inconnues de moi. Si toutes ne sont pas maritimes, loin de là, elles m’ont toutes frappées par leur qualité et leur potentiel visuel. J’en ai donc pris deux. Le recueil n’était donc plus d’un seul écrivain de la mer, il me fallait alors compléter par d’autres nouvelles d’autres écrivains. Le choix s’est fait alors, par affinité et équilibre, pour l’ensemble du volume. Les sélections pour les extraits de textes accompagnés d’une grande illustration ont été plus faciles. C’est un mélange de différents moments maritimes bien distincts et d’auteurs que je n’adapterai sans doute jamais en bande dessinée et que j’admire pourtant. Dans cette série, j’aurais pu en faire bien d’autres.
Puisqu’on suppose que « choisir » vous a obligé à ne pas illustrer certains textes que vous aimiez, peut-on imaginer qu’il y ait plusieurs tomes?
Bien sûr, choisir c’est aussi exclure. De mon point de vue, tout n’est pas adaptable, jusqu’à ce que quelqu’un me le prouve. Et certes, il y a tellement d’ouvrages dans le domaine de la mer que je pourrai continuer ainsi jusqu’à perdre la vue. Mais ces trois albums constituent, je l’espère, une jolie somme sur le genre et je vais sans doute changer un peu d’horizon.
Vos images sont en noir et blanc, illuminées par une monochromie qui diffère à chaque récit : comment se fait le choix du ton qui éclairera tel ou tel récit?
Et bien, le choix des couleurs se fait en premier par une logique douteuse. Une histoire contient une grande scène de nuit alors je vais choisir le bleu. Une autre sous la mer, alors je vais choisir un vert émeraude. Mais dans une même nouvelle il fera aussi jour, et tout ne se déroulera pas sous la surface de l’eau. Il faudra pourtant que je me débrouille avec ça et le lecteur aussi. Pour les histoires qui ne m’obligent en rien, les couleurs sont choisies arbitrairement en fonction de la place qu’elles vont occuper dans le recueil de manière à ce qu’aucune histoire succède à une autre avec une couleur trop proche. Il s’agit d’un mélange de volonté et de hasard pour ce qui reste, malgré tout, un album concept.
Cet ouvrage, c’était aussi la volonté de faire connaître des textes peu lus? Êtes-vous, comme le grand-père de Nebby, un être qui va chercher au fond des mers des trésors oubliés, des histoires improbables?
Hé ! Hé ! Hé! Bien trouvé, mais vous avez vu ce qu’il en coûte de faire rêver trop fort les esprits fragiles ! Vous savez, c’est, je l’espère, un marché équitable. Je remets en lumière des textes ou des auteurs malheureusement oubliés et d’autres comme Jack London qui le sont moins font rejaillir un peu de leur lumière sur moi. Tout cela n’est finalement qu’une histoire d’amour, des textes, des images et de leur mariage.
De quel récit, en particulier, êtes-vous content de votre adaptation? Et pourquoi?
Oh là là !!! Si je les fais publier, c’est que je suis content de toutes et si je regarde trop, je vais avoir envie de les corriger toutes ou de les refaire. Quand on sent qu’on a terminé et que c’est imprimé, le livre appartient au lecteur. Demande t-on à des parents de jumeaux laquelle des deux progénitures est leur préférée?
Pourriez-vous nous expliquer l’origine de votre pseudonyme, Riff Reb´s ?
Vieille histoire maintenant. Disons qu’il était important pour moi de prendre un pseudonyme pour des raisons personnelles. D’autre part, j’étais à l’époque très impliqué dans le mouvement punk-rock. Riff Reb’s se traduirait par: accord (de guitare) rebelle. Mais c’était aussi pour le fun et je voulais quelque chose qui sonne et dont on se rappelle… quand on a réussi à le mémoriser, ah, ah ah.
Avez-vous déjà travaillé sur des ouvrages n’évoquant que la terre ferme… où avez-vous besoin, à une planche donnée, de dessiner les ressacs et l’écume?
Bien sûr la mer à ce point n’est qu’une rencontre assez récente mais finalement très cohérente. J’ai fait de la science-fiction aussi et des livres jeunesse qui n’ont rien à voir de près ou de loin avec l’océan. Ce que je cherche, c’est d’abord une bonne histoire, le sujet vient après.
Enfin, avez-vous déjà eu l’occasion d’exposer vos planches? Si non, est-ce que les lecteurs peuvent espérer que cela se produira un jour?
Oui, bien sûr, il y a eu déjà beaucoup d’expositions sur mes deux albums précédents. Une exposition est en cours à Canteleu et d’autres sont prévues. La prochaine sera au Havre au Sonic durant tout le mois de novembre. Une grande et belle exposition sera faite au mois de juin 2015 au Festival BD d’Amiens et une exposition-vente à la Galerie Daniel Maghen à Paris en septembre 2015.
Hommes à la mer
Auteur: Riff Reb´s
Editions: Soleil
110 pages
Collection: Noctambule
Parution: 29 octobre 2014
Expo Riff Reb’s à la Galerie Daniel Maghen du 23 septembre au 17 octobre 2015 – Plus d’informations sur le site de la Galerie Daniel Maghen :
A lire aussi:
Nicolas Jarry : un auteur de bd d’héroïc-fantasy à rencontrer
Paco Roca rend hommage aux soldats espagnols venus libérer Paris
Daniel Goossens : l’Esprit, le Trait et l’Humour
José Homs : de l’Angélus à Millénium
François Ayroles : une sacrée affaire au royaume des mots
Daniel Maghen : Une vente aux enchères Christie’s ? Adjugé!
Pierre Duba et sa singulière maison de papier
Patrick Pinchart : Sandawe et le crowdfunding
Bruno Pradelle et Pascal Génot : hommage à Paul Carpita et au cinéma engagé